Deux expositions à voir dans les galeries Almine Rech de Bruxelles et Venise cet été
Almine Rech expose cet été dans son espace de Bruxelles et au Palazzo Cavanis, à Venise, deux artistes contemporains aux traits évocateurs et signifiants. Brian Calvin et ses visages désaxés, Andrea Marie Breitling et ses ondes luminescentes qui impriment la rétine et interpellent l’imagination.
L’art est toujours un voyage, mais jusqu’à la fin du mois de juillet, on pourra s’y adonner au sens propre – les peintres sélectionnés par la Maison pour deux expositions exceptionnelles se chargeant de tout ce qui est figuré, figuratif, et même, dans le cas de Brian Calvin, des figures chamarrées réinterprétées.
"STILL", L’ÉTAT INACCESSIBLE
Immobiles, on ne l’est plus très souvent. Brian Calvin, peintre californien de 54 ans, observe et retranscrit l’agitation imagée de la génération TikTok. La série de portraits fictifs - mais ne le sont-ils pas tous sur les réseaux sociaux - qu'il présente au Palazzo Cavanis à Venise jusqu’au 2 juillet, éclaire sans filtre "le pouvoir excessif des médias digitaux, l'impératif du selfie et les incontournables retouches". Il extrait de son extrapolation critique des visages aux deux yeux sur le même côté du visage, hybridant profil obsessionnel et regard "complet", avec pupilles hallucinées serties dans des orbites colorées au maquillage en colorama et 4D, repulpés de motifs géométriques, "qui trahissent la schizophrénie rampante des traits distinctifs imposés aux modèles féminins qui peuplent un panorama anthropologique surréaliste".
Brian Calvin se plie au noble exercice du portrait mais lui taille une perspective implacable, via des yeux anormalement grands ouverts, mise en abyme impeccable. Par son pinceau - qui est aussi un outil de maquillage, sans contradiction et avec obstination – l’artiste souligne le regard comme miroir de l'âme et seuil de la connaissance. Un œil irréel, parfois surnuméraire – occasionnellement, il en peint trois - et toujours surréaliste, dispositif esthétique et cognitif qui se dédouble, se décompose et se superpose (suivant la tradition cubiste) pour tenter de délimiter le mouvement, d'appréhender les trois dimensions en échappant au caractère statique de la toile et à la réalité de la représentation.
Malgré une tentation effleurée d'investir la personnalité des sujets, velléité épuisée face à "la platitude, la superficialité et l'indifférence de sa "faune" des cocktails au bord de la piscine et des centres commerciaux", Brian Calvin ne prétend pas à une introspection psychologique. Avec une légèreté sarcastique, l'artiste mêle les étages supérieurs de l'histoire de l'art et les "inférieurs" de la pop culture, la grammaire de Picasso - Moonlight Mile, Télémaque — aux traits vernaculaires de la publicité. Bien qu'il s'agisse d'une représentation galvaudée, tragi-comique, dégradée et dépiautée, Calvin ne se détourne pas de la tradition de la peinture, fondée sur des siècles d'efforts pour maîtriser les codes de la perspective, mais plutôt il la digère, la métabolise et finalement la retravaille comme une projection du mystère du désir humain. Insondable, malléable, plein de tiks, un peu toké.
THE SWALLOW, QUATRIÈME VOLET BRUXELLOIS POUR ANDREA MARIE BREILING
Jusqu’au 29 juillet chez Almine Rech rue de l’Abbaye à Bruxelles, l’artiste américaine présentera une exposition personnelle, projet intime à grande échelle. Une série d’œuvres inspirées par les motifs psychédéliques - mais logiques - des papillons à queue d’hirondelle, lépidoptères bariolés et éphémères, admirés pour leurs larges ailes aux couleurs pop. Cette exposition de Andrea Marie Breiling confirme sa grande maîtrise des techniques de peinture à l’aérosol, qui composent des œuvres à la fois atmosphériques et kaléidoscopiques, solidement ancrées dans une perspective profonde, hypnotique et rythmique. En langage mode, on pourrait y voir des zooms sur les œuvres textiles presque immatérielles - en tout cas surréalistes - d’Iris Van Herpen.
La pièce maîtresse de l’exposition est aussi la plus imposante réalisée à ce jour par l’artiste : un vaste panorama, presque un écran de cinéma, mesurant 6 mètres de large sur 2,5 mètres de haut. La jeune femme souligne que The Swallow n’est pas seulement le titre de cette série, c’est également celui de cette toile immense qui a requis des semaines de travail, déployant un nuancier infini de défis techniques et artistiques à surmonter, par superposition de couches de peinture. Andrea Marie Breiling explique avoir contemplé sa création à mi-parcours et s’être sentie entièrement enveloppée par la toile, qui s’étendait largement de part et d’autre et au-dessus d’elle, et l’a quasiment "avalée" ("swallow", en anglais).
La précédente exposition de la jeune femme, Swallowtail, montée à New York, pouvait s’inscrire dans un hommage à la ville qui ne dort jamais, classique par le rôle central qu’elle accorde aux couleurs primaires. Certaines des pièces de cette série évanescente semblaient même faire référence à Piet Mondrian, avec leurs stries de rouges, de bleus et de jaunes colorblocks. Pourtant, dans The Swallow, l’artiste fusionne une palette primaire à une palette secondaire, avec pour résultat des œuvres aux mouvements chatoyants et organiques, une gamme de couleurs presque terreuses. Des mauves riches, oranges intenses et verts naturalistes s’entremêlent avec une chaleur qui, explique l’artiste, fait écho à ses souvenirs d’un voyage au printemps à travers l’Europe, entourée d’arbres bourgeonnants, de fleurs épanouies et, bien sûr, de papillons à queue d’hirondelle. Dans certaines toiles, les couches narratives de lavande évocatrice et de chartreuse enivrante dansent et flottent par-dessus un champ d’un violet saisissant : le contraste créé un effet irisé, comme si l’observateur analysait au microscope la lumière se réfractant sur une infime partie de l’aile du papillon. Son battement peut alors changer le destin du monde. Chacune de ces œuvres signe un "instantané", servant l’éphémère destin de détails complexes et de contrastes, distillés à un niveau macroscopique. Un coup d’aile, trois petits tours, et puis les vibrations s’en vont.
Andrea Marie Breiling, du 7 juin au 29 juillet 2023, à la galerie Almine Rech, Rue de l’Abbaye 20 à Bruxelles. Brian Calvin 'Still', du 19 mai au 2 juillet 2023 au Palazzo Cavanis, Venise.