Lames de fond
Propos recueillis par Yamina Benaï
Sur l’origine de l’exposition
Durant près de deux ans, nous avons travaillé avec Noelle Tissier, directrice du Crac de Sète, à la réalisation de cette exposition. En prolongement, l’exposition tenue à Montpellier offre un autre point de vue. Sète présente uniquement des œuvres nouvelles, or je n’ai pas montré de nouvelles pièces en France depuis l’exposition au Centre Pompidou en 2011. Le Crac est vraiment spectaculaire, c’est à mes yeux l’un des plus beaux lieux d’exposition en France. Il s’agit d’un ancien hangar posé sur le port, transformé, il y a une vingtaine d’années, en centre d’art. Les volumes sont amples, avec des hauteurs sous plafond très importantes. Cette amplitude nécessite un véritable investissement de la part des artistes, sous la guidance de Noelle Tissier qui, tout au long des vingt années à la direction du Crac, a réalisé un véritable accompagnement des jeunes artistes. Cela m’a beaucoup intéressé de concevoir entièrement une exposition, un parcours et surtout de montrer les dernières évolutions de mon travail. Il s’agit de pièces spectaculaires, mais peut-être porteuses d’une certaine gravité, née de différentes expositions où cette notion, notamment en lien avec le sacré, a pu apparaître… Cela est illustré, entre autres, par une immense vague noire, postée en ouverture du parcours. Cette vague en briques de verre, qui nous submerge, est une véritable architecture, du fait d’une structure qui a la taille d’un bâtiment... Une équipe entière a travaillé sur cette structure durant près d’un an. Il s’agit véritablement d‘un parcours construit pour susciter des émotions très physiques, avec la sculpture montrée suivant des échelles gigantesques.
Sur “La Grande Vague”
Cette œuvre est autonome, auto-portante, elle est la pièce majeure. Elle est constituée d’une structure metallique sur laquelle sont placées des briques de verre miroité, fabriquées en Inde par des artisans. Je me suis rendu en Inde il y a deux ans dans le cadre d’une résidence, où j’ai travaillé durant deux mois avec les verriers. On a mis au point ce nouveau module, qui n’est plus la perle telle que je l’utilise dans mon travail, mais une brique de verre. L’œuvre a nécessité de souffler plus de 10.000 briques.
Sur les nouvelles sculptures en obsidienne
C’est la première fois que ces œuvres sont présentées en France. L’obsidienne est un matériau avec lequel j’ai commencé à travailler il y a une vingtaine d’années. Je me suis rendu en Arménie, dans les mines où subsiste la seule source d’obsidienne en Europe, j’en ai rapporté des blocs bruts, que j’ai taillés comme des sortes de portraits posés sur socle de bois et exposés en hauteur. L’obsidienne est un matériau très mystérieux, tellurique, qui renferme en soi la force du volcan. J’ai conservé certaines parties brutes visibles, et d’autres polies d’une façon très précieuse.
Sur les peintures
C’est également la première fois que mes peintures au tampon sont exposées. Elles sont inspirées d’une observation de la nature, plus particulièrement des végétaux, dont la série intitulée “Black Lotus”. Les dessins initiaux présentent le cheminement du processus... Les “Black Lotus” puisent dans les formes de lotus, mais avec une idée de renversement de sens, un lotus n’étant jamais noir. Mon propos a été de jouer sur des figures poétiques, mélanger les opposés... pour identifier, même dans une fleur a priori pure et esthétique, une dimension sombre et inquiétante.
Sur les dessins
L’exposition dévoile 150 dessins, sortes de carnets de notes. On retrouve, sous forme d’aquarelles, toutes les œuvres emblématiques que j’ai réalisées à Versailles… C’est une façon de montrer un peu la façon dont je travaille, c’est donc également une exposition sur le processus créatif.
Sur le rôle de l’artiste
Le travail exposé répond également à la réalité qui nous environne. L’âpreté de cette réalité est annoncée, notamment, par La Grande Vague. Cette pièce a été exposée au Japon au moment du tsunami, suscitant de nombreux échanges avec les conservateurs du musée. Ici, elle s’est transformée en une architecture évoquant une vague... Il y a un recentrement de mon travail, dans le sens où le monde qui nous entoure est de plus en plus préocupant.
Dans certaines salles de l’exposition, d’immenses tornades sont suspendues au plafond, où le visiteur est happé, à la manière d’un vortex. Il me semble qu’en tant qu’artiste, à un moment donné, notre travail nous submerge et nous dépasse... Ce travail est tellement fort en lui-même qu’il peut, à la manière d’une tornade, vous éjecter. Vous vous retrouvez alors artiste-spectateur de votre propre travail. Il est donc essentiel de rester centré, de demeurer dans l’œil de la tornade, pour être en mesure de conserver le contrôle...
Sur la signification d’être “un artiste français”?
Aujourd’hui, mon travail est à la fois complètement français, et en même temps totalement international. C’est vraiment la gageure d’un artiste aujourd’hui, que de développer une forte identité, et en même temps de parvenir à parler à tout le monde. Sur la spécificité d’être “français”, je dirais qu’il y a peut-être un rapport à la beauté, à la littérature. Pour ma part, j’aime bien raconter des histoires, même si elles ne sont pas forcément visibles. Je crois également qu’il y a un rapport au temps différent, on a l’opportunité d’avoir un peu plus de temps. Nous ne sommes pas dans la nécessité d’une hyperproduction, comme cela peut être le cas aux Etats-Unis ou en Angleterre. Des pays où la puissance du marché induit une pression importante sur les artistes. Cette possibilité d’être un peu en retrait permet de conserver une latitude d‘action et de vue. Cela a longtemps été un handicap, aujourd’hui c’est une force de pouvoir prendre le temps.
“Jean-Michel Othoniel, Géométries amoureuses”
jusqu’au 24 septembre
Centre régional d’Art contemporain à Sète,
26, quai Aspirant-Herber F-34200 Sète, T. 04 67 74 94 37
www.crac.languedocroussillon.fr
Carré Sainte-Anne de Montpellier,
2, rue Philippy, 34000 Montpellier, T. 04 67 60 82 11
www.montpellier.fr