KiKi Layne : "Je fais tout pour qu'on ne me colle pas une étiquette"
Photographie par Brad Torchia
Stylisme par Allison Edmond
C’est un rêve dont les jeunes filles qui ont grandi en lisant des contes de fées et autres princes Charmant se souviennent. Mais lorsque vous êtes une personne de couleur, c’est un modèle qui peut vous sembler extrêmement hors de portée. Il n’est pas étonnant que l’actrice KiKi Layne, née Kiandra Layne, tienne si près de son cœur l’adaptation cinématographique de Robert Iscove de Cendrillon. Sorti en 1997, alors que Layne n'avait que cinq ans, le film marqua la première fois que l'actrice s'est "vue" à l'écran — à travers le rôle de Brandy, 18 ans à l'époque, incarnant une version noire de l'héroïne de Charles Perrault.
Environ deux décennies plus tard, KiKi Layne joue enfin sa propre princesse. Dans Coming 2 America, la suite de la comédie classique des années 80 mettant en vedette Eddie Murphy dans le rôle du prince Akeem de la nation africaine fictive Zamunda, KiKi Layne joue Meeka, la fille aînée d'un Akeem aujourd'hui beaucoup plus âgé. Alors qu'Akeem se prépare à assumer son rôle de roi de Zamunda, Meeka s'apprête à endosser celui de princesse.
Sorti plus de 30 ans après l'original, ce nouvel épisode tourne en grande partie autour du couronnement d'Akeem en tant que roi et — en l'absence d'héritiers masculins — de la préparation de Meeka pour un jour suivre les traces de son père et régner à son tour. Cependant, un imprévu fait surface quand Akeem découvre qu'il a, en fait, un fils vivant quelque part en Amérique. Contraint par la loi Zamundan, Akeem est poussé à déplacer ses efforts vers son descendant masculin. Pendant ce temps, Meeka, une guerrière féroce avec un sens déterminé de la détermination féministe, est obligée de voir ses rêves se dissiper alors qu'elle affronte un système construit sur des normes sexistes obsolètes. "Le simple fait de jouer une princesse africaine était déjà incroyable", raconte KiKi Layne à L'OFFICIEL à propos du rôle. "Mais Meeka a aussi tellement de force et d'intégrité. Elle botte le cul à tous ceux qui encombrent son passage. Le fait de représenter une femme noire forte à l'écran, symbole de la royauté noire, de la beauté et de l'excellence — j'étais tellement attirée par cela."
Nous sommes un mardi après-midi de février et KiKi Layne est assise à une table dans sa maison de Los Angeles, vêtue de l’un des T-shirts oversized le plus mode du moment, signé du créateur Pyer Moss. Soutenir les créateurs afro-américains est devenu essentiel pour l'actrice, qui a pris l'habitude de porter leurs vêtements aux côtés des "Diors, des Pradas, des Guccis et tout ça". À l'extérieur, des camions font un vacarme pas possible : "Et bien je suppose que c'est le jour des poubelles", plaisante-t-elle à un moment donné, alors qu'un klaxon l'interrompt. "Vous ne réalisez pas que des gens travaillent ici ?! (rires)"
Née à Cincinnati, Ohio en 1991, KiKi Layne a commencé à étudier l'art dramatique dans une école des arts du spectacle alors qu'elle n'avait que sept ans. Elle a ensuite fréquenté la Theatre School de l'Université DePaul avant d'obtenir son diplôme avec un BFA en 2014 et d'intégrer la communauté théâtrale de Chicago pour plusieurs années. En 2015, Layne avait décroché un rôle principal dans Veracity, un court métrage sur une étudiante exclue après avoir été qualifiée de fille étrange par ses camarades de classe. En 2016, elle est apparue dans la série réalisée par Lena Waithe, The Chi.
Ses débuts officiels à Hollywood se font en 2017, lorsque Barry Jenkins (qui a réalisé Moonlight) offre à KiKi Layne un premier rôle dans l'adaptation de la captivante histoire d'amour de James Baldwin Si Beale Street pouvait parler. Elle y campe Tish, une jeune fille de 19 ans qui découvre qu’elle est enceinte juste au moment où son petit ami est emprisonné après avoir été faussement accusé de viol. Grâce à la victoire aux Oscars de Jenkins pour son film Moonlight et à un casting de stars comprenant Regina King, Stephan James, Colman Domingo et Teyonah Parris, le film Si Beale Street pouvait parler a, à juste titre, attiré l'attention. Sa performance complexe et profonde a permis à l'actrice de s'imposer comme une véritable star.
Avec le succès du film, la jeune actrice a immédiatement été mise sous les projecteurs, une expérience "assez folle" dont elle se souvient encore, quelques années plus tard. "C'était une chose étrange. C'était tout ce dont je rêvais et tout ce pour quoi j'ai travaillé si dur", dit-elle. "Et en même temps, c'était comme, "Oh, ça vient aussi avec une contrainte à laquelle je ne m'attendais pas." La "contrainte" impliquait le rythme soutenu d'interviews et d'évènements promotionnels sans fin qui forçaient les projets à se succéder : "J'étais prise dans un véritable tourbillon", explique-t-elle. C’est pourquoi la mise en quarantaine provoquée par la pandémie a été une bénédiction pour elle. "Je suis reconnaissante du temps que cela m'a donné pour enfin me poser", admet-elle. "Les années 2018 et 2019 ont été assez folles. J'avais vraiment besoin de cette période l'année dernière pour rester tranquille, me reconnecter avec moi-même. J'ai beaucoup appris sur ce que signifie prendre soin de soi et s'introspecter, afin de m'assurer que je ne sacrifie pas trop de mon mental pour servir ma carrière."
Layne a rapidement enchainé Beale Street avec un rôle dans Native Son, où elle joue Bessie, la petite amie du protagoniste troublé du film Bigger, joué par Ashton Sanders. Coïncidence : Ashton Sanders était la star de Moonlight réalisé par Jenkins, un casting à la limite de l'extraordinaire car les acteurs se connaissaient déjà : "Ashton et moi nous connaissions de DePaul en fait", répond Layne lorsqu'on lui demande si le couple s'est lié grâce à leur travail avec Jenkins. En fait, elle est allée voir Sanders pour obtenir des conseils avant de se lancer dans Beale Street. "Fais juste le travail, mec. Fais le travail et tout ira bien", a alors dit Ashton Sanders à KiKi Layne. Lorsque Jenkins l'a appelée pour lui faire savoir qu'elle avait le rôle, elle a immédiatement dit au réalisateur : "Je dois appeler Ashton !". Jenkins, naturellement, lui a interdit de le faire, en disant: "Non. N'appelez personne. Vous ne pouvez encore appeler personne."
Après ces films, il ne serait pas surprenant de voir Layne s'engager sur la voie des drames indépendants, où elle serait continuellement choisie comme partenaire d'un homme aux prises avec des démons psychologiques. Mais Layne a assuré que ce ne serait pas le cas. "Je l'ai dit clairement autour de moi : "N'imaginez pas juste m'envoyer pour des trucs qui ne sont destinés que pour une fille noire. Je n’accepterai pas cela", se souvient-elle avoir dit à ses agents. "J'ai l'intention de ne pas être mise dans une boîte et de représenter les femmes et les créateurs noirs à Hollywood. J'adore briser les stéréotypes et les hypothèses sur le type d'histoires dans lesquelles il est logique de voir un corps noir."
Cette philosophie s'étend certainement à son dernier film, The Old Guard, un film d'action de super-héros à gros budget sur un groupe de mercenaires immortels. Réalisé par Gina Prince-Bythewood de Love & Basketball, le film met en vedette Charlize Theron dans le rôle d'Andy, la cheffe de l'équipe immortelle. Layne, quant à elle, joue Nile Freeman, une militaire dévouée qui meurt après que sa gorge ait été brutalement tranchée par une force armée, avant de ne revenir inexplicablement à la vie — sa gorge miraculeusement guérie. Le film acclamé par la critique s'articule autour de la relation compliquée entre Andy, une combattante du crime blasée et sans fioritures, et Nile, une militaire diligente accrochée au fait qu'elle ne peut jamais vraiment mourir. Sans surprise, l'alchimie entre les deux actrices — KiKi Layne, une nouvelle venue dans les films d'action; et Charlize Theron, une habituée que Layne qualifie comme celle qui "a ouvert la voie en termes de représentation des femmes dans le genre de l'action" — a bien fonctionné.
KiKi Layne a reçu l'appel à auditionner pour Coming 2 America alors qu'elle était encore sur le plateau de The Old Guard, mais après des mois immergés dans un monde d'action, elle avait besoin de quelques ajustements avant de se lancer dans la comédie. La première a été d'adopter un accent africain, qu'elle a travaillé en se tournant vers une autre nation africaine fictive : Wakanda. "À ce moment-là, j'avais tellement regardé Black Panther que lors de mon audition pour être la princesse de Zamunda, je ressemblais à une vraie Wakandan", se souvient-elle en riant. Heureusement, la transition a été la bienvenue. Filmer The Old Guard avait été ardu, exigeant un "entraînement intensif" pour se préparer physiquement à incarner un soldat immortel. Et bien que KiKi Layne ne se soit certainement pas plainte de son niveau élevé de forme physique, elle admet rapidement que le plateau de Coming 2 America — où elle était entourée de légendes noires de la comédie comme Murphy, Arsenio Hall, Tracy Morgan et Leslie Jones — était un cadeau du ciel. "Honnêtement, entrer dans ce monde un peu plus de glamour était agréable", ajoute-t-elle. "Sur le plateau, j’ai dit : "Oh, j’ai oublié à quel point les faux cils m'ont manqué !"
Elle a particulièrement aimé ses looks, d'autant plus que cela lui donnait l'opportunité de travailler avec la virtuose du costume de cinéma Ruth E. Carter. "Je veux dire, c'était insensé dès la première conversation que j'ai eue avec Ruth", dit-elle, ne faisant aucun effort pour cacher son admiration pour la créatrice de costumes oscarisée. Elle encense Carter pour avoir si justement "compris" le personnage de Meeka, qui "aime son pays" mais comprend également que "certaines de ses traditions l'empêchent d'être ce qu'elle rêve d'être et ce qu'elle mérite à juste titre d'être." Elle aimait la façon dont cela se reflétait dans les costumes : "Vous voyez cette rupture avec la tradition", explique-t-elle. "Certains des bijoux de nez de Meeka, ses chaînes, tout ça. Ces coupes uniques. C'était magnifiquement raconté."
Pour KiKi Layne, le premier Coming to America était un must-see culturel. En plaisantant à moitié, elle fait référence aux paroles emblématiques de Kanye West, demandant rhétoriquement : "Si vous n'avez pas vu le premier Coming To America, je vous juge vraiment. Comment, Sway ?! Comment c'est possible ?". Avoir la chance d'apparaître dans sa suite n'est pas seulement un rêve devenu réalité pour elle, mais quelque chose qu'elle est heureuse de partager avec sa famille. "Ma famille entretient un lien très personnel avec le film original", dit-elle, ajoutant que c'était le film préféré de son frère aîné de tous les temps. "Ils sont tellement excités. Ils ne savent pas où se mettre."
Après la comédie, Layne entrera dans le territoire du thriller psychologique dans Don't Worry Darling d'Olivia Wilde, et dans un futur proche, elle se lancera dans l'horreur pour Ring Shout, l'adaptation des nouvelles de P. Djèlí Clark réalisée par Kasi Lemmons. Dans le rôle de Maryse Boudreaux, une jeune femme chargée de combattre les démons du "Ku Klux" à l'aide de son épée magique, la première incursion de Layne dans la série a tout pour devenir le prochain Lovecraft Country grâce à son genre qui reprend l'histoire sordide des États-Unis avec le racisme. L'actrice y était attirée en raison de l'accent mis sur les effets psychologiques de voir des Noirs assassinés tous les jours sans cérémonie — un phénomène bien trop pertinent dans le récent sillage des meurtres consécutifs de citoyens noirs non armés comme Ahmaud Arbery et Breonna Taylor.
Comme tout le monde, KiKi Layne a besoin de trouver un équilibre — personne ne souhaite tout le temps, sans répit, traiter des traumatismes vécus par la communauté afro-américaine — c'est pourquoi elle est tout aussi enthousiasmée par son premier rôle dans une prochaine ré-édition Disney de Rescue Rangers : "Petite, j'imagine ce que cela aurait signifié pour moi de voir que, parmi tous les personnages animés, le seul être humain me ressemble", dit-elle sérieusement. "C'est cela qui me guide. Quand je suis à la recherche de projets, je me demande toujours : "Qu'est-ce que cela représente pour la petite fille noire qui vit encore en moi ?"
C’est à ce moment là que KiKi Layne revient sur son lien avec Cendrillon — la première fois qu’elle a vraiment vu cette "petite fille noire" représentée à l’écran : "Brandy en tant que Cendrillon, en tant que princesse, et Whitney Houston en tant que marraine — je pense que la diversité mise en avant dans ce film est passée au dessus de beaucoup trop de gens", dit-elle. Elle remercie Disney d'avoir enfin ajouté le film à son service de streaming. "C'était probablement la première fois que je regardais un film et juste…" Elle s'arrête brièvement. "Les tresses ! La peau ! Le chant ! Juste la beauté de tout cela."
Avec la multitude de projets qui l'attend, KiKi Layne représentera sans aucun doute, pour une autre petite fille noire, ce que Brandy représentait pour elle durant toutes ces années. L'actrice est la preuve que vous pouvez être tout ce que vous voulez, que ce soit un Rescue Ranger, un super-héros immortel ou un combattant de la résistance magique maniant l'épée et tuant les démons. Mais aussi, tout simplement, une princesse africaine.
COIFFURE Larry Sims
MAKEUP Rebekah Aladdin
DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE Brad Torchia
EDITOR Molly O’Brien
PRODUCTION Viewfinders