Qui es-tu, Kevin Germanier ?
A mi-chemin entre une party-girl habituée du Palace et une guerrière aussi féminine que digitale, l'esthétique de Kevin Germanier est haute en couleur. Digne successeur d'une génération de créateurs exhubérants mais intelligents, il assène aux silhouettes minimales qui font fureur un bon coup de pied, serti de perles et de cabochons. En utilisant des pièces défectueuses récupérées chez des fournisseurs premium, du simple t-shirt blanc au Levis 501 en passant par les souliers et les sacs à main, le designer helvète rend l'imparfait glamour et sparkly en y insérant sequins, paillettes à haute dose. Alors qu'il présentait, lors de la semaine de la mode, sa première collection, nous avons rencontré celui qui peut se targuer de réinventer la mode éthique en empruntant un chemin juste, crédible et honnête vers l'eco-concious. Portrait.
Votre parcours ?
Il a commencé à Grange, en Suisse, d'où je suis originaire. J'ai toujours voulu faire de la mode, mais certains clichés valaisans n'étaient pas forcément adaptés à mes envies. Comme jouer au foot, ou travailler dans une banque. J'ai donc opté pour des études dans l'architecture, puis suis rentré dans une école préparatoire en couture. C'est vraiment là que j'ai appris à coudre, poser des biais, toutes les notions techniques. J'ai intégré la HEAD à Genève ensuite, à 20 ans. J'étais un peu cliché en fait, dopé aux défilés de Balmain, Givenchy sur Internet. D'où mes inspirations "geeky", j'ai grandi avec cela. Et c'est cette année là que j'ai postulé à la Central Saint Martin's, dans le plus grand secret. Pour reçevoir, un jour à 5 heures du matin, un mail qui m'informait que ma candidature avait été acceptée ! Après une année sandwich passée à faire des stages, j'ai gagné le Redress Design Award, une compétition sustainable à Hong-Kong, et j'ai commencé à travailler chez Louis Vuitton.
Votre univers ?
J'ai un style très girly, très leché, coupé au couteau presque. Et surtout Shiny a.f. On m'a toujours dit que j'étais "constipé" (rires). Il fallait que je lâche du lest, que je détende ma création, car j'ai une certaine forme de psychorigidité dans mon travail. L'héritage suisse sans doute. Mais au lieu de changer ce côté de ma personnalité, je le revendique aujourd'hui. Je m'en fiche d'être trendy. Germanier ce n'est pas ça. La femme que j'habille respecte le passé, elle a une vraie sensibilité pour la haute-couture, elle est consciente du présent, que nous sommes en plein "fucked-up time" à cause de la surconsommation et de la fast-fashion, mais elle est déjà dans le futur.
Votre vision du sustainable ?
Je ne m'étais jamais considéré comme quelqu'un de "sustainable", et j'ai utilisé des vêtements défectueux pour nourrir l'histoire de Germanier, pour que l'on se souvienne. C'est une démarche qui j'espère va être adoptée par de plus en plus de créateurs. Ce n'est plus une tare de travailler avec des objets défectueux, au contraire, c'est une force. Germanier consiste en une espèce de satyre du monde de la mode tel qu'il est aujourd'hui, de la consommation excessive, du rythme effrené des collections. Lorsqu'on achète un jean troué en boutique, pourquoi ne pas en acheter un en seconde main qui en a déjà ? Il n'y a plus de logique aujourd'hui, le sens du marché est biaisé, trompeur.
Votre égérie rêvée ?
Sailor Moon ! Ma muse est digitale, elle n'existe pas. C'est pour cela que j'ai toujours cette obsession de créer des vêtements, parce que je n'ai pas encore réussi à l'habiller. Je n'y arriverai sûrement jamais d'ailleurs, et c'est de cette frustration que découle ma créativité. Sailor Moon est très "kevinish", parce que c'est une petite fille, une petite écolière, qui est banale, souvent naïve. Et il arrive que suite à cerains évènements, elle se transforme en une badass' girl, une espèce d'avatar coloré super girly, mais sans avoir l'air d'y toucher. C'est ça le message : en portant Germanier, on devient une version affirmée et améliorée de soi-même.
Crédit photo & vidéo : Nikolay Biryukov