Femmes

Yulia Yanina : "Je définis la haute couture comme une sorte de dévouement à soi-même"

À la tête de Yanina Couture depuis vingt-cinq ans, Yulia Yanina envisage le vêtement comme une forme d’empathie. Concept qu’elle optimise bras dessus bras dessous avec sa fille, Dasha. Entretien.
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Vous comparez souvent votre parcours à un conte de fées...

Yulia Yanina : Faire de la mode a toujours été mon rêve. La couture m’a longtemps aidée à passer outre certaines situations difficiles. Et puis, étape après étape, année après année, c’est devenu un concept de créer des moments merveilleux pour nos clientes, pour les femmes qui viennent dans notre maison. Elles cherchent quelque chose de nouveau, d’irréel, une autre vision...

C’est votre définition de la haute couture ?

Je définis la haute couture comme une sorte de dévouement à soi-même. L’expression d’une nouvelle part de soi. J’aime créer des surprises pour les femmes. Les aider à se sentir bien, à être belles. Je veux non seulement que mes clientes aient l’air heureuses, mais qu’elles se sentent heureuses.

Qui sont-elles, ces femmes, dont vous parlez ?

Certaines clientes me suivent depuis vingt-cinq ans. Aujourd’hui, j’habille trois générations de femmes. Yanina Couture est une histoire de famille. De magnifiques jeunes filles viennent dans notre maison, mais aussi des femmes plus mûres... À chaque moment de la vie d’une femme, je me dois de coller à ses attentes. L’aider à traverser les âges.

C’était, me semble-t-il, le leitmotiv de votre exposition anniversaire au Centre culturel russe de Paris... 

Nous avons présenté vingt-cinq robes comme vingt-cinq années de création. J’évoluais comme en terre russe mais je pouvais voir la tour Eiffel, mes deux amours étaient réu- nis. Beaucoup de monde est venu voir l’exposition. Vous savez, je suis une grande rêveuse mais, d’un autre côté, je me dois d’être une businesswoman. Chez Yanina Couture, nous devons tout faire avec plaisir mais sans jamais oublier qu’il s’agit de business. Cette dualité entre le merveilleux et l’esprit d’entreprise est essentielle.

Vous souvenez-vous de votre premier défilé à l’étranger?

Oui, c’était à la Roma Alta Moda, la semaine de la haute couture italienne, il y a plusieurs années. Lors d’une conférence de presse, un journaliste m’a demandé : “Qu’est-ce qui différencie les Russes des Italiennes ?” Je n’étais pas à l’aise, sous les projecteurs pour la première fois de ma carrière, présentée comme une ‘designer star’... Alors, je me suis rappelé ma grand-mère : “Quand tu ne te sens pas à l’aise, contente-toi d’être toi-même et de dire la vérité.”

 

“Être couturier, c’est avoir de grandes responsabilités. Je me dois d’inspirer une forme de ‘sécurité’. Vous pouvez, vous devez vous sentir sûres de vous dans mes robes.”

Yulia Yanina

Pourquoi avoir choisi Paris pour dévoiler vos collections ?

Tous les couturiers rêvent de Paris. Après Rome, j’avais envie de nouveaux objectifs, de nouveaux défis. Mes “héros” ont tous évolué à Paris. Gabrielle Chanel, Christian Dior, Valentino... J’ai tout lu sur eux. Ils ont été mes maîtres à penser. Non seulement du point de vue de l’esthétique, du style, mais aussi par la manière dont ils ont créé une relation avec leurs clients. Quand vous commencez à parler à un couturier, vous engagez une conversation sincère. Vous pouvez discuter de tout avec lui. À ce moment-là, je me sens psychologue.

À quelles occasions ces femmes vous donnent-elles les “clés” ?

On vous fait confiance pour les évè- nements les plus importants d’une vie. Des anniversaires, des mariages, des évènements de charité... Être couturier, c’est avoir de grandes responsabilités. Je me dois d’inspirer une forme de “sécurité”. Vous pouvez, vous devez vous sentir sûres de vous dans mes robes.

Vous revenez d’un séjour à New York. Votre prochaine étape après Paris ?

Nous avons organisé un cocktail, un dîner et quelques jours de showroom. J’ai reçu des femmes très intéressantes, aux vies, aux destinées passionnantes... J’ai senti que je n’avais pas à prouver quelque chose. C’est une sensation agréable pour un designer. Aussi, nous avons présenté une collection capsule “demi-couture” spécialement pour New York et une collection de couture à la demande.

Ce concept de “demi-couture” est voué à perdurer?

C’est une ligne permanente que j’ai créée spécialement pour les clientes de Yanina Couture. On la présente dans notre maison, à Moscou. Quand, par exemple, une femme vient pour des essayages couture, elle peut acheter des modèles de notre gamme demi-couture. Mais cela reste des éditions limitées à une taille par modèle.

Vous travaillez en famille, avec votre fille Dasha...

Il y a quinze ans, j’ai appris que j’étais enceinte. Ce n’était pas prévu. Cette grossesse a amorcé un grand changement dans ma vie de femme. Je me sentais jeune à nouveau, dans un autre état d’esprit... C’est à cette époque que Dasha, mon aînée, a commencé à travailler avec moi. Elle a réussi à donner une image nouvelle, fraîche, de notre maison. À mélanger la haute couture, le prêt-à-porter, à réfléchir à des silhouettes pour le tapis rouge...

En quoi ce lien mère-fille est-il un atout pour des partenaires commerciaux?

Vous pouvez faire confiance à votre fille. Cela m’aide à m’ouvrir au monde, je me sens en sécurité. J’ai le senti- ment d’être à la maison. Elle peut me critiquer et c’est normal. Nos visions respectives de la mode interagissent.

Vous vivez toutes les deux à Moscou ?

Moi oui, mais Dasha vit ici, à Paris !

Votre plus jeune fille serait une “street-styler” de talent...

Elle a une vision : nouvelle, absolument antiglamour selon moi, mais intéressante. Quand j’étais jeune, dans ma petite ville près de la Volga, je m’habillais de manière bien trop excen- trique pour la plupart des gens. “Es-tu folle?”, me demandait-on. Je ne comprenais pas. “Pourquoi les gens sont si cruels ?”, disais-je à ma mère. Pourtant, impossible pour moi de faire autrement car j’avais le sentiment d’être “en mission”. La clé du street-style, c’est l’hon- nêteté. Ma fille m’aide à comprendre la nouvelle génération.

Quels sont vos projets ?

Je souhaite que Yanina Couture soit présente à Paris de façon plus per- manente, plus physique. À New York aussi, et à Londres... Nous n’organisons un showroom que deux fois par an : nous avons des clientes fidèles sur place et il faudrait pouvoir répondre à leurs demandes plus directement. Chaque année, aussi, notre maison a davantage de demandes de la part des célébrités. Que quelqu’un de bon goût, comme Emily Blunt, choisisse votre robe sans vous avoir rencontrée, c’est une grande réussite. J’ai besoin de telles stimulations.

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