Joseph Quinn : "Je ne cours pas après la célébrité"
Joseph Quinn – qui a explosé dans le phénomène planétaire Stranger Things –, actuellement à l’affiche de Gladiator II, nous parle de ses plus grandes joies (les bains de glace), de ce qui empoisonne son existence (les escargots) et de sa notorité naissante ("ça me répugne tellement d'en parler, putain").
Photographie DANNY KASIRYE
Stylisme MAC HUELSTER
Les pupilles Joseph Quinn sont si larges et d'un brun si foncé qu'elles paraissent parfois dilatées. ses fans l'appelent “pupilles de chocolat”. Et pourtant, lorsque je lui demande s'il confirme que ses yeux sont bien son signe le plus distinctif, il renâcle à répondre (comme il l'a fait pour mes questions les inoffensives) "Je ne qualifierais aucun de mes traits de ‘caractéristique’, mais oui... Depuis mon plus jeune âge, il était clair que je ne serais jamais capable de bien mentir. Mes yeux me trahissent un peu. C’est bizarre de parler de sa propre apparence. Alors oui. Haha !”
L’acteur de 30 ans nous parle par Zoom depuis l’arrière d’une voiture, une bande de lumière derrière lui sur le siège change de couleur comme un caméléon. Il vient de terminer sa journée sur le plateau d’un prochain Quatre Fantastiques dans lequel il incarnera Johnny Storm, alias la Torche humaine, mais il a l’air plein d’énergie. Il est clairement intelligent, usant de termes que j’ai ensuite googlés pour les intégrer à mon vocabulaire, mais dès qu’il dit quoi que ce soit qui pourrait sembler aux limites de l’arrogance, il le sape par quelques propos pleins d’autodérision.
Il est sur la route de Londres pour aller voir Longlegs, avec Nicolas Cage et Maika Monroe. A-t-il remarqué que davantage de gens le reconnaissent lorsqu’il sort en ville ? “Ça me répugne tellement d’en parler, putain”, dit-il. Puis, de nouveau, il s’adoucit pour répondre : “Mais, oui, quand tu es dans un projet qui vient de sortir, je crois que – ces temps-ci, malheureusement – tu te retrouves sur le téléphone de plus de gens, alors ils s’intéressent davantage à toi. Et puis un clou chasse l ’autre, et tout retourne à la normale. Il y a des hauts et des bas.” Quinn ne semble pas connaître de “bas” en 2024. En 2023, il jouait dans un petit film indé, Hoard, mais cette année on dirait qu’il est partout. “Désolé”, dit-il. En juin, il donnait la réplique à Lupita Nyong’o dans Sans un bruit – Jour 1, une préquelle de la franchise à succès inaugurée par John Krasinski et Emily Blunt. Ensuite, il sera l’un des deux empereurs de Gladiator II, qui sort en novembre, puis on le verra dans Les Quatre Fantastiques (en salles le 25 juillet 2025) et Warfare, d’Alex Garland. En résumé ? Ceux qui ne connaissent pas encore le visage (et les fameux yeux) de Quinn après qu’il a crevé l’écran en 2022 en incarnant Eddie Munson dans Stranger Things n’auront plus d’excuse en 2025. Quinn semble sur le point d’emprunter la même trajectoire que d’autres acteurs qu’il admire : Cate Blanchett, Olivia Colman, Willem Dafoe, Lupita Nyong’o, Jesse Plemons. “Je ne cours pas après un niveau particulier de célébrité, dit-il. Le sujet, c’est plutôt les occasions qui m’intéressent, et je suppose que je peux m’habituer au fait que j’ai un peu plus le choix maintenant, et c’est un tel luxe. Les propositions vont aller et venir, varier, et j’ai très peu de contrôle sur tout ça. Mais avec un peu de discipline et de discernement, peut-être que je peux me ciseler des opportunités, les orienter davantage vers mes goûts, c’est très enthousiasmant.” Il peut être difficile de déceler un lien entre un film comme Hoard, que Quinn décrit comme “vraiment sauvage” – son personnage, Michael, et une adolescente placée en famille d’accueil (Saura Lightfoot-Leon) déclenchent chacun la férocité de l’autre – et Sans un bruit – Jour 1. Quinn explique que Hoard l’a attiré en raison de la présence talentueuse de Luna Carmoon, sa réalisatrice, et parce que le tournage avait lieu dans le sud de Londres, où il a grandi.
Carmoon est elle aussi une Sud-Londonienne. Pour Sans un bruit – Jour 1, il était impatient de travailler avec Lupita Nyong’o et le scénariste et réalisateur Michael Sarnoski. Pour un rôle lui aussi empreint de sauvagerie. Quinn y joue Eric, un Britannique coincé à New York à l’aube d’une invasion de monstres qui repèrent leurs proies – nous – au bruit qu’elles font. On fait connaissance avec Eric alors qu’il jaillit d’une bouche de métro inondée avec une telle intensité que plusieurs spectateurs avec qui j’assistais à la projection ont sursauté. Dans la majeure partie du film, Eric exprime l’horreur sans prononcer un mot.
Il est plus que prudent à l’idée de partager la moindre information sur Gladiator II, craignant une punition de la Paramount. Il y incarne un empereur blond nommé Geta, adepte du sadisme et de l’eye-liner charbonneux. (“On a épuisé les stocks d’eye-liner de Malte. Y en a plus”, blague l’acteur.) Lorsque son personnage dégaine le pouce en bas rendu iconique par Joaquin Phoenix en empereur Commode dans le premier Gladiator (qui a valu à ce dernier une nomination à l’oscar du meilleur second rôle), son regard pétille.
Il savait que tourner un Gladiator II était risqué. “J’ai vu le premier quand j’avais 12 ou 13 ans, et il m’a ensorcelé, se souvient-il. Ridley Scott y excelle, et j’avais conscience que le fait qu’on approche de nouveau cet univers n’allait pas plaire à tout le monde. Je sais que c’est un chef-d’œuvre, et que parfois il vaut mieux les laisser où ils sont.” Pourtant, il n’aurait jamais refusé un rôle dans ce film, ou dans aucun autre qui l’aurait placé aux environs immédiats de Denzel Washington. “C’était une opportunité que j’aurais été incapable de décliner”. Quinn peut s’attendre à une farandole de rôles alléchants, et je lui demande s’il a pu se dire que ça faisait un peu beaucoup. Réponse courte : non. Réponse longue : absolument pas. Il veut être acteur depuis l’adolescence. Postulant à des écoles de théâtre, il est accepté à la London academy of music and dramatic art. Celui qui n’avait jamais côtoyé d’acteurs se retrouve parmi des gens sur la même longueur d’onde que lui. “Ça a été deux années et demie d’expérimentations, d’échecs et de fêtes, se souvient-il. Ça a bouleversé les choses, ça m’a apporté beaucoup. Ce n’est pas pour tout le monde, mais j’avais l’âge pour apprécier tout ça. J’ai rencontré quelques brillants cinglés là-bas.” Il obtient son diplôme en 2015, à 21 ans ; après sa sortie de l’école et avant son succès dans Stranger Things, il oscille entre famine et festin. Entre des moments où il décroche des rôles prometteurs, comme celui d’un garde de Winterfell [le château de la famille Stark] dans la septième saison de Game of Thrones, et d’autres où il tente de faire durer le plus longtemps possible les cachets qu’il touche pour ce type de projets. Alors qu’il est choisi pour Stranger Things, à 25 ans, sa carrière peine pourtant encore à décoller. Pour cause de pandémie, il s’écoule presque trois ans entre son audition et la sortie de la série. “Soit tu travailles et les choses roulent tranquillement, soit c’est la galère, tu n’as pas d’argent et tu ne peux rien faire. Faire le yoyo entre ces deux extrêmes est assez déconcertant, dit-il. Je n’avais pas d ’a tre option. C’est la seule chose pour laquelle j’avais la moindre aptitude naturelle. J’avais l’impression de ne pas avoir d’autre issue.”
Le festin prolongé qu’il vit actuellement est certainement la période la plus remplie de sa carrière. Il en est très reconnaissant. “Je sais ce que c’est de ne pas être occupé. Et il y a de bons côtés aux deux. On fantasme toujours l’antithèse de ce qu’on vit. Quand on travaille, on veut se reposer, et quand on se repose on finit par être fébrile.” Bien que sa carrière l’enthousiasme, le métier d’acteur a d’autres facettes qui l’emballent moins – notamment l’attention dont on fait l’objet hors des plateaux. Il remarque qu’au Royaume-Uni les marques d’affection sont plus mesurées qu’aux États-Unis. Mais les regards commen- cent à se tourner vers lui et être à l’affiche de deux films majeurs de 2024 signifie que l’on scrutera inévitablement votre vie privée. “Moi, je fais mon boulot. C’est de ça que je suis reconnaissant, d’être capable de continuer à travailler, et de le faire avec des gens qui m’inspirent et me stimulent. Le reste n’est que paillettes et distraction.”
Il qualifie sa vie de “remarquablement barbante”. Il se détend en accomplissant ses tâches domestiques, et apprécie l’exercice physique et les bains de glace. “J’en suis à ce stade irritant où j’en sais un petit peu sur le sujet, et c’est dangereux parce que je deviens assez prosélyte, je dis à tout le monde de le faire, ce qui doit être chiant, j’imagine.” Il en énumère les avantages : l’élimination du cortisol, l’afflux de sérotonine, le bénéfice pour la santé qu’il y a à faire quelque chose qu’on n’a pas vraiment envie de manière quotidienne. Il ajoute qu’il parvient à rester huit minutes dans son baquet, déclaration qui, chez lui, s’approche d’une vantardise. Et il adore jardiner, bien que dernièrement ses terres aient été envahies. “Les escargots ont ravagé mon hoya, raconte-t-il. Ils essaient de troubler ma paix intérieure, mais je leur ferai la peau, aux escargots.” Quinn trouve peut-être sa vie barbante, mais elle n’est pas dénuée de drame.
Crédits :
GROOMING Thomas Dunkin @ ART DEPARTMENT
CONSULTANT CREATIF Mariana Suplicy
DIGITAL TECH Matthew Cylinder
ASSISTANT PHOTO Isaac Rosenthal
ASSISTANT STYLISME John Dunham