Femmes

Armani est aussi le roi de la nuit

Giorgio Armani ne fait pas qu’habiller les femmes et les hommes élégants, les acteurs de cinéma à la ville comme à l’écran, du matin au soir. Il crée aussi une esthétique de la vie nocturne avec ses hôtels et ses clubs.
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Texte par Marguerite Baux

Bronze, or et noir, murs rétroéclairés : avec la réouverture du club Armani/Privé de Milan, rénové et agrandi, Giorgio Armani glisse un pas feutré de plus dans l’univers de la nuit. Dans une ville où son nom s’attache déjà à trois restaurants, un hôtel, un fleuriste, une librairie, le club de basket Olimpia et le tout nouveau musée Silos, cette avancée nocturne se lit a minima comme une preuve de plus que l’homme est ici chez lui – l’amour a toujours sa part de possessivité. Mais il n’est pas non plus interdit de penser que Giorgio Armani s’offre aussi une vitrine pour son autre métier, celui de designer d’intérieur, la plus récente des nombreuses déclinaisons de la marque – peut-être celle qui a le plus fort potentiel. En parallèle au développement d’Armani/ Casa, dédié à l’aménagement de résidences privées, Armani signait ainsi en 2005 un contrat pour une gamme d’hôtels avec le géant de l’immobilier dubaïote Emaar, promoteur de la tour Burj Khalifa et du Dubaï Mall, respectivement plus haut gratte-ciel et plus grand centre commercial du monde. Avec un deuxième club Armani/Privé ouvert à Dubaï en 2011, des projets d’hôtels à Miami, Tokyo, Londres, New York, Shanghai ou Bombay, Armani voit la nuit en grand. Mais, entre elle et lui, ce fut d’abord une affaire de style. À l’inverse des grands noms français nés dans la haute couture, l’Italien vient du prêt-à-porter masculin et le grand soir ne relevait a priori pas de son territoire. De ce handicap il a su faire une distinction, en instillant les codes de l’élégance virile chez la femme : rigueur de la ligne compensée par les alliances de matières précieuses, subtiles variations de coupe sur un vestiaire balisé et franches enfreintes aux codes, comme seuls se le permettent ceux qui les maîtrisent parfaitement. Ainsi, robes courtes et chaussures plates entrent-elles dans son vestiaire du soir dès 1985. Mais l’emblème de cet esprit à la fois rigoureux et informel reste sa transmutation du viril costume pantalon en ultraféminin du soir – une hérésie qu’il décline avec esprit chaque saison. Pas de petites robes gadget chez lui, mais les essentiels d’une vie de luxe, sans cesse réinterprétés. Chez Armani, on parle d’ailleurs de “soir” plutôt que de nuit. Cela n’a l’air de rien, mais dans cette différence se coule une certaine idée du chic et de la vie mondaine. Le soir : la lumière descend, les couleurs s’estompent, atmosphère sensuelle de bleus, mauves, grèges, orangés et noirs propice aux conversations feutrées, à ces choses qui brilleraient trop au grand jour mais se révèlent dans l’obscurité, reflets de métal, paillettes, velours. Le soir : on rencontre, on séduit, on profite de ce que la vie offre de sophistiqué, quand la nuit est faite pour dormir, faire l’amour ou bien, comme on imagine volontiers Giorgio Armani, pour travailler. Rideau sur l’intime. C’est peut-être ce qui confère aux vêtements du soir Armani leur glamour, si peu de peau montrent-ils : cette séduction codifiée, sous maîtrise. On pourrait presque soutenir qu’ils relèvent tous du costume : ils vous fabriquent immédiatement un personnage, fourreau noir, robe de diva, veste perlée, smocking, comme autant de rôles d’une vie fantasmée. Certes, leur omniprésence sur les tapis rouge est le fruit d’une stratégie commerciale délibérée d’Armani, premier styliste à ouvrir un bureau à Hollywood, en 1983, pour habiller les stars à l’écran comme à la ville – et avec le succès que l’on sait, de Richard Gere dans American Gigolo à Cate Blanchett, Leonardo DiCaprio, Isabelle Huppert… Liste immense et sans cesse renouvelée. Mais peut-être y a-t-il aussi une adéquation fondamentale entre les vêtements Armani et l’idée de spectacle, non la bruyante cacophonie des médias, mais celui que l’on offre de soi en public, une certaine idée de la tenue, une pudeur, une fierté – mais aussi une part de jeu. Giorgio Armani le disait déjà, de son accent milanese à la fois mélodieux et un peu raide, presque français, dans Made in Milan, petit documentaire subtil que signait Martin Scorsese en 1990 : “La vie est comme un film et mes vêtements sont ses costumes.” Avec ce même sens de la retenue et de l’image, il évoque pour nous ce qu’il aime le soir et ce qu’il doit à la nuit.

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Giorgio Armani avec Sophia Loren, en 1998.
Avec Winona Ryder, en 1996.
Avec Jean-Paul Gaultier, en 1998.
Avec Gwyneth Paltrow, en 1996.
Avec Diane von Fürstenberg, en 1996.
Avec Naomi Campbell, en 1996.
Le club Armani/Privé à Milan.

Entre homme et femme, il y a une inégalité criante le soir arrivé : les femmes peuvent tout se permettre, alors que la tenue masculine est très codifiée. Comment travailler avec de tels impératifs ?
Giorgio Armani : J’ai fait mes premiers pas dans le monde de la mode avec les collections pour homme. Je me sens donc très proche de ce type d’habillement et je connais à fond ses codes et ses règles. L’habillement masculin doit proposer des changements acceptables, miser sur des différences dans les coupes et sur des variations de matières, qui doivent toujours être de très haute qualité et élégantes. La tenue de soirée pour l’homme est nécessairement plus classique, mais nous pouvons miser sur l’originalité et la recherche, pour proposer à chaque collection du nouveau.

 

D’où vient votre amour du velours ?
Le velours a fait son apparition dans mes collections dès mes premiers défilés. Je trouve que c’est une matière unique, pour sa manière de réagir à la lumière. C’est un tissu beau à regarder mais aussi à toucher. Une robe en velours peut être le summum de l’élégance et du raffinement, mais le velours est aussi robuste et pragmatique. J’aime cet équilibre et ces contrastes.

 

Le cinéma est-il une source d’inspiration pour vos robes du soir ?
Le cinéma n’a pas été seulement une grande passion d’enfance, qui a perduré à l’âge adulte, il est aussi une source constante d’idées et d’inspiration, dans laquelle j’ai puisé au cours des années en contribuant à la construction de mon esthétique. Le cinéma est un immense répertoire de visions qui a modelé de manière indélébile mon style et ma manière de concevoir l’élégance et de la communiquer.



Parmi les nombreuses stars que vous avez habillées, y en a-t-il dont vous êtes particulièrement proche ?
J’ai habillé beaucoup de stars, hommes ou femmes, tout au long de ma carrière et construit des liens d’amitié avec nombre d’entre elles. Michelle Pfeiffer, Cate Blanchett, Leonardo DiCaprio sont quelques-uns des acteurs que je peux considérer comme des amis. J’ai toujours pensé qu’il était important d’approfondir la connaissance des célébrités que j’habille et je crois qu’elles apprécient elles aussi. Je pense que c’est le meilleur moyen pour établir la collaboration idéale, aussi bien dans leur vie privée que quand elles sont sous les projecteurs.

 

 

Les robes du soir ont tendance à en montrer de plus en plus… Cela vous amuse-t-il ?
Je n’aime pas la provocation comme fin en soi : je préfère briser les schémas de façon plus discrète. Je pense que la robe doit exalter le corps en le rendant séduisant sans besoin de tomber dans la vulgarité.

 

 

 

Avec votre frénésie professionnelle, il est difficile de vous imaginer mondain. Avez-vous le temps de fréquenter votre club ?
Le fait que je sois réservé et mon acharnement au travail n’excluent certes pas que j’aime les plaisirs de la vie. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu le club Armani/Privé, où il est possible de passer simplement une soirée à bavarder entre amis dans une ambiance tamisée et élégante, avec de la bonne musique, entouré d’hommes raffinés et de belles femmes, sûr qu’au moment voulu on peut se lever et aller danser, sauf moi bien entendu.

 

 

Qu’aimeriez-vous trouver dans l’Armani/Privé si vous décidiez un soir d’y descendre à l’improviste ?
J’aimerais y trouver des gens qui s’amusent, en premier lieu. Des gens qui partagent un moment authentique et qui en oublient de regarder leur smartphone pendant toute la soirée, ou même une demi-heure, parce qu’une expérience vécue offre beaucoup plus qu’une expérience virtuelle.

 

 

 

Êtes-vous un amateur de soirées, de l’ivresse de la nuit, de ce moment où tout bascule ?
Je n’ai jamais été un homme mondain. Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de définition de la nightlife : le jour est la règle, la nuit ne l’est pas, et c’est bien qu’il en soit ainsi.

 

 

Avez-vous des souvenirs de soirées inoubliables ?
Je me souviens de ma rencontre avec Andy Warhol : c’était en 1980, j’étais à New York et j’ai fait sa connaissance chez des amis. Même si mon anglais était inexistant et que le dialogue était difficile, il me voulut à ses côtés toute la nuit pour une longue et folle pérégrination dans des bars et boîtes de nuit.

 

 

Les années 1980 n’en finissent pas de faire leur retour sur les podiums et dans la musique… Êtes-vous d’accord avec cette forme de nostalgie qui prétend que la fête était plus belle autrefois ?
C’était une autre époque. Les années 1980 étaient optimistes, insouciantes, exubérantes. Des années folles qui entraînèrent un changement radical de perspective, comme si le temps luimême avait subi une accélération. Le divertissement, les fêtes et les événements reflétaient eux aussi cette atmosphère pleine d’énergie.

 

 

Qu’évoque pour vous l’expression “Armani way of life” ?
Dans mon travail dans la mode, mais aussi dans d’autres domaines, j’ai essayé de représenter ma vision, en exprimant à travers les vêtements et le design un style de vie, qui est une pensée, une attitude et un goût à considérer dans leur globalité. Je n’avais aucune intention totalisante, mais simplement la volonté de raconter ma vision esthétique et mon idée précise du confort.

 

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