Happy Birthday Mr Soulages
La rétrospective que le Centre Pompidou lui avait consacrée en 2009 avait porté à un large public l’étendue d’une pratique mêlant les techniques les plus diverses (peinture sur toile, sur papier, eaux-fortes, lithographies, sérigraphies, bronzes), et mis en lumière une reconnaissance internationale précoce, notamment aux Etats-Unis, à une époque (immédiat après-guerre) où peu d’artistes français franchissaient l’Atlantique. Lui, né en 1919, a traversé le XXe siècle – ses guerres et ses multiples mouvances artistiques – sans jamais se perdre. S’interrogeant en permanence, dans une remise en jeu de la lumière – quête d’une vie – qui, à l’aube des années 1980, lui fera inventer un mot et un concept, outrenoir.
“Un jour de janvier 1979, je peignais et la couleur noire avait envahi la toile. Cela me paraissait sans issue, sans espoir. Depuis des heures je peinais. Je déposais une sorte de pâte noire, je la retirais, en rajoutais, la retirais de nouveau. J’étais perdu dans un marécage. Cela s’organisait par moments, et aussitôt m’échappait.”Au matin, l’artiste reprend le travail et découvre l’effet de la lumière sur la toile. Après lui, le noir ne sera plus jamais noir. Etendue de paysages où l’œil navigue, happé par l’énergie en mouvement d’une surface si sombrement lumineuse. Peu enclin aux grand-messes et aux célébrations, Pierre Soulages n’a guère délaissé son atelier, produisant une œuvre dense et multiple qui lui a fait aborder l’époque contemporaine avec l’assurance d’un joueur de rugby entrant sur le terrain. Ce qu’il fut, frôlant même, dans ses jeunes années, l’idée d’une carrière professionnelle. Aujourd’hui encore, sa haute stature accuse à peine ses 99 ans.
Ce musée est né des donations consenties par l’artiste : 500 pièces, en 2005, puis en 2012, 14 peintures sur toile (couvrant la période de 1946 à 1986). Un écrin dont la forte personnalité n’entrave pas l’appréhension de l’œuvre. Les architectes catalans du bureau RCR ont distribué sur les façades et en intérieurs, l’acier Corten – matériau cher à Richard Serra et Eduardo Chillida – dont la corrosion naturelle octroie à l’édifice des teintes disparates, appelées à évoluer avec le temps. Encastré sur le flanc nord du jardin du Foiral, à la lisière des vues urbaines, il développe une harmonieuse volumétrie composée de parallélépipèdes interrompus par des ouvertures vers le lointain – évocation des fenestrasdu pays occitan – auxquels on accède après avoir éprouvé l’échelle intime du jardin minéral posté en face nord.
La sobriété, sinon l’efficacité visuelle et pratique ont été les vecteurs de la réflexion des architectes. Le visiteur circule ainsi à travers les 1 400 mètres carrés distribués en six salles dont les murs sombres se révèlent le fond le plus neutre, donc le plus pertinent, pour une contemplation des œuvres, en découpage biographique, et dont l’accrochage évolue deux fois par an suivant la fragilité des pièces. Aux premières peintures succèdent les brous de noix (matériau destiné à teinter les meubles), puis les estampes, suivies des peintures sur papier, des peintures sur toile, enfin, des cartons de vitraux réalisés pour l’abbatiale de Conques, (1987 à 1994). “Je ne voulais pas faire de vitraux, puis on m’a proposé Conques”,tout est dit. Avec les statues-menhirs du musée Fenaille, Conques – à une vingtaine de kilomètres de Rodez – constitue un choc artistique fondateur pour le jeune Soulages. Le peintre n’a accepté l’idée de ce musée qu’à la condition unique qu’un espace soit consacré à d’autres artistes. Après l’exposition d’ouverture dédiée aux Outrenoirs (24 œuvres réalisées de 1979 à 2011), les 500 mètres carrés du lieu ont ainsi accueilli une programmation diverse mise au point par Benoit Decron, directeur et conservateur du musée. Les œuvres des membres du groupe Gutai ont ainsi été récemment exposées avant l’actuelle présentation dédiée aux œuvres sur papier de l’artiste. Evénement d’ampleur internationale, le Musée Soulages a permis de requalifier l’œuvre du peintre. Quand Picasso affirme “Je ne cherche pas, je trouve”,Soulages déclare : “C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche”. Orpailleur infatigable, loin de l’idée d’un geste démiurge, l’artiste convoque expérience et hasard, s’assurant ainsi une éternelle vigueur.
À VOIR
•Pierre Soulages, “Œuvres sur papier, une présentation”, jusqu’au 31 mars 2019, Musée Soulages, Jardin du Foirail, avenue Victor-Hugo, 12000 Rodez.
•“Pierre Soulages, Noir / Lumière”, jusqu’au 6 janvier 2019, Ludwig Museum, Coblence, Allemagne.
•“Soulages, une rétrospective”, jusqu’au 13 janvier 2019, Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse.