L'Officiel Art

“Une ingénierie de l’art, de la création et de l’incertitude”

Après avoir aiguisé l’intérêt des amateurs d’art contemporain et d’arts vivants avec, dès 2013, la mise en place de Lafayette Anticipations, la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette – espace d’expositions, de rencontres, débats, recherche… – ouvre ses portes le 10 mars à Paris, dans un édifice signé Rem Koolhaas. A cette occasion, François Quintin, son directeur délégué, dévoile le projet de ce lieu culturel planté au cœur du Marais, qui accueille l’artiste Lutz Bacher dans le cadre de son exposition inaugurale.
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L’OFFICIEL ART : Quelles ont été les motivations de Guillaume Houzé, directeur de l’image et de la communication des Galeries Lafayette et du BHV Marais et président de la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, dans la mise en œuvre d’un projet d’une telle ampleur ?

FRANÇOIS QUINTIN : La Fondation a été souhaitée par les Galeries Lafayette pour aller plus loin dans la relation à l’art et à la création. En effet, la proximité avec les artistes a toujours fait partie de l’identité des Galeries, depuis la réalisation de la coupole et des balustrades par Louis Majorelle et Jacques Gruber en passant par différentes relations avec des designers, des couturiers et artistes... En outre, plutôt que de créer un espace dédié à une collection, nous préférions que la Fondation soit un lieu doté d’un objectif utile pour l’art, qu’elle se donne pour mission d’accompagner le mieux possible les artistes dans le cœur même de leur travail, c’est-à-dire la production de leur recherche. La Fondation a ainsi été dessinée de telle sorte que le maximum de paramètres relatifs à la création puisse être alimenté par des outils, des moyens et, le plus important, des personnes pourvues d’une expertise spécifique. L’ensemble du dispositif fait de ce lieu une sorte d’ingénierie de l’art, de la création et, par extension, de l’incertitude, car on ne sait jamais à l’avance ce qu’un artiste va être amené à réaliser.

Comment la Fondation s’inscrit-elle dans un environnement tel que le Marais, relativement vierge d’institutions ? Comment envisagez-vous sa place dans le paysage artistique contemporain français ?

Tout d’abord, la Fondation est pensée pour être un lieu où l’on espère que le visiteur souhaitera revenir. Cela nous distingue de nombreuses institutions qui appellent à ce que le visiteur aille “contempler” des œuvres. Ici, le désir est de créer une situation de rencontre ouverte aussi bien au grand public qu’à des visiteurs experts. Cela a constitué l’un des enjeux : prendre en considération le fait que ce qui sera montré ou élaboré sera perceptible, compréhensible, abordable par tous les publics. Notre capacité à produire des œuvres est peut-être, au regard des autres institutions, notre spécificité, ce qui nous permet d’être non pas en concurrence mais potentiellement complémentaires, et ainsi de pouvoir accompagner la production d’une œuvre, d’une exposition, en partenariat avec des musées ou des institutions privées. Par sa situation géographique, la Fondation s’adresse également à un public international de passage entre le Centre Pompidou, la future Fondation Pinault, Notre- Dame de Paris, le BHV... Elle constitue donc un point de rencontre, et le public pourra rester en contact permanent avec le lieu à travers les réseaux sociaux, internet... Par rapport à un centre d’art traditionnel, la Fondation autorise une proximité avec la création et les artistes, offrant ainsi au public un rôle actif, dans la mesure où, d’une certaine façon, il prendra conscience de l’expérience qu’il vit avec les œuvres présentées.

Qu’est-ce qui a motivé le choix-manifeste de l’artiste américaine septuagénaire Lutz Bacher, qui, dans le cadre de l’exposition inaugurale, réalise une installation destinée à souligner la verticalité du bâtiment ?

Tout d’abord, nous souhaitions ouvrir la Fondation avec une exposition mono- graphique, pour marquer à quel point notre vocation est d’accompagner en profondeur un artiste. D’autre part, le fait que l’artiste soit une femme est un enjeu qui nous anime profondément. Enfin, notre volonté était de montrer une artiste qui, malgré d’importantes expositions dans des lieux prestigieux à l’étranger – ICA à Londres, Sécession à Vienne, MoMA PS1 et Whitney Museum à New York... – est très peu connue du public français, ce qui rejoint notre objectif de programmation, à savoir mener une recherche approfondie pour présenter des créateurs assez pointus et favoriser ainsi la découverte. Par ailleurs, Lutz Bacher est assez énigmatique : son nom est un pseudonyme et elle modifie constamment sa date de naissance... Lorsque j’ai découvert son travail, j’étais persuadé qu’il s’agissait d’un jeune Allemand... Aussi, je trouve intéressant de montrer une artiste pour laquelle les questions de genre, les considérations biographiques passent au second plan, voire sont inexistantes. En procédant ainsi, elle s’assure de concentrer intensément l’attention sur l’œuvre, sur sa puissance politique, ce que je trouve très beau et percutant. A fortiori dans le cas d’une artiste qui, comme elle, développe un sens de l’espace très marqué. Il nous a donc semblé significatif de révéler le bâtiment de la Fondation avec un artiste qui saurait donner une lecture symbolique forte : non seulement du lieu, mais également de Paris, de la France, et de l’état du monde actuel. Il est, en effet, di cile de ne pas relier une intervention artistique comme la sienne avec le contexte politique international. Son projet est indissociable non seulement du sens et des conséquences de l’avènement de Donald Trump, mais aussi d’une montée d’inquiétude en Europe et dans le monde. Le “geste” de Lutz Bacher donnera de l’espace une lecture particulière et insistera également sur la réalité du vide. Puisque le bâtiment, le premier conçu par Koolhaas à Paris, présente un vide central qui, paradoxe, est un élément fondamental de liaison avec un dispositif de plates-formes ascendantes et descendantes.

De quelle façon Lutz Bacher s’approprie-t-elle ce vertige vertical ?

Elle le contrecarre, proposant une grande installation vidéo, aux premier et deuxième étages, donnant ainsi une lecture davantage horizontale. Elle travaille beaucoup à partir d’éléments de récupération, aussi je trouve significatif qu’un lieu tel que la Fondation, dédié à la création, commence par montrer une artiste produisant non pas dans le sens de “fabriquer” mais plutôt de s’engager, de concevoir, de réfléchir. Cela n’est pas sans évoquer le fait que le premier ready-made de l’histoire a été acheté au BHV... Nous sommes donc, indirectement, liés à cette histoire. Le fait de prendre un objet tel quel et de l’inscrire dans un contexte qui en fournira une lecture autre, une vitalité de pensée différente, est un trouble de l’art qui perdure et s’exprime avec beaucoup de puissance dans l’œuvre de Lutz Bacher.


 

Fondation d’entreprise Galeries Lafayette,
“Lutz Bacher : The Silence of the Sea”,
exposition inaugurale du 10 mars au 30 avril,
Lafayette Anticipations, 9, rue du Plâtre, Paris 4e,
Le lieu accueille également un restaurant vegan,
une boutique, des ateliers...
www.lafayetteanticipations.com

© Lutz Bacher

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