Coup de cœur : La DoubleJ, une marque qui donne des envies d'Italie
Vous avez quitté New York il y a dix-sept ans pour devenir journaliste à Milan, un sacré choc des cultures, non ?
J.J. Martin : Avant d’être journaliste, j’ai été directrice marketing chez Calvin Klein à New York. Dès mon arrivée en Italie, j’ai suivi des cours intensifs de journalisme. Ma carrière a commencé au Fashion Wire Daily à Milan. Je couvrais tout, des défilés aux événements en passant par les rapports financiers. Un an plus tard, Suzy Menkes m’a demandé d’écrire pour le International Herald Tribune, et c’est ainsi que ma carrière a pris son envol. D’abord au Harper’s Bazaar américain en tant qu’éditeur européen, puis au Wall Street Journal et au Wallpaper. Au début, vivre et travailler en Italie était plutôt difficile. C’était à des années-lumière de ma vie à Manhattan. Il n’y avait pas de yoga, ni de Pilates ou de grands cafés au lait, rien ne fonctionnait sans fil, pas de nourriture sans gluten, rien à emporter ni ouvert le dimanche, il n’y avait jamais assez de climatisation entre juin et juillet. J’ai dû apprendre péniblement à cuisiner et à m’ajuster. L’Italie fonctionne sur un autre emploi du temps ; tout y est plus détendu. Les choses y sont moins structurées et organisées, que ce soit dans une entreprise, un supermarché, un dîner ou une banque. Au début, je détestais ça et j’étais frustrée par tout. Mais quelques années plus tard, je me suis finalement installée dans le rythme de ce pays et de sa culture, et quelle richesse ! J’apprécie l’ouverture d’esprit des Italiens, la façon dont ils m’ont accueillie et acceptée. Maintenant, quand je retourne aux États-Unis, je suis généralement ennuyée par la rapidité du quotidien. Je n’aime plus les grands magasins. J’adore le petit primeur en Italie et les relations privilégiées que j’ai avec le garçon de café ou celui de la station-service. J’aime surtout retourner dans ma ville natale, Los Angeles. J’aimerai toujours leurs cours de yoga, les classes spéciales de vinyasa flow spécifiques à Venice Beach et la délicieuse nourriture végan facile à trouver dans des endroits comme Erewhon.
La DoubleJ est aujourd’hui une marque mode et lifestyle. À ses débuts, en 2015, c’était un site de vente en ligne de vos collections mode et bijoux vintage. Racontez-nous cette aventure...
La DoubleJ a commencé comme un projet pas- sionnel. Je collectionnais des vêtements et des bijoux vintage depuis vingt ans et j’étais obsédée par les imprimés et les couleurs 60s et 70s. J’avais aussi appris à connaître et apprécier les élégantes artistes de Milan. J’ai donc lancé le site La DoubleJ pour rendre hommage à ma passion et à ces femmes. Au départ, nous avons photographié des architectes et des stylistes, des designers de meubles et des galeristes, chez elles, vêtues de pièces vintage. Cela s’est avéré un vrai succès, mais c’est devenu difficile de se renouveler et d’obtenir un chiffre d’affaires en progression lorsque la production repose sur un bijou vintage que vous venez de trouver. J’ai donc décidé de créer une robe en utilisant des imprimés vintage que j’ai trouvés dans des archives de soierie du lac de Côme. Cela a été une démarche totale- ment spontanée. La fondatrice de Matches.com, Ruth Chapman, l’a adorée et l’a mise en ligne. Nous avons maintenant toute une ligne de prêt-à-porter, de maillots de bain, de pièces d’extérieur, de vêtements soir ainsi qu’une collection maison comprenant des assiettes, du linge de table, des vases, des draps, des coussins et des meubles. Je n’avais jamais prévu de créer, dessiner et diriger une marque de mode et de maison, mais c’est ce qui est arrivé.
Parlez-nous de vos collections mode, de vos inspirations, de vos envies ?
Tous les produits sont censés être faciles à porter. Les imprimés font partie de notre signature. On les intègre partout, on les mélange, on les dépareille et on joue la carte des contrastes. Au début, nous avons travaillé exclusivement avec des imprimés vintage, mais à mesure que mon équipe a grandi, nous nous sommes mis à en concevoir nous-même. L’ambiance joue une part importante dans ce que nous réalisons. Il faut être heureux, sinon ce n’est pas La DoubleJ. Quand j’ai commencé mon site, j’étais très inspirée par l’Italie et les femmes de ce pays et nous sommes toujours enracinés dans cela. Notre concept est le style de vie à l’italienne: comment les Italiens mangent, s’habillent, se divertissent, cuisinent, décorent et passent leurs vacances.
Vous avez été journaliste pour le magazine Wallpaper, une référence en matière de design et de décoration d’intérieur. Cela a-t-il été formateur pour lancer votre marque très lifestyle ?
Le temps que j’ai passé à Wallpaper a été fondamental dans mon voyage vers La DoubleJ. C’est drôle parce qu’à l’époque, je ne voulais pas travailler là-bas. Quand ils sont venus me demander de les rejoindre, je traversais un mauvais moment professionnellement. Je ne pensais pas m’intéresser à ce magazine de design très minimaliste. Mais une fois que je me suis ouverte à cette nouvelle aventure, j’ai réalisé à quel point c’était un cadeau. J’ai rencontré tous les architectes, artistes, designers de meubles et galeristes de Milan. J’ai développé de merveilleuses amitiés en dehors de la mode. J’ai appris le design à leurs côtés de façon incroyable. Pendant que je travaillais, mon œil pour les intérieurs s’est perfectionné, passant d’un bel intérieur à un autre. Même si par nature je penche davantage vers une esthétique maximaliste, travailler avec le “sobre” Wallpaper m’a permis de former mon œil. Maintenant je sais que j’aime la combinaison de ces deux univers; l’architecture très clean et le design chaleureux.
Votre maison milanaise est-elle à l’image de vos collections mode, imprimée, colorée et vintage ?
Je ne peux pas vivre dans une maison où chaque pièce se compose entièrement d’imprimés. Il doit y avoir un équilibre. Notre chambre à coucher, assez minimale, possède quand même une merveilleuse aquarelle fantaisie de Ruben Toledo et plusieurs coussins à motifs. Les murs de la maison sont recouverts d’un motif vintage des années 1940 dessiné par Stig Lindberg, recouvert de tableaux très floraux, des toiles délirantes peintes par mon arrière-grand-mère dans les années 1950 à Los Angeles. Le canapé est violet et les murs vert menthe. J’adore le dialogue entre les motifs. Et bien sûr j’adore le vintage. Presque tous les meubles de la maison sont d’époque, provenant d’années de chine aux marchés aux puces.
Vous êtes une collectionneuse aguerrie. Quelles sont les pièces qui ne vous quitteront jamais?
Celles du joaillier Ugo Correani, qui sont probablement les plus importantes pour moi. J’ai trouvé l’intégralité des archives à Milan avant de lancer La DoubleJ. Elles ont fait partie de ma collaboration avec Mytheresa.com lancée à Paris en 2015 pour laquelle j’avais sélectionné des pièces provenant de ma collection. Il y a aussi deux robes de cocktail Valentino haute couture que j’ai également trouvées à Milan. J’en ai porté une lors d’une interview avec Tom Ford, il y a de nombreuses années, il avait fixé son regard dessus jusqu’à finir par m’en parler. C’était dingue.
Avec qui collaborez-vous actuellement pour vos collections ?
Nos soies sont exclusivement fabriquées chez Mantero Seta dans la région du lac de Côme, nos verres de Murano chez Salviati, nos porcelaines chez Ancap à Vérone et nos meubles chez Kartell à Milan. Toutes ces entreprises ont entre 50 et 120 ans. La plupart, à part Kartell, n’étaient pas connues de nos clients. Nous avons consacré beaucoup d’attention à ces sociétés, en affichant fièrement leurs noms aux côtés du nôtre et en veillant à ce qu’elles soient toujours correctement mises en avant par la presse.
D’où vous vient votre spiritualité que vous évoquez régulièrement dans la presse?
De la douleur. J’ai essayé pendant plusieurs années d’avoir des enfants, et quand il a fallu se rendre à l’évidence que cela ne donnerait rien, j’ai su que je devais choisir entre tomber en dépression ou faire de gros changements dans ma vie. J’ai choisi la seconde option. J’ai commencé par pratiquer la méditation et des rites spirituels, approfondir ma pratique du yoga pour inclure le yin et faire connaissance avec le qi gong. Toutes ces choses ont profondément enrichi ma vie et m’ont permis de donner naissance à mon entreprise.
Fan de yoga et de méditation, avez-vous le projet de lancer un espace dédié?
C’est mon rêve. Ouvrir en Sicile un centre de retraite pour se remettre d’aplomb et retrouver son harmonie. Alors s’il vous plaît, achetez beaucoup de La DoubleJ afin que nous puissions y arriver!
Votre carlin ne vous quitte jamais, comment s’appelle-t-il ?
C’est une fille, elle s’appelle Pepper. Elle m’accompagne tous les jours au bureau et voyage également à mes côtés. Elle s’est rendue à Paris pour la fashion week. C’est le chien le plus affectueux que j’ai jamais rencontré.
Du 6 septembre au 20 octobre, la maison DoubleJ tiendra office au Bristol Paris, un mois durant lequel un pop-up exclusif prendra place au cœur du palace et proposera une superbe sélection de prêt-à-porter et d'art de la table. De quoi prolonger encore quelques jours un été sous le signe de l'italie.