Qui est Oslo Grace, chef de file de la non-binarité ?
Je me souviens très bien du défilé Gucci, en février 2018 à Milan. Vous portiez dans vos bras un dragon cyborg...
Oslo Grace: C’était insensé. Avant de l’avoir dans mes bras, je ne savais même pas que j’allais porter ce petit dragon... Au moment du casting, Alessandro Michele nous avait présenté son projet avec Makinarium, la boîte d’effets spéciaux, de manière à ménager le suspens. Les têtes coupées, les animaux... Nous savions tous que ces artefacts étaient une idée de génie, sans savoir comment ils allaient être reçus.
Ce passage vous a valu le surnom de “Mother of dragons”...
Je suis fan de Game of Thrones. J’ai effectivement posté sur Instagram, après le défilé, une photo de moi portant le dragon. Dans la foulée, mes abonnés ont commencé à taguer Emilia Clarke, qui joue Daenerys Targaryen dans la série...
Êtes-vous geek, ou même nerd ?
Je regarde assez peu de séries TV, finalement. Mes amis me perçoivent définitivement plus comme “dingo” que comme nerd.
Quid de votre famille ? J’ai lu que vous aviez grandi avec sept frères...
J’ai grandi avec deux frères biologiques mais, en 2012, ma famille a pris en charge cinq autres garçons. Certains vivent encore à la maison, d’autres ont déménagé... Je me suis construit dans une atmosphère insensée, chaotique, mais je n’échangerais ça pour rien au monde.
Comment vous ont élevé vos parents, vous qui, aujourd’hui, vous revendiquez “transgender non-binary”, c’est-à-dire ni femme ni homme ?
D’une façon complètement binaire. Dans la première moitié de ma vie, ils ont voulu que je me conforme à l’archétype de la “fille”. Je ne les blâme pas pour ça. Ils n’avaient eu, jusque-là, que des garçons, j’étais le seul de leurs enfants né fille... Assez tôt, vers 6 ou 7 ans, j’ai commencé à me différencier dans mon comportement. Ces aspirations, plus propres à un “garçon”, allaient devenir une source de tiraillement, puisque mes parents voulaient qu’il en soit autrement. Finalement, bien des années plus tard, ils m’ont largement soutenu quand j’ai fait mon coming out. Être à l’écoute de ses enfants, c’est un travail de longue haleine.
Comment êtes-vous devenu modèle ?
Enfant, on attendait de moi que je sois quelqu’un de féminin... et je détestais tout ce qui était girly. La mode en faisait partie. “Habille-toi en robe, mets du rouge à lèvres, et laisse-toi photographier pour que le monde entier te voie.” Ça résonnait comme une torture pour moi ! Mais la vie en a décidé ainsi... Au lycée, j’ai eu un sévère accident de rugby, dont ma mémoire à court terme a d’ailleurs gardé quelques séquelles. Il m’a fallu trouver un hobby autre que le sport. J’habitais près de New York, j’avais du temps libre, je me suis donc essayé au mannequinat. Cela pris une tournure inattendue.
Vous en avez fait un moyen d’affirmation de soi...
Le mannequinat aide à comprendre, de manière accélérée, des choses sur soi-même. À apprendre de ses erreurs, à développer des compétences en conséquence. Vous voyez des photos de vous, certaines que vous aimez, d’autres non... On vous confronte à ce que vous projetez vraiment, ce qui n’est pas forcément ce à quoi vous aspirez. Cette tension entre l’être et le vouloir être, je l’ai prise comme un combat.
Votre compte Instagram reflète cette évolution...
C’est drôle, c’est vrai, j’ai gardé toutes mes anciennes photos. Je ne voulais pas de rupture entre ma vie d’avant la mode et ma vie d’après. J’ai toujours pris beaucoup de photos, surtout de paysages. Si mes souvenirs sont bons, j’ai dû poster une seule photo de moi avant de devenir mannequin, n’est-ce pas ? Ma vie a considérablement changé depuis.
La binarité est profondément ancrée dans notre société. L’affirmation d’un troisième sexe, un sexe neutre, est-elle nécessaire ?
Théoriquement, chacun naît fille, garçon ou intersexué. Dans certains pays, on commence à parler de la reconnaissance d’un sexe neutre à l’état civil mais c’est sujet à controverse... Pour ma part, je demande simplement aux gens d’ouvrir les yeux et de reconnaître que tous les hommes ne sont pas des archétypes de masculinité. Et que toutes les femmes ne sont pas des archétypes de féminité. Oui, on peut naître femme, comme moi, homme, comme d’autres, mais s’identifier à un autre sexe que le sien. Ça ne se borne pas à la biologie.
Comment voyez-vous votre avenir ?
J’aimerais garder contact avec les gens que j’ai rencontrés dans la mode, mais je ne pense pas y rester éternellement. À long terme, je souhaite développer mon activité militante et finir ce que j’avais commencé à l’école, la biologie et les études vétérinaires... Étant très attiré par l’est de l’Asie, je m’imagine bien construire quelque chose là-bas, pourquoi pas dans l’environnement et la conservation animale.
Un rêve de gosse ?
La construction d’un conservatoire d’espèces animales et végétales le plus grand, le plus indépendant et le plus écologique qui soit. Ça, c’est mon rêve. Je ne sais pas si ça arrivera un jour, mais c’est bien de rêver.
Photographie par : Danny Lowe
Stylisme : Magali Martin & Romain Vallos