Hommage à Yves Gastou, le pionnier ultime
Des serveurs du café de Flore aux collectionneurs aguerris, tout le monde à Saint-Germain des Près connaissait Yves Gastou. Tout le monde le connaissait et l’admirait. Sa galerie, située depuis 1985 au 12 rue Bonaparte près de l’école des beaux-arts était à son image : éclairante. Un terrazzo noir et blanc signé Sottsass qui avait stupéfié tout d’abord, émerveillé ensuite.
Sa silhouette immanquablement serrée dans une chemise blanche sous un costume noir, abritait un cœur passionné. Ses yeux tendres et bienveillants promenaient sur le monde un regard affuté, tranchant, dénué de snobisme. Ce qui lui permettait d’admirer et de saisir la beauté là elle est se trouve sans s’embarrasser des tendances stériles et des prédilections factices. Sa voix chantante développait un accent du Sud-Ouest qui n’etait jamais avare de conseils et de partages. Son panache de cheveux blancs enfin surmontait un cerveau en constante ébullition : hyperactif, curieux, passionné. Tous les jours il continuait de chiner.
Pour résumer en quelques mots sa vaste carrière, disons tout simplement que Yves Gastou a dépoussiéré le métier d’antiquaire. Son talent puisait son essence dans son enfance : auprès de son père – huissier de justice et commissaire priseur, il parcours les inventaires, aux cotés de sa mère, il visite les antiquaires locaux. La vocation : il est un défricheur né. Cette capacité à découvrir, ou plutôt à redécouvrir, ce sera sa signature. Dans sa boutique de Toulouse, puis dans son stand aux Puces de Saint-Ouen et enfin au cœur de sa galerie germanopratine, il remet au gout du jour les époques, mieux encore, il les confronte, les entrechoque, non sans espièglerie, organisant par exemple des regards croisés entre les grands décorateurs délaissés des années 40 (Gilbert Poillerat, André Arbus, Maxime Old) et le design contemporain du Studio Alchimia. De ces confrontations inattendues sont nées des discussions visuelles stimulantes autour desquelles se sont cristallisées l’essence du style Gastou.
Ce marchand iconoclaste était aussi un fervent collectionneur. Sa collection personnelle de bijoux d’homme – 1000 bagues d’époques et d’origines les plus diverses - nous avait confondu de surprise et d’admiration lorsqu’elle avait été présentée, pour la premiere fois, à l’Ecole des Arts Joailliers, avec le soutien de la maison Van Cleef & Arpels, en juillet 2018. «J'ai grandi à Limoux, petite ville de 10.000 habitants proche de Carcassonne, berceau médiéval des preux chevaliers et des guerriers insoumis qui a construit mon imaginaire. Dans les années 1960, à la fin de la messe à l'église Saint-Martin, je suis allé baiser la main de l'évêque, comme le voulait la tradition. Ma mère m'a surpris à y revenir trois fois, tellement j'étais fasciné par sa bague, dans cette ambiance d'orgue et d'encens à vous donner des frissons»
Cette passion longtemps gardée secrète, ce foisonnement qui parlait à l’œil, à l’âme et au cœur, correspondaient bien à l’image que l’on se faisait d’un homme qui toute sa vie, n’avait écouté que son goût, sans craindre le défi, ni la transgression. Il s’est éteint des suites d’un accident vasculaire cérébral qui l’avait frappé l’été dernier. Sa disparition, à l’âge de 72 ans – il était né le 1er mars 1948 à Carcassonne, laissera un vide immense.