Isamaya Ffrench : "Je me dois d'explorer l'histoire"
Vous jouez beaucoup avec les masques. Êtes-vous en recherche perpétuelle de théâtralité ?
J’imagine, même si c’est difficile dans la mode, plus que dans n’importe quel autre milieu. Pour moi, un professionnel du style se doit d’explorer l’histoire. Il doit réfléchir à comment transposer différentes cultures dans son travail, sans dénaturer la source, ni sa propre esthétique. Cette vision des choses permet d’avancer artistiquement, même dans la mode.
Y a-t-il une “technique” Isamaya Ffrench ?
La brosse à cheveux ! Et tout ce qui me passe sous la main. Je suis quelqu’un de flexible. L’important, pour moi, ce n’est pas le produit, mais la manière de l’utiliser. Je m’intéresse au geste créatif.
Dans le métier, vous êtes autodidacte. Quelles ont été les étapes clés de votre parcours ?
J’ai passé mon enfance à Cambridge. Comme tout le monde, j’ai étudié les maths, la physique, mais j’ai aussi fait beaucoup de danse classique et contemporaine. À 18 ans, après mon diplôme, je rejetais tout académisme. Je suis entrée au Chelsea College of Arts en design 3D, puis j’ai poursuivi à la Central Saint Martins en design industriel. L’année de mes 20 ans, j’ai intégré un collectif d’artistes génial – la Theo Adams Company –, avec lequel j’ai élaboré des performances mêlant l’art, la danse, la mode, le théâtre… On a même travaillé pour Louis Vuitton. Le week-end, pour financer tout ça, je maquillais des enfants à des fêtes d’anniversaire. Chaque semaine, pendant plusieurs années, j’ai ainsi pu apprivoiser les couleurs, les formes… Même si mon travail était vraiment naïf, ça m’a permis de me faire la main.
Comment un make-up peut-il refléter un style ?
À la Central Saint Martins, j’ai appris comment travailler avec une marque, comment créer pour une maison en appréhendant son esthétique. J’ai appliqué cette méthode au maquillage. Quand je travaille avec un créateur, un styliste, un photographe, chacun a sa propre personnalité. J’essaie de la comprendre, de l’interpréter, et j’apporte ensuite mon twist. Il faut pouvoir voir ce que l’autre veut voir.
Certains de vos travaux évoquent Cindy Sherman. Est-elle une influence pour vous ?
J’aimerais pouvoir créer comme elle. J’admire sa manière inhabituelle de provoquer des émotions. Quand j’ai travaillé avec Jean-Baptiste Mondino pour Jalouse, nous l’avons évoquée à plusieurs reprises, pour mieux nous en détacher. Jean-Baptiste a insisté sur le fait qu’il est toujours plus facile de rendre un visage grotesque. Au moment de sélectionner les images, je préférais d’ailleurs les expressions exagérées, laides, froissées… Mais il est beaucoup plus délicat de maquiller la beauté ou l’élégance. Il a fallu se remémorer le contexte : nous travaillions pour un magazine de mode, et non pour une galerie d’art. Il est important de savoir pourquoi et pour qui on travaille. Notre lectorat n’attend pas une commedia dell’arte. Cindy Sherman est incroyable, mais j’aimerais un jour la voir à l’œuvre dans cette recherche, si complexe, du beau.
Réalisation Jennifer Eymère
Direction de création et make-up Isamaya Ffrench
Photographie Jean-Baptiste Mondino
Assitantes photo Edwige Bultinck et Virginie Elbert
Assistante stylisme Marie Gibert
Coiffure Alex Brownsell
Assistantes Make-Up Kana Nagashima, Fanny Renaud et Delphine Delain