Pierre Yovanovitch : "le contact avec la nature m’est indispensable"
Pierre Yovanovitch est une superstar dans l’architecture d’intérieur. À son actif, l’hôtel le Coucou à Méribel, le restaurant Connaught à Londres, le siège parisien du groupe Kering, et une multitude d’autres réalisations exceptionnelles. Sollicité pour des projets aux 4 coins de la planète, il a aussi lancé sa propre marque de mobilier.
Pierre, quel est votre parcours ?
Dans mon domaine, je suis autodidacte. J’ai fait des études de commerce et commencé ma vie professionnelle dans la mode masculine chez Pierre Cardin avant de me consacrer pleinement à l’architecture d’intérieur. J’ai fondé mon agence en 2001 à Paris. Ma seule expérience était d’avoir décoré mes propres appartements et ceux d’amis. Chaque étape a été franchie assez naturellement et au fil du temps, j’ai pu m’entourer d’une équipe soudée et talentueuse qui rend ce succès possible. Le lancement de Pierre Yovanovitch Mobilier en mai 2021 est le résultat d’une démarche plus intentionnelle, j’y pensais depuis longtemps mais j’ai attendu le bon moment, ce qui n’a pas été facile compte tenu de ma nature impatiente.
Comment expliquez-vous votre succès ?
Cela tient à la capacité à concilier des qualités ou des aspects qui ne vont pas nécessairement ensemble comme la poésie et la rigueur, la gentillesse et la détermination, le rêve et la réalité, l’humilité et l’ambition. Il faut avoir une palette large, ne pas hésiter à se remettre en cause et garder l’esprit ouvert pour pouvoir évoluer. J’ai la chance d’avoir un esprit curieux allié à une très bonne mémoire visuelle, cela me permet de puiser dans une richesse d’influences pour créer ma propre vision.
Vous avez lancé votre propre marque de mobilier, quelle a été votre motivation et quelle est sa particularité ?
La création de mobilier a toujours fait partie de mon travail. J’ai commencé à dessiner du mobilier pour rendre les projets d’architecture d’intérieur uniques et pour m’assurer que les pièces étaient de la plus haute qualité et s’adaptaient parfaitement aux intérieurs. Au fil du temps, créer des pièces sur-mesure est devenu pour moi une forme d’expression. Outre la réalisation d’un rêve de toujours, le lancement de la marque de mobilier est un moyen de faire connaître mes créations à un public plus large, au-delà du contexte de mes projets d’architecture d’intérieur et de l’offre de ces pièces dans une galerie.
Parmi vos réalisations, l’hôtel le Coucou à Méribel qui compile tous les superlatifs. En résumé, une version épurée du luxe, un lieu exceptionnel à la fois moderne et apaisant. Quelles étaient les consignes au départ et comment avez-vous réussi un projet comme celui-ci ?
L’hôtel le Coucou est situé sur un site exceptionnel. Les clients avaient des envies particulières. Nous avons alors commencé à créer une histoire : Un hôtel traité comme un chalet familial et chaleureux. Pour y parvenir, nous avons multiplié les coins cosy où se lover et inventer un cocon intimiste. Les touches montagnardes sont présentes et twistées avec une pointe d’humour, d’élégance et de contemporanéité. J'ai essayé de réinterpréter le répertoire des années 60 en revisitant les codes décoratifs savoyards. Je voulais aussi de l’authenticité, comme si cet hôtel avait toujours existé.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Nous travaillons sur différents projets résidentiels et commerciaux dans le monde. Je prépare aussi une scénographie d’Opéra, une application très littérale de l’idée de raconter une histoire avec l’architecture. Enfin, nous aurons prochainement de nouvelles surprises concernant Pierre Yovanovitch Mobilier et notamment l’ouverture de notre premier showroom à New-York.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Partout. Dans la nature, les villes, les villages, pendant les voyages, sur les réseaux sociaux, dans les expositions et les foires d’art contemporain, les musées, les livres, chez les gens. Je suis en permanence en train de récolter des impressions positives qui viennent nourrir mon travail. En ce qui concerne le mobilier, j’ai un amour profond pour la Grâce Suédoise, un mouvement design des années 20 relativement peu connu. Gunnar Asplund, que je considère comme l’un des meilleurs architectes suédois de la première moitié du 20e siècle, faisait partie de ce mouvement, tout comme Axel Einar Hjorth. Rigueur, équilibre, courbe, profondeur des matériaux sont les caractéristiques des pièces de mobilier provenant de cette époque. Souvent simplistes et d’une qualité brute et organique, tout en étant à la fois extrêmement sophistiquées, elles étaient remarquables. Il y a aussi les designers américains du siècle dernier. Ils savaient comment contourner les conventions : l’acier, le liège, la céramique, le bois dont de nombreuses déclinaisons de ces matériaux étaient introuvables en Europe. La table basse en liège et chêne de Paul Frankl est fascinante ! Mon attrait pour cette période du design américain correspond aux intérieurs que je crée. J’aime la force et l’authenticité qui se dégagent de ces designs avec une quasi perfection architecturale, une apparente simplicité, une personnalité, une élégance, une touche d’originalité sans ostentation ou encore une arrogance et une exactitude intemporelle.
Vous avez commencé votre carrière auprès de Pierre Cardin, la mode a-t-elle encore une importance dans votre métier ?
J’avais beaucoup d'admiration pour Pierre Cardin, il avait une forme de génie, une personnalité hors norme qui le rendait attachant. Je me réfère souvent à lui comme un "architecte du vêtement". Il m’a appris la forme, le volume, la géométrie, la maîtrise des couleurs et le sens du détail.
La musique vous influence-t-elle ? Quels sont vos artistes préférés ?
Bien sûr. Je suis un grand amateur d’Opéra. Je citerai notamment Jessye Norman, qui était une grande amie.
Une journée avec vous ressemble à quoi ?
Quand j’arrive à l’agence, je fais toujours un point avec mon assistante de direction pour avoir une vue globale de ce qui se passe. Ensuite, j'enchaîne entre les points internes avec mes équipes et des rendez-vous clients.
Quelle est votre définition du beau ?
La crise actuelle a des effets sur les modes de vie que je considère positifs (moins d’agitation, plus de temps pour la réflexion, attention accrue portée à la nature) et négatifs (isolement, plus de virtuel, moins de réel). Ces changements sont très rapides et très radicaux. Ils ont évidemment un impact sur mon activité. Mon métier n’a pas pour vocation de changer le mode de vie des gens mais de créer un cadre dans lequel ce mode de vie est le plus naturel, riche et agréable possible. Dans ce contexte, le rôle du beau est de mettre les gens en harmonie avec leur vie.
Votre couleur préférée ?
J’aime toutes les couleurs, cependant si je devais en choisir une, ce serait le bleu.
Votre matière de prédilection ?
J’aime les matériaux que l’on peut façonner mais qui ne sont jamais totalement prévisibles. Par exemple, ma prédilection pour le bois massif tient pour une large part dans le fait que sa matière évolue dans le temps, d’une manière que l’ébéniste aura anticipée mais jamais complètement prévue. En quelque sorte le bois massif gardera une part de liberté et pourra toujours nous surprendre. J’aime l’unicité, l’individualité. Cela est dans une certaine mesure contradictoire avec l’idée de design mais rend mon travail passionnant. Cela renvoie aux aléas de la nature que nous ne pouvons pas dompter.
Le lieu que vous adorez ?
Mon jardin, au Château de Fabrègues en Provence. Le contact avec la nature m’est indispensable et m’apporte une plénitude que je ne trouve nulle part ailleurs. La nature m’enseigne la patience et le respect du terroir, elle m’apprend que la domestiquer consiste à la connaître et à l’accompagner, à favoriser son éclosion, pas seulement à lui imposer ma volonté. Il en va de même pour l’utilisation de matière naturelle dans les objets.