L'Officiel Art

“Cela nous plaît d'être légèrement de mauvais goût”

Différentes et complémentaires, les personnalités des directeurs de la New Galerie – Corentin Hamel et Marion Dana – insufflent à leur espace une orientation esthétique forte, naviguant entre néogothique et univers high-tech. Le duo a confié à Pierre-Alexandre Mateos et Charles Teyssou le commissariat de leur stand à la Fiac, de même que celui de l’exposition tenue à la galerie. Rencontre avec PAM & CT.
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Propos recueillis par Yamina Benaï

 

L’OFFICIEL ART : Quelle teneur avez-vous cherché à imprimer à la New Galerie, dont vous assurez le commissariat du stand à la Fiac, et de l’exposition dans l’espace du Marais ?

PIERRE-ALEXANDRE MATEOS & CHARLES TEYSSOU : Notre objectif repose sur une tentative de créer des filiations avec la programmation de cette galerie qui s’est attachée à soutenir plusieurs artistes particulièrement importants ces dernières années. Parmi ces créateurs, Dora Budor est active dans le monde du cinéma, Darja Barjagić réalise des collages inspirés de la culture fanzine extrême des années 1980, Jasper Spicero opère dans une forme de néo-surréalisme très mélancolique, Artie Vierkant réfléchit aux technologies et à la dématérialisation du corps dans notre société où la virtualité est omniprésente... En nous fondant sur la programmation de la galerie, nous avons donc tracé des lignes qui nous semblaient intéressantes entre ces différents mouvements et pratiques. Ainsi, le travail de Darja Barjagić n’est finalement pas très éloigné du surréalisme et des collages de Max Ernst. Elle utilise des journaux actuels, exploitant l’esthétique racoleuse et puissante propre à la couverture des faits divers. Quant aux installations de Jasper Spicero mettant en scène, par exemple, des mains désarticulées sur des bureaux d’enfants, elles ne sont pas sans rappeler les poupées de Hans Bellmer, revisitées à l’aide de matériaux synthétiques qui évoquent l’enfance environnée du design industriel de masse... jouant ainsi sur une mélancolie contemporaine.

 

La programmation semble attacher une importance particulière à la mise en scène du corps.

Effectivement, elle dénote une certaine passion pour la mise en situation de corps envisagés sous le prisme des traumatismes et névroses, en somme un certain goût pour la folie. Or, le lien artiste-folie a fortement inspiré la pratique artistique du XXe siècle, des surréalistes à Antonin Artaud. Ici, les artistes travaillent avec des matériaux récents ou s’inspirent, par exemple, du cinéma hollywoodien  : ils vont puiser des objets et éléments de la fin des années 1970-80 qui expriment, à tous égards, un certain rapport à l’artificialité. De ce contemporain froid, “sans qualité” se dégage ainsi une forme de mélancolie comme avait pu l’évoquer Houellebecq. A partir des observations sur les galeristes (Marion Dana et Corentin Hamel), et les artistes de leur galerie que nous connaissons personnellement, nous avons créé des liens avec leurs passifs assez agités. Nous y avons identifié un point de convergence dans ce rapport à la folie, à l’abandon, à la petite enfance... Ces galeristes ont un rapport assez intuitif, primal avec leurs artistes et partagent avec eux ce goût pour l’irrationnel, la névrose sui, selon nous, transparaît bien dans leur programmation.

 

L’exposition flirte avec les frontières d’une forme de reality show dans la mesure où vous incluez dans le parcours des éléments biographiques relatifs aux galeristes et parfois aux artistes eux-mêmes...

En effet, nous interrogeons ainsi les limites entre voyeurisme et exposition. Il s’agit de documents personnels qui, d’ordinaire, ne sont pas diffusés, notamment des informations d’ordre médical. Ces documents sont mis en relation avec certaines œuvres, toujours dans l’idée d’explorer cette forme de subconscient de la galerie. Notre quête s’est portée sur ce qui n’est pas dit dans le programme, ce qui en est absent. Cela évoque, bien entendu, le travail de la critique institutionnelle relatif aux conditions qui font qu’un objet devient une œuvre d’art. Nous avons cherché à faire émerger une vision un peu plus humoristique et pop que les approches réalisées il y a quelques décennies par des artistes comme Hans Haacke ou Michael Asher qui opéraient de manière très sérieuse. Nous oscillons entre un univers un peu triste et glauque et des phases de détente, des clins d’œil plus légers. Nous ne voulons rien moins que créer la première exposition de “critique institutionnelle psychologique”, formule évidemment aberrante, mais qui implique une certaine mise à distance...

 

New Galerie, Fiac 2017, avec les artistes Dora Budor, Jasper Spicero, Cédric Fargues, Darja Barjagić, stand 1.G09.

•“What’s up doc ?”, à partir du 19 octobre, New Galerie, 2 rue Borda, 75003 Paris, T 01 42 74 50 75. Avec Darja Bajagic, Hans Bellmer, Dora Budor, Max Ernst, Cédric Fargues, Adam Gordon, Meret Oppenheim, Mark Prent, Sean Raspet, Michael Salerno, Aguirre Schwarz, Li Shurui, Peter Sotos, Jasper Spicero, Artie Vierkant.

“Plus on apprend les codes du monde de l’art, plus on a envie de s’en détacher"

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Darja Bajagić, Ex Axes - undeRage, 2017, impression UV sur lame de hache.
Darja Bajagić, Ex Axes - undeRage, 2017, impression UV sur lame de hache.
Dora Budor, Accelerando, 2016, 114,5 x 23 x 24 cm.
Dora Budor, Accelerando, 2016, 114,5 x 23 x 24 cm.
Cédric Fargues, BébéFleurs 13, 2016, C-print encadré, 28,5 x 37 cm.
Jasper Spicero, Childhood Carrying Case, 2017, corde de soie, peinture, tissu teint, sac, marbre, oiseau en bois, 15 x 147 x 41 cm.

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