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L'art fait son cinéma

Jusqu’au 29 juillet 2022, l’artiste multidisciplinaire Gregor Hildebrandt expose son travail à la galerie Perrotin New York. De ses inspirations cinématographiques à ses projets futurs, l’artiste s’est confié à L’Officiel. Rencontre.

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Gregor Hildebrandt photographié par Guillaume Ziccarelli à la galerie Perrotin

Gregor Hildebrandt est de ceux dont l’art ne passe pas inaperçu. De son obsession pour le cinéma et de ses muses rêvées, il traduit tout sous forme d’œuvres picturales ou sculpturales gigantesques — aussi réalistes qu’époustouflantes. Son médium signature : une multitude de cassettes audio et de vinyles. Pratiquant le collage, l’artiste les assemble dans des peintures, des sculptures et des installations en apparence minimalistes, mais d’un romantisme latent. Son but : déclencher des souvenirs collectifs et personnels. Le résultat : une déambulation artistique sans pareil, qui nous offre des réminiscences aussi douces que belles.

L’Officiel: Votre exposition chez Perrotin à New York s'intitule "WAS GEHT UNS DIE SONNE AN (WHAT DOES THE SUN MATTER TO US)" ou en français “QUE NOUS IMPORTE LE SOLEIL”. Ce titre est une référence au théoricien allemand du cinéma Siegfried Kracauer. Pouvez-vous nous parler un peu de cette exposition en général, de ce titre, et du contexte de cette nouvelle exposition personnelle ?
Gregor Hildebrandt : Le titre de l'exposition est une référence à un essai de Kracauer concernant la salle de cinéma de jour dans la Münzstraße — qui s’avère aussi être l’un des premiers endroits où je vivais à Berlin. J'ai décidé d'intituler l'exposition ainsi parce qu'à ce moment-là, nous vivions une époque si dure — voire choquante. Mon échappatoire était celui du cinema, qui est un monde de rêves, ou tout du moins quelque chose de similaire. Pensez-y : de jour, vous vous rendez dans un lieu plongé dans le noir, pour y voir un film en lumière et en couleurs. J’aime beaucoup cette dualité, opposant les parties sombres sur le soleil et les parties claires dans l'obscurité. Tel le Yin et la Yang.
La galerie m'a proposé l'opportunité de faire une exposition et m'a fait part de son envie d'avoir des pièces en forme de boîtes de cassettes. J’ai rebondi en suggérant qu’il serait bien de faire une exposition sur le cinéma. Au final, ce n'est même pas une exposition purement cinématographique ! Mais c'était l'idée. L’exposition fait référence à un autre fait marquant en lien avec le cinéma, car j’ai commencé mes études à Mayence avec Friedemann Hahn - qui était célèbre pour ses peintures autour de l’univers des films. En somme, l’exposition découle d’une multitude de faits de ma vie personnelle s’entrecroisant, et tout dans mon travail provient de ma vie personnelle.

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Gregor HILDEBRANDT, Mary Nolan Kasten, 2022. Impression jet d'encre, boîtes cassette, cadre et structure en bois, 159.5 x 111.5 x 9 cm. Photographe Guillaume Ziccarelli, Courtesy de l’artiste et Perrotin.

L’O : Ce n'est pas votre première exposition avec la galerie Perrotin, vous collaborez depuis longtemps avec Emmanuel Perrotin. 
GH : Oui, nous avons commencé à travailler ensemble en 2013. Nous nous sommes rencontrés à Paris par les foires d’art. Alors que j’exposais à la galerie Almine Reich, Emmanuel a remarqué mon travail. Notre collaboration s’est faite naturellement car nous partageons également de très bonnes connaissances, à l’instar de certains amis artistes présents à la galerie Samuel Boutruche et Benjamin Moreau.
J’en suis à ma troisième exposition avec Perrotin à New York. La première était sur Madison Avenue dans l'Upper East Side. Puis la seconde a eu lieu en 2018 à Orchard Street, dans le même espace qu’aujourd’hui. Outre New York, j’ai exposé ailleurs dans le monde avec la galerie : à Séoul, Shanghai, Hong Kong, ainsi que plusieurs expositions collectives à Paris — dont une qui se déroule à l’heure actuelle.

L’O : Alors comment se prépare-t-on pour une exposition à New York ? Est-ce différent de la préparation d'une exposition à Shanghai ?
GH : Oui, mais pas tellement en y pensant en amont. La plupart du temps, je commence avec l'espace. J'ai l'espace pour moi, et je pense à ce que je peux faire avec cet espace. À Shanghai — pour l’exposition qui débutera ce 15 juillet — il s’agit d’un espace très haut et très long, ponctué par d’innombrables colonnes sur le chemin. J'ai donc décidé de faire un mur d'enregistrements, couvrant les colonnes en forme courbe. Le titre de l'exposition à Shanghai, qui est aussi en allemand "WO DU MICH LIEBST BEGINNT DER WALD (WHERE YOU LOVE ME BEGINS THE FOREST)” ou, "OÙ TU M'AIME COMMENCE LA FORÊT", est issu des paroles du titre Dolores du groupe allemand Anna. Toute l'exposition s'inspire de la chanson : chaque œuvre d'art porte un titre tiré d'un passage de cette chanson, l'exposition complète donc la chanson. L'idée était de construire une forêt dans la pièce faite de mes colonnes de disques - principalement décorées de vert, la pièce est aussi un peu inspirées du travail de Martin Kippenberger, d'une oeuvre d'art avec des arbres blancs, la mienne a des arbres colonnes debout, droites.

L’O : Tout votre travail est très personnel. Le titre de l’exposition est en allemand, est-ce que c’est important pour vous de vous identifier en tant qu'artiste allemand et de vous exprimer dans votre langue maternelle ?
GH : Non. Ce n'est pas nécessaire, mais je n'ai jamais appris l'anglais — croyez moi, mon anglais est si mauvais… Quand je suis face à un titre en anglais, je ne comprends pas toujours bien son sens exact. Ce titre était en allemand à l’origine, donc je l’ai laissé en allemand. Pour autant, il m’arrive parfois de donner un titre en anglais, comme avec mon exposition chez Perrotin Hong Kong — nommée "COMING BY HAZARD". C’est une phrase d’un anglais un peu étrange, mais ça m’est venu comme ça, et j’ai donc choisi ce titre.

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Gregor Hildebrandt, Vue d’installation de Was Geht Uns Die Sonne An (What Does the Sun Matter to Us) à la galerie Perrotin New York, 2022. Photographe Guillaume Ziccarelli, Courtesy de l’artiste et Perrotin.

L’O :  Pouvez-vous décrire ce qu’on voit dans l'exposition à New York ?
GH : J’y dévoile une nouvelle piece : Steine auf der Landebahn | Stones on the landing strip. C’est une peinture faite de disques. Mais c'est aussi un nouveau style de travail. La première grande œuvre de l'exposition. C’est une pièce qui est inspirée d'un sol en terrazzo à Venise. Dans cette œuvre, je reconstruis les pierres en y insérant des disques de marbre — le tout suivant les motifs originaux d'un sol en terrazzo, d’après une photographie que j'ai faite à Venise. Ici, j'ai essayé de me rapprocher le plus possible du modèle original — même si la technique de fabrication se distingue, je recherche de tester le plus fidèle au niveau des couleurs de l’œuvre, par exemple.

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Gregor HILDEBRANDT, Steine auf der Landebahn | Stones on the landing strip, 2022, Disques vinyles, bois, canvas, 174 x 129 cm. Photographe Guillaume Ziccarelli, Courtesy l’artiste et Perrotin
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Gregor HILDEBRANDT, Vogel Hochzeit, 2022. Disques vinyles, bois, toile canvas. Ø : 92 cm. Photographe Guillaume Ziccarelli, Courtesy de l’artiste et Perrotin.

L’O : Vous créez avec des cassettes usagées. Mais une fois qu'elles deviennent une œuvre d'art, elles sont silencieuses. C'est une sorte de glorification de la musique, ou des médias, mais c'est aussi une sorte d'acte de vandalisme — parce qu'après l'avoir coupé en morceaux, vous ne pouvez plus écouter la musique. À propos de cette technique que vous avez développée, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont vous vous procurez les cassettes, les bandes, les vinyles utilisés dans votre travail ? 
GH : À vrai dire, il y a des cassettes que je ne voulais pas utiliser — issues de mes souvenirs et passé — dans mes œuvres. Il faut savoir que mon studio est très grand, et que je possède beaucoup trop de cassettes. Celles que j’utilise pour le travail et celles que je possède personnellement ont déjà été mélangées par erreur. Mes collaborateurs ne connaissent pas forcément la provenance de chaque objet, et peuvent les incorporer par mégarde dans l’œuvre. J’ai été choqué quand  je le suis aperçu qu’ils ont utilisé mes très vieilles cassettes personnelles, mais c’est arrivé car de mon côté je n’avais pas clairement identifié les cassettes issues de ma collection de celles à utiliser pour le travail. Je les connais si bien que je les ai reconnues, je sais même exactement quelle musique se trouve sur quelle cassette. Plus jeune, j’écoutais beaucoup de musique, même je n'avais pas autant de cassettes comme que maintenant. Pour vous donner une idée, j'utilise 720 cassettes pour une seule œuvre. 
Donc, pour revenir à mon histoire, j'en possédais beaucoup mais jamais autant que mon besoin. J’ai toujours désiré une énorme collection de cassettes. Avec le souhait d'avoir une collection de mixtapes parfaites. Pour mes peintures, elles sont enregistrées à part car, dans mon travail, je fais une peinture avec une seule chanson, que j’enregistre en répétition encore et encore. Je n'utilise qu'une face sur la cassette.  Au début, j'utilisais les faces A et B. Mais à aujourd’hui, je n'utilise que la face A ou B. Pourquoi me direz-vous ? Parce que je crée une marque sur la cassette à chaque fois quand la chanson est terminée, et ces marquages font ensuite partie de la composition de l'oeuvre. Ça crée visuellement des points blancs dans la peinture et c'est bizarre et déroutant quand c'est sur les deux faces A et B, et ça ne me plait pas.

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Gregor HILDEBRANDT, Irma, 2022. Revêtement de bande magnétique VHS, colle acrylique, acrylique sur canvas, 249 x 127 cm. Photographe Guillaume Ziccarelli, Courtesy de l’artiste et Perrotin.
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Gregor HILDEBRANDT, Romy mit Nay (Kasten), 2022. Impression jet d'encre, boîtes cassette, cadre et structure en bois, 159.5 x 111.5 x 9 cm. Photographe Guillaume Ziccarelli, Courtesy l'artiste et Perrotin

L’O :  Il y a beaucoup d'inspiration cinématographique et certaines muses qui reviennent dans votre travail, comme Romy Schneider ou Shirley MacLaine. Pouvez-vous nous parler un peu de vos muses, de la fascination pour ces femmes et le cinéma.
GH : Shirley MacLaine est un nom qui m’est arrivé spontanément. J’avais mes habitudes dans un restaurant à Berlin appelé Irma La Douce décoré avec une immensité d'affiches du film. Je me suis dit que c'était une très bonne idée de faire quelque chose avec ce grand film de Billy Wilder, qui vivait aussi à Berlin. Je vis maintenant à Schöneberg. Donc, je pense que c'est une bonne raison de faire un écho à Billy Wilder et Irma La Douce, qui est un très grand film. Ce film est un peu comme un conte de fées, ce qui a été mon point de départ pour ce travail.
Je suis aussi un grand fan de L’Appartement, un autre film aussi réalisé par Billy Wilder.

L’O : Vous êtes maintenant un artiste à succès avec toutes les foires d'art et les expositions où vous êtes présent. Avez-vous encore le temps de regarder de bons vieux films en salle de cinema et aller à des concerts ? 
GH : Ça dépend. En réalité, je ne vais pas tellement aux concerts. Dernièrement, j’ai été amené à assister à beaucoup de concerts, mais un peu par accident. Ce que j'aime vraiment, c’est écouter de la musique à la maison, dans ma chambre, tout en jouant aux échecs et buvant du café. 

L’O : Vous aviez fait une grande œuvre d’installation autour des échecs, avec une multitude d’échiquiers sur le sol et toutes les pièces sur les étagères devant. Pouvez-vous nous parler de votre fascination pour les échecs ?
GH : J’avais fait cela pour une exposition à Zurich en 2016. J’ai eu l'idée de construire comme un magasin de “Prêteur Sur Gages” — où il est possible de troquer des figurines d'échecs. Quand on les isole du jeu, chaque pion devient comme une sculpture, et ça me fascine. Pour faire cette piece d’art, j’ai donc demandé à mon studio d'acheter beaucoup de pions au vu d’une installation monumentale. En revenant de mon voyage, j’ai eu la surprise de découvrir une tonne de jeux d’échecs. Je ne voulais vraiment que des pions. Mais, vous savez, la plupart du temps vous devez acheter l'ensemble du jeu. Impossible de n’acheter que des pions, il vous faut aussi le roi, la dame, les chevaux, les cavaliers et la table d’échiquier. Donc j’ai compris que je devais faire cette installation avec l’ensemble de pieces du jeu d'échecs. Autre fait fascinant : les échecs sont un jeu en noir et blanc, mais aussi dans la symétrie.

L’O : Qui sont vos artistes préférés ou vos artistes préférés de tous les temps ?
GH : J’en ai, ils changent au gré du temps. Je suis un grand fan de René Daniëls... Depuis longtemps j'apprécie vraiment cet artiste. Je me souviens aussi d’une exposition très importante que j'ai vu au pavillon américain à Venise, par Robert Gober. C'était vraiement super spécial pour moi de voir une exposition comme celle-là. 
Chez moi, vous pouvez aussi apprécier des peintures de Matthias Spitz, d'Axel Guys et de mon ami Dalizio bien sûr. J’ai la chance d’être entouré de beaucoup d'amis artistes, et je suis également un grand fan de Thomas Tripp. Tout comme Lionel Esteve, avec qui j’ai réalisé un projet d’exposition dans mon espace galerie.

L’O : Quels sont vos prochains projets les plus excitants?
GH : J'attends avec impatience mon exposition personnelle à Prague. C’est dans un immense lieu : une nouvelle fondation appelée Kunsthalle Praha, qui est la fondation de la famille Pudil. Ce sera la première exposition solo dans cet espace. Il est très centré, directement en dessous du château, donc vraiment bien placé. Vous pouvez vous y rendre en train, c'est un trajet de seulement quatre heures depuis Berlin. 

L’O : Quand est-ce que cette exposition commencera ? 
GH : Le 23 septembre. Les invités arriveront en amont à Berlin, et ensuite nous prendrons tous le train pour nous y rendre ensemble !

GREGOR HILDEBRANDT
WAS GEHT UNS DIE SONNE AN (WHAT DOES THE SUN MATTER TO US)
Jusqu'au 29 juillet, 2022
PERROTIN New York, 130 Orchard Street New York, NY 10002
www.perrotin.com

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Gregor Hildebrandt, Vue d’installation de Was Geht Uns Die Sonne An (What Does the Sun Matter to Us) à la galerie Perrotin New York, 2022. Photographe Guillaume Ziccarelli, Courtesy de l’artiste et Perrotin.
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Gregor Hildebrandt photographié par Guillaume Ziccarelli à la galerie Perrotin New York

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