Le nouvel irréalisme d’Oli Epp
Dans son exposition personnelle "Fire the Menu" à Perrotin New York, Oli Epp explore l’absurdité de l'excès en période de tragédie et d’agitation.
L’OFFICIEL : Pouvez-vous nous parler de votre exposition "Fire the Menu" à Perrotin New York et des nouvelles œuvres que vous présentez ? Le titre "Fire the Menu" semble faire référence à une expression utilisée dans les restaurants pour commander tout un menu. Comment cela se traduit-il dans vos peintures ?
OLI EPP : Le titre de l'exposition est "Fire the Menu", une expression qu’on peut utiliser dans un restaurant lorsque l’on souhaite commander toutes les entrées, plats principaux, desserts et accompagnements. Les thèmes principaux de l'exposition tournent autour de la gourmandise et de l’absurdité de l'excès en temps de tragédie et de troubles. Toutes les peintures montrent des luttes adoucies et des souffrances silencieuses. Vous verrez des flamants roses enchevêtrés se disputant dans la peinture "Rivalry". Il y a des nageuses synchronisées qui semblent à la fois chanter et crier dans "Sync", des amoureux dans une cérémonie de mariage imaginaire dans "I for an Eye Lovers", et deux éléphants voilés, forcés de peindre dans "The Great Unveiling".
L’O : Dans "Fire the Menu", la technologie est absente, et vous vous concentrez ici sur des symboles plus classiques. Qu'est-ce qui a motivé ce changement dans votre pratique artistique ? "Fire the Menu" explore des thèmes de consumérisme et de désir. Qu'est-ce qui a inspiré ce style de peinture plus extravagant et romantique ?
OE : Je pense que cette exposition marque une évolution dans ma pratique. J'explore des éléments plus fantastiques, oniriques et surréalistes, et je réfléchis beaucoup à l’idée de " Unrealism" (irréalisme). Contrairement au réalisme traditionnel, qui cherche à représenter les sujets de manière exacte et fidèle, le irréalisme déforme délibérément la réalité, créant un espace où l’impossible devient plausible et où l’ordinaire devient extraordinaire. Ce mouvement intègre souvent des techniques numériques et des technologies modernes, reflétant les frontières de plus en plus floues entre réalité et virtualité au XXIe siècle. Les objets que je peins ici sont toujours de la technologie – mais d'une autre époque. Ils sont, peut-être, plus romantiques. Un violon est une machine en bois, comme dans "Busk". Mon travail conserve les caractéristiques que je qualifie de Pop Post-Digital : des aplats de couleurs audacieuses et des formes exagérées qui créent un sentiment de cartoonisme, avec un réalisme dérangeant. Ce style sert à explorer des thèmes de la vie moderne comme le consumérisme et l'identité, car je représente souvent des figures sans visage engagées dans des activités quotidiennes. Cette nouvelle série présente un monde de rêve plus sombre, qui n’est pas si éloigné du réel.
L’O : L'humour joue un rôle important dans votre travail, souvent associé à une critique. Comment équilibrez-vous ces éléments pour créer une narration convaincante ?
OE : Je pense que, pendant les périodes de troubles et de difficultés, l’humour est nécessaire. Mon travail a toujours eu cette esthétique pop et lumineuse, masquant des vérités plus graves. L'humour crée des connexions, et être ludique permet une balance entre l'attrait et la provocation. J’aime qu’ils aient une saveur satirique, mais sans pousser de position morale – il n’y a pas de jugement, juste une réflexion. Ils évitent de prendre parti. Une partie de cet humour vient de la subversion et de la surprise, comme dans la peinture inversée "Wasabi". Le diptyque "Last Dance" est la seule œuvre qui ne soit pas accrochée dans le couloir. C’est une peinture sur le fait d’être vieux, mais de se sentir jeune. Elle donne le ton à l’exposition. L'œuvre est inspirée de ma grand-mère qui a eu un AVC un mois avant que je commence à préparer l’exposition. J'ai commencé à imaginer à quoi pourrait ressembler la dernière danse d’un couple : une affaire tourbillonnante teintée de tragédie et de folie. Les dentiers volent, les perles se brisent. C'est doux-amer.
L’O : Comment votre expérience dans la scène artistique londonienne et la création de PLOP ont-elles influencé votre pratique ? Le mentorat d'autres artistes a-t-il impacté votre propre développement artistique ?
OE : Absolument. J'ai toujours voulu mener une bataille contre New York et créer une énergie dans ma ville. Il s’agit d’amener des talents exceptionnels à Londres pour découvrir les musées, les galeries, et pour avoir un dialogue ouvert. Si je n’étais pas peintre, je serais dans l’hospitalité – j’adore recevoir des gens, et permettre la création artistique fait partie de ma pratique. La résidence PLOP a commencé en 2018 avec la conviction que vous pouvez aller à Yale et payer pour un cursus de MFA, ou vous pouvez inviter de grands artistes à vous rejoindre pour le déjeuner. C’est vraiment une continuation de l’école d’art pour moi. J’ai beaucoup d’amour et de soin pour ma ville et le programme me donne une vie créative et dynamique – aucun mois ne ressemble au précédent.
L’O : Le concept de "performance" est central dans votre nouveau travail. Comment définissez-vous "performance" dans le contexte de votre art ?
OE : Il y a certainement un thème de "spectacle" dans cette exposition, avec de nombreux interprètes jouant leur rôle. Nous avons un artiste de rue, des nageuses synchronisées, des danseurs et des flamants roses dansants. L'œuvre la plus autobiographique est "The Great Unveiling", représentant deux éléphants voilés, me symbolisant ainsi que mon assistant travaillant au studio. En tant qu’artiste, je considère que mon rôle est autant d’être un divertisseur qu’un peintre, mais une grande partie du travail est cachée. Ici, ces créatures sensibles et émotives sont réduites à des tours de cirque et sont forcées de créer. Elles sont entourées d’œufs d’or jetés, symboles de valeur et de potentiel, faisant référence à la perte potentielle ou à la dévaluation de la véritable créativité au profit du spectacle et des exigences de production.
L’O : Vos parents sont tous deux canadiens, et votre mère est dentiste. Parlez-nous un peu de vos origines, et comment avez-vous décidé de poursuivre une carrière artistique ?
OE : Ma mère est dentiste et chirurgienne esthétique. Elle m’a un jour appelé « sa sculpture », et voulait me faire des injections de botox depuis que j’ai 16 ans ! Je ne l’ai laissée que me façonner de fausses dents – dont une que j'ai cassée en préparant cette exposition. J’aime une canine pointue. Quant à devenir artiste – il n’y a jamais eu de plan B.
L’O : On décrit votre cuisine comme un "microcosme de votre univers imaginatif". Qu'est-ce qui rend votre cuisine si spéciale ? Comment votre environnement influence-t-il votre processus créatif ?
OE : J’utilise mon garde-manger presque comme une pièce d’installation. J’adore les logos, et les produits importés que l’on ne trouve pas à Londres. Je suppose que c’est en soi une performance car je reçois beaucoup, et les gens restent tout le temps chez moi. C’est une politique de porte ouverte. Je pense que j’ai des yeux très affamés !
L’O : Quels sont vos prochains projets ?
OE : Je jongle avec plusieurs projets et il y a beaucoup de choses en cours. Je vais organiser une exposition collective pour Perrotin Paris, et je suis ravi d’avoir ma première exposition solo dans un musée à Taïwan en 2025 ! J’adorerais concevoir une aire de jeux pour enfants dans un endroit permanent. C'est un rêve en cours.
Oli Epp
Fire the Menu
6 septembre - 19 octobre
PERROTIN NEW YORK
130 ORCHARD STREET
NEW YORK, NY, 10002
www.perrotin.com