“Il est urgent de réparer l’erreur : l’art est pour tous !”
Propos recueillis par Yamina Benaï
L’OFFICIEL : Cette 44e édition de la Fiac présente 193 galeries, dont 40 nouveaux exposants. Si en 2016 l’ouverture du Salon Jean Perrin avait déjà permis de recevoir 8 galeries de plus qu’en 2016, quels moyens parvenez-vous à mettre en place pour accueillir un nombre croissant de galeries dans vos espaces d’exposition au Grand Palais ?
JENNIFER FLAY : Chaque année nous travaillons à conquérir de nouveaux espaces d’exposition : nous sommes ainsi parvenus à intégrer dans le dispositif du Grand Palais, une salle située au fond de la Nef, abritant à l’origine l’office des traiteurs. Dans les faits, il s’agit d’un espace de 300 m2, très élégant et haut de plafond. La difficulté de départ, outre la peinture noire recouvrant ses murs, était son accès – ménagé par une porte à la fois quelconque et assez étroite –, donc inadapté, au regard de l’échelle du Grand Palais. Cette salle présentant une cloison ajoutée tardivement, nous avons adressé une demande de travaux qui, après plusieurs tentatives, a été validée cette année. Le mur a donc été modifié – au profit d’une ouverture de 4 mètres de haut sur 3 mètres de large –, et l’ensemble, entièrement repeint en blanc, est désormais très lumineux. En outre, nous avons également investi la façade du Petit Palais, avec quatre grandes bannières de Matt Mullican réalisées pour ce type d’usage, illustrant le système de symboles que l’artiste a élaboré tout au long de sa pratique. Dans ce même esprit de conquête d’espace, nous présentons le travail de Seung-Taek Lee, précurseur de l’art performatif et sculptural en Corée, qui réalise une œuvre installée en hauteur, entre deux lampadaires.
C’est précisément dans cet espace que la Fiac accueille cinq galeries de design, renouant ainsi avec l’ouverture à la discipline, de 2004 à 2009. Pourquoi avoir choisi de réintégrer le design à la Fiac en 2017 ? Quelles interactions provoque-t-il avec l’art contemporain dans le cadre de la foire ?
Nous avons suspendu le secteur design en 2010, d’un commun accord avec les galeristes concernés, car nous n’avions pas d’espace adéquat pour les présenter. En 2009, les galeries de design montraient leur production dans les “promenoirs” (petits endroits surélevés autour de l’arrière de la Nef), or ces espaces n’étaient pas convenables pour le design, c’est pourquoi nous sommes convenus de poursuivre notre collaboration d’une manière neuve. En 2010, nous avons ainsi présenté la première Maison Prouvé (Ferembal House, 1948) avec la galerie Patrick Seguin, sur l’esplanade des Feuillants du jardin des Tuileries. Puis, au fil des années, la maison des frères Bouroullec (sur une commande d’Emerige), avec la galerie Kreo, la maison de Jean Maneval, avec la galerie Jousse Entreprise, l’Ecole de Bouqueval par Prouvé, avec la galerie Patrick Seguin... Ces projets ont marqué le début de notre regard sur l’architecture. Je souhaitais le retour de la discipline car il est à mon sens évident que dans l’histoire des formes, les domaines de la sculpture, des arts plastiques et du design se suivent de très près tout au long du XXe siècle. Les croisements sont nombreux entre les plasticiens, les designers et les architectes. Il y a, me semble-t-il, beaucoup à gagner à regarder les arts plastiques et le design en un même lieu.
L’intérêt d’une telle démarche est majoré par le fait que, bien souvent, ce sont les mêmes personnes qui collectionnent l’art et le design.
J’ai récemment assisté à la projection d’un film sur le très grand collectionneur français Marcel Brient, qui détient une collection de plus de 2 000 œuvres d’art et de 600 pièces de design. A la question portant sur ce qui l’a amené à collectionner le design, il a indiqué qu’au moment de son installation dans le bâtiment de Montreuil destiné à héberger sa collection, il avait deux options : soit le meubler d’armoires bretonnes (il est originaire des Côtes-d’Armor), soit passer commande à des designers contemporains pour instaurer une continuité, une harmonie d’esprit avec les œuvres de sa collection. Cela résume une réalité : lorsque l’on est en quête de la beauté, l’excellence, l’exigence dans les choix que l’on opère pour l’art, on la recherche également dans les objets usuels : tables, chaises, lits, lampes… deviennent alors rapidement une source d’intérêt. La Fiac étant une foire axée sur la création en arts visuels des XX et XXIe siècles, j’ai choisi de réintroduire le design en lui consacrant une très belle salle, le dialogue est ainsi maintenu. A l’avenir, mon souhait est de consolider la présence du design des XXe et XXIe siècles, tout comme j’ambitionne de pouvoir proposer aux galeries d’art moderne et contemporain des surfaces d’exposition plus importantes, et d’accueillir une vingtaine de galeries supplémentaires. Lorsque le Grand Palais nous sera livré en 2024 – après les travaux de réfection qui débuteront en novembre 2020 – nous bénéficierons de davantage d’espace et il sera alors possible d’envisager ces nouveaux projets. Durant la période intermédiaire de rénovation, nous disposerons, je l’espère, d’une structure temporaire dans un endroit prestigieux de l’épicentre de Paris. A cet égard, les discussions entre la Mairie de Paris et la Réunion des musées nationaux sont à un point très avancé à ce sujet.
Depuis une quinzaine d’années, la Fiac a peu a peu pris une place prédominante sur la scène internationale, comment concevez-vous votre rôle ?
J’ai la très lourde responsabilité d’incarner un événement qui est l’expression d’un milieu regroupant des personnes d’une exigence et d’une vision hors normes. C’est pourquoi je me dois de porter leur vision, leur ambition et, en un certain sens, leur utopie. La Fiac s’est constituée avec eux et mon équipe. Nous portons tous un regard tourné vers l’avenir, si nous sommes satisfaits du travail accompli jusqu’à présent, nous n’en demeurons pas moins conscients de pouvoir mener notre projet plus loin encore.
Parmi les articulations de cette 44e édition, se trouvent plusieurs dialogues entre artistes. Notamment celui, assez atypique, entre Yona Friedman et Larissa Fassler, orchestré par la galerie Jérôme Poggi.
Il y a effectivement un certain nombre de dialogues inédits : la galerie Allen met en lien un jeune artiste, Maxime Rossi, avec l’artiste religieuse américaine Sister Corita Kent (1918-1986), qui officiait dans les années 1960-70 sur la côte Ouest des Etats-Unis, et réalisait un travail caractérisé Pop Art. Trente ans après son décès, son œuvre demeure très incarnée, porteuse d’un message spirituel traduisant sa vie intérieure profonde. La galerie Espaivisor tisse des liens entre Orlan et Lea Lublin, toutes deux préoccupées par des questions féministes... Ces passerelles entre artistes sont fascinantes, et dans le cas de la galerie Jérôme Poggi, il est également à noter l’importante pièce de Yona Friedman installée sur l’avenue Winston Churchill. A la fois évolutive et participative, cette œuvre répond à nombre de nos attentes car, proposée hors les murs, elle crée la rencontre avec un public qui n’est pas nécessairement familier avec l’art contemporain, et peut parfois se sentir exclu de ce milieu. Imaginer une vie dont l’art serait absent est à mes yeux une réelle souffrance, aussi, il est urgent de réparer cette erreur : l’art est pour tous, les artistes travaillent pour tout le monde ! C’est la raison pour laquelle nous sortons du Grand Palais pour investir des lieux très visités, tels que le jardin des Tuileries, la place Vendôme, l’avenue Winston Churchill, le Petit Palais où une trentaine d’œuvres ainsi que la collection permanente sont en accès libre.
Durant la Fiac, l’avenue Winston Churchill - située entre les Grand et Petit Palais – adopte une ambiance assez festive...
Effectivement, nous avons souhaité instaurer une certaine convivialité – soulignée notamment par la présence de foodtrucks –, réfléchir à un aspect insolite pour attirer un public différent. Cela permettra, je l’espère, d’interagir avec allégresse et liberté et, pourquoi pas, de créer un déclic. C’est pourquoi j’aime beaucoup l’œuvre de Yona Friedman, elle enrichit l’expérience de notre public sur cette avenue. De même, les bancs d’artistes, réalisés par Pablo Reinoso et Matt Mullican, constituent d’autres manières d’envisager l’art : il s’agit ici de la prise en considération de l’objet usuel par des artistes qui, tous deux, souhaitent que le public en fasse usage.
Avec la Fondation d’entreprise Ricard et l’Institut Français, vous inaugurez cette année un nouveau format de Curators invitational, cycle d’invitations de commissaires internationaux. Quels en sont les objectifs et comment s’orchestre-t-il ?
Chaque année nous invitons une demi-douzaine de jeunes commisaires à visiter la Fiac ; en 2016 nous avons d’ailleurs réalisé une publication sur le fruit de ces années de travail. Le propos étant de les familiariser très tôt avec la scène française, afin qu’elle imprègne, ensuite, leur approche curatoriale, ce qui s’est révélé fructeux. Cette année, nous avons souhaité passer à la vitesse supérieure en élargissant la sphère afin d’incorporer davantage d’acteurs de diverses générations. Pour mener à bien ce projet, nous travaillons en étroite collaboration avec la Fondation d’entreprise Ricard et l’Institut Français, qui agissent très efficacement tout au long de l’année dans le cadre de leurs conversations avec les commissaires, en France et à l’étranger. Les objectifs d’une foire sont multiples, mais dans ce cas, il s’agit de favoriser la rencontre entre nos galeries et des professionnels à même de faire évoluer la carrière des artistes qu’elles représentent, en envisageant – par exemple – des expositions à l’étranger.
Au regard de l’air du temps, de la situation géopolitique et sociale, comment qualifiez-vous cette 44e édition ?
Si, malheureusement, le danger s’est généralisé, aujourd’hui Paris n’est plus considéré comme la ville à éviter. Le dispositif que nous avons mis en place l’an dernier sur l’avenue Winston Churchill n’était pas imaginé comme une mesure de sécurité supplémentaire, il s’agissait d’investir un espace pour l’art et de créer un lien entre les deux Palais. Il se trouve que notre public vit ce lieu comme un endroit sécurisé, car rendu piétonnier. La Fiac est, depuis quelque temps, identifiée dans le monde comme l’un des événements majeurs auquel il faut assister. Aussi, nous tentons de porter l’art et la création avec énergie, optimisme et un sens de l’utopie qui, je l’espère, transparaît dans nos programmes, et incite les visiteurs à se rendre à Paris. A en juger par le nombre de messages que je reçois d’Australie, d’Asie, d’Amérique du Sud, des Etats-Unis... je pense que le public sera au rendez-vous. Paris est en gestation de nombreux projets exaltants pour les mois et années à venir, qui nous permettent de croire à de beaux jours en perspective : il nous faut les préparer.
FIAC 2017
du 19 au 22 octobre, Grand Palais
Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Les 19 et 20 octobre de 12h à 20h
les 21 et 22 octobre, de 12h à 19h.