Le plasticien thaïlandais se livre sans détour sur son rapport très personnel à l’histoire. La sienne et celle du siècle, dont il a fait la matière de son œuvre.

Un dimanche de P&acirc;ques sans nuages, Arin Rungjang nous re&ccedil;oit dans son appartement berlinois. &Agrave; l&rsquo;invitation de la DAAD&nbsp;(une institution offrant des&nbsp;bourses &agrave; des artistes), le plasticien de 44 ans y passe un an en r&eacute;sidence. Depuis qu&rsquo;il a repr&eacute;sent&eacute; la Tha&iuml;lande &agrave; la Biennale de Venise en 2013, son&nbsp;importance n&rsquo;a cess&eacute; de cro&icirc;tre.&nbsp;Il pr&eacute;pare une exposition en solo qui se tiendra en ao&ucirc;t &agrave; Singapour, dans le p&ocirc;le artistique Gillman Barracks, et sera de la Biennale de Toronto en novembre.

L&rsquo;Officiel Hommes : Sur votre page Wikip&eacute;dia, dans sa version allemande, il est indiqu&eacute; que vous vous retrouvez dans le concept de sculpture sociale, d&eacute;velopp&eacute; par Joseph Beuys, dont le but est de transformer la soci&eacute;t&eacute;. Est-ce vrai ? 
Amin Rungjang : Je suis ami sur Facebook avec le type qui a &eacute;crit &ccedil;a. Il m&rsquo;a demand&eacute; 
si cette r&eacute;f&eacute;rence me g&ecirc;nait. Cela m&rsquo;est &eacute;gal, mais je pr&eacute;f&egrave;re ne pas mettre d&rsquo;&eacute;tiquette&nbsp;sur mon travail. L&rsquo;art sert son propre but, avant m&ecirc;me qu&rsquo;il ne soit montr&eacute; dans une exposition ou comment&eacute; dans un magazine.

Quel r&ocirc;le ont jou&eacute; vos ann&eacute;es de formation? 
&Agrave; l&rsquo;origine, la Tha&iuml;lande s&rsquo;appuyait sur son agriculture. Avant que l&rsquo;industrialisation occidentale, et la colonisation de l&rsquo;Asie&nbsp;du Sud-Est, ne prennent une&nbsp;importance croissante. En 1932, lorsque nous avons chang&eacute; de syst&egrave;me, optant pour une monarchie constitutionnelle au lieu d&rsquo;une monarchie absolue,&nbsp;le Premier ministre a d&eacute;cid&eacute; de forcer les hommes &agrave; porter des chapeaux pour qu&rsquo;ils aient l&rsquo;air anglais et &agrave; manger des &oelig;ufs pour qu&rsquo;ils prennent&nbsp;de la masse musculaire ! Ridicule, n&rsquo;est-ce pas ? Ma m&egrave;re est n&eacute;e &agrave; cette &eacute;poque, mais elle se sentait toujours connect&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;poque des&nbsp;des&nbsp;buffles dans les rizi&egrave;res. L&rsquo;&eacute;cole d&rsquo;art o&ugrave; je suivais mes cours avait la r&eacute;putation d&rsquo;&ecirc;tre traditionnelle. Mes enseignants &eacute;taient&nbsp;la premi&egrave;re g&eacute;n&eacute;ration &agrave; avoir eu la chance d&rsquo;&eacute;tudier &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger. Ils en revenaient&nbsp;avec des histoires l&eacute;gendaires... comme lorsque les villageois revenaient de la for&ecirc;t en affirmant&nbsp;avoir tu&eacute; un tigre. L&rsquo;un de nos professeurs &eacute;tait all&eacute; &agrave; D&uuml;sseldorf : &agrave; son retour, il nous parlait de Joseph Beuys.&nbsp;Il n&rsquo;y avait pas d&rsquo;internet, nous n&rsquo;avions pas d&rsquo;autre choix que de le croire. Et nous en faisions quelque chose.

Oui, l&rsquo;histoire est r&eacute;p&eacute;t&eacute;e, d&eacute;form&eacute;e... et &agrave; la fin les rayures du tigre brillent dans la nuit, il crache des flammes et vole. 
Exactement! Au d&eacute;but des ann&eacute;es 90,&nbsp;l&rsquo;artiste Rikrit Tiravanija, qui avait &eacute;tudi&eacute;&nbsp;&agrave; New York, m&rsquo;a beaucoup influenc&eacute;. Puis 
est arriv&eacute; Internet, vers 1996, qui nous a permis d&rsquo;approfondir notre connaissance&nbsp;de l&rsquo;art occidental: Duchamp, Warhol, Felix Gonzalez-Torres, etc. J&rsquo;&eacute;tais&nbsp;perplexe: devais-je suivre le monde de l&rsquo;art ou&nbsp;mes propres envies? L&rsquo;art doit avoir une signification personnelle, au-del&agrave; de sa forme. Ma premi&egrave;re&nbsp;exposition se concentrait sur mon p&egrave;re, qui avait &eacute;t&eacute; tabass&eacute; par des n&eacute;o-nazis en Allemagne, lors d&rsquo;un voyage d&rsquo;affaires et mort des suites de ses&nbsp;blessures. Son histoire est li&eacute;e &agrave; celle de la Seconde Guerre mondiale,&nbsp;de la pauvret&eacute; et des in&eacute;galit&eacute;s &eacute;conomiques entre la Tha&iuml;lande et le monde&nbsp;occidental.

Vous travaillez actuellement &agrave; des &oelig;uvres destin&eacute;es &agrave; Spectrosynthesis II, la deuxi&egrave;me manifestation la plus importante d&rsquo;Asie d&eacute;di&eacute;e &agrave; l&rsquo;art LGBT. Votre sexualit&eacute; n&rsquo;&eacute;tait jusqu&rsquo;alors pas au centre de votre d&eacute;marche.&nbsp; 
J&rsquo;&eacute;tais &agrave; l&rsquo;aise avec qui je suis. En recevant l&rsquo;invitation &agrave; participer &agrave; cet &eacute;v&eacute;nement, j&rsquo;ai&nbsp;commenc&eacute; &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir aux difficult&eacute;s que j&rsquo;ai rencontr&eacute;es en tant qu&rsquo;homosexuel.

Quand avez-vous fait votre coming out ? 
J&rsquo;ai su tr&egrave;s t&ocirc;t que j&rsquo;&eacute;tais homosexuel.&nbsp;Un jour, ma m&egrave;re a vu ma collection de magazines gays dissimul&eacute;s sous mon lit. Elle n&rsquo;a plus voulu me parler.&nbsp;J&rsquo;avais15 ans.&nbsp;Je suis parti de la maison, pour tra&icirc;ner chez mes amis, je me droguais. C&rsquo;&eacute;tait dr&ocirc;le jusqu&rsquo;&agrave; ce que je traverse une crise.&nbsp;Je suis&nbsp;devenu sobre, j&rsquo;ai pass&eacute; du temps dans un monast&egrave;re bouddhiste. &Agrave; travers&nbsp;la m&eacute;ditation, j&rsquo;ai trouv&eacute; un &eacute;quilibre.

Quand avez-vous senti qu&rsquo;il fallait que votre vie professionnelle prenne un tournant ? 
Le Rwanda Project, une installation que j&rsquo;ai r&eacute;alis&eacute;e pour la Biennale de Sidney en 2012, a eu un &eacute;norme impact sur moi. J&rsquo;ai travaill&eacute; avec 13 orphelins dont&nbsp;les parents &eacute;taient morts durant le g&eacute;nocide. J&rsquo;avais moi-m&ecirc;me perdu mon p&egrave;re, je me sentais si proche d&rsquo;eux.&nbsp;En surface, votre travail d&eacute;voile peu&nbsp;vos&nbsp;cicatrices. Il est parfaitement r&eacute;alis&eacute;, comme poli, et visuellement tr&egrave;s fort.&nbsp;&Ecirc;tre artiste est un privil&egrave;ge. C&rsquo;est pourquoi je ne suis pas un artiste de studio qui fait des peintures. Je travaille sur des installations inspir&eacute;es de mes rencontres. Je les sublime dans ce que je montre, pour leur rendre la dignit&eacute; qu&rsquo;ils pensent avoir perdue aux yeux des autres. J&rsquo;aime l&rsquo;ensemble du processus. Nous ne pouvons pas comprendre toute&nbsp;une for&ecirc;t, mais nous pouvons comprendre une seule feuille, comment elle fait partie d&rsquo;un arbre. Et je crois qu&rsquo;en tant qu&rsquo;artiste, il en sera ainsi jusqu&rsquo;&agrave; ma mort.

Traduction Fabrizio Massoca

Arin Rungjang : "L'art doit avoir une signification personnelle."

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