Qui était William Moulton Marston, le créateur de Wonder Woman ?
Lorsqu’il débarque à Harvard au début des années 1910, William Moulton Marston (né en 1893) poursuit un rêve : faire du cinéma. Iconoclaste, l’homme est un travailleur acharné – il sera diplômé ès lettres, en droit et en psychologie – qui, à l’occasion, prend la plume. Et il remporte son premier succès lors d’un concours de scénario interuniversités. Le FIlm qu’il a écrit – Jack Kennard, Coward (1915) – est diffusé à travers les États-Unis. Marston, qui a plus d’une corde à son arc, a assisté à une scène qui, d’un point de vue à la fois intellectuel et politique, l’a marqué profondément. À l’automne 1911, la Britannique Emmeline Pankhurst, grande gure du mouvement des suffragettes, invitée par l’association masculine de Harvard en faveur du vote des femmes, se voit refuser l’entrée du campus par le conseil d’administration. Elle parvient néanmoins à s’exprimer aux portes de l’université. La bouillonnante Pankhurst, comme d’autres gures revendicatrices de l’époque, bouleverse le futur créateur de Wonder Woman. En 1943, il expliquera à la revue American Scholar que “même les lles ne voudront pas être des lles tant que nos archétypes féminins manqueront de force, de vigueur et de puissance”. En 1915, William Moulton Marston épouse Elizabeth Holloway, brillante étudiante en psychologie à l’université de Boston. Six ans après, il décroche son doctorat dont la thèse porte sur le test de pression sanguine systolique ; ce qui fait de lui, dans l’inconscient collectif américain, le “père” du détecteur de mensonges. Avec sa jeune épouse, il va également se battre, en vain, pour que les femmes puissent intégrer plus librement les jurys des tribunaux – elles sont alors encore proscrites dans une trentaine d’États.
Un papa, deux mamans
À la suite d’une obscure histoire de fraude qui ne sera finalement jamais élucidée, il commence à enchaîner les mutations. La première l’entraîne à l’université Tufts, dans le Massachusetts. C’est là qu’il fait la rencontre de l’une de ses élèves, Olive Byrne, nièce de la grande gure du féminisme américain Margaret Sanger, auteure du célèbre Woman and the New Race, sur la prise du pouvoir par les femmes. Un soir, la jeune femme lui fait découvrir les “coutumes” de sa sororité : des jeunes lles mises en rang dans un couloir obscur, les yeux bandés, avant d’être soumises, à coups de bâton, aux “caprices” de leurs aînées. Le psychologue note alors le trouble des participantes à
ces petits jeux... tout sauf innocents. Cette inclination pour la soumission ne quittera dès lors plus jamais son esprit, allant même jusqu’à trouver un écho chez sa “créature”. À l’instar d’un Superman très attaché à la kryptonite, sa Wonder Woman ne perd ses pouvoirs qu’à une seule occasion : lorsqu’un homme parvient à l’enchaîner. Olive Byrne a 22 ans lorsqu’elle rejoint le foyer déjà formé par William et Elizabeth et leurs deux enfants a n de vivre pleinement une relation bigame et “polysexuelle” comme le professe le maître de maison qui s’est lui-même baptisé “le pauvre papa avec ses deux mamans”. Olive et lui auront également deux enfants. “C’était tellement étrange pour l’époque qu’ils ont dû beaucoup en rire”, souligne la journaliste Jill Lepore, auteure de The Secret History of Wonder Woman. Mais du côté de ses collègues, le triangle amoureux fait beaucoup moins sourire que jaser et, dans l’Amérique conservatrice de l’entre-deux-guerres, cette situation peu commune lui vaut d’être remercié de plusieurs universités.
Cobayes blondes et brunes
Plus cocasse, Olive trouvera, elle, un emploi de rédactrice dans un magazine destiné aux mères de famille, Family Circle, leur prodiguant des conseils pour tenir leur foyer selon les conventions de l’époque. Au milieu des années 20, Marston officie à l’université de Columbia où il est maître de conférences. L’inanité d’une expérience qu’il mène dans une salle de New York, face à la presse, afin de mesurer la différence de niveau d’excitation entre blondes et brunes – six femmes cobayes préalablement menottées entre elles – devant le film La Chair et le Diable, avec Greta Garbo, lui fait perdre ce dernier poste. Il trouve un éphémère travail de psychologue pour les studios Universal, à Los Angeles, puis cosigne, en 1929, le livre The Art of Sound Pictures ou l’art et la manière de créer un film en évitant soigneusement la censure promulguée par chaque État d’Amérique. La même année, il lance Equitable Pictures, maison de production de lms “pro-femmes”, projet que le krach boursier réduira à néant.
Contrer les ligues de vertu
“Les grandes qualités des femmes ont été méprisées à cause de leur faiblesse. Le remède logique est de créer un personnage féminin avec toute la force de Superman plus l’allure d’une femme bienveillante et belle.” Intrigué par un article que Marston a signé dans Family Circle (“Don’t Laugh at comics”), Max Gaines, créateur du comic book et éditeur, fait appel à lui a n de ré échir à la façon d’apporter au genre des modèles positifs pour contrer les critiques des ligues de vertu. William Mouton Marston va faire beaucoup mieux : il crée un personnage d’amazone au lasso magique et à l’épreuve des balles, volant dans un avion invisible, et délivrant un discours féministe d’avant-garde. À l’origine, le professeur imaginait un super-héros dont le moteur ne serait pas la survie de l’humanité ou la vengeance... mais l’amour. “Il faut que ce soit une femme alors”, lui souflait Elizabeth.
Amazone globale et solaire
Ainsi naît Suprema, the Wonder Woman, qui, judicieusement, sera rebaptisée Wonder Woman par le responsable éditorial de All Star Comics (maison qui publie déjà Green Lantern et The Flash). “En plus, les petites lles se mettront à acheter des bandes dessinées !”, conclut Marston, visionnaire. La première aventure paraît en décembre 1941. Un communiqué de presse annonce que “Wonder Woman a été conçue par le docteur Marston [...] pour lutter contre l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes et pour inspirer aux jeunes lles la con ance en elles et la réussite dans les sports, les activités et les métiers monopolisés par les hommes.” Un an plus tard, durant l’été 1942, Wonder Woman obtient son propre titre et devient la première super-héroïne de l’histoire à avoir un comic à son nom ! À sa mort en 1947, victime d’un cancer de la peau, Marston laisse derrière lui deux femmes, quatre enfants, et un personnage qui verra son aura croître au l des ans. Elizabeth tentera bien de reprendre le flambeau en demandant à DC Comics (qui a absorbé All Star Comics) de l’engager, on lui préférera Robert Kanigher pour poursuivre le récit des aventures de la super-héroïne la plus célèbre de la planète. Elle finira par accepter un emploi dans une compagnie d’assurances tandis qu’Olive travaillera dans une clinique. Les deux femmes continueront de vivre ensemble. En 2017, plus de soixante-quinze ans après sa création, le film Wonder Woman, interprété par l’actrice israélienne Gal Gadot, dépasse les 800 millions de dollars au box-of ce mondial rejoignant à ces sommets le Dark Knight transcendé par Christopher Nolan. Jamais la guerrière de Paradise Island, l’amazone post- moderne, altière justicière aux côtés du faillible Superman et d’un Batman cadenassé à ses névroses, n’aura été autant d’actualité, globale et solaire. Toutes les petites lles veulent se reconnaître en elle ; #MeToo pourraient “hashtager” en chœur leurs mères, voire leurs grands-mères. Voilà la grande victoire posthume du sulfureux William Moulton Marston : avoir donné à une femme un pouvoir que toutes revendiquent aujourd’hui. Chapeau, l’altruiste !
My Wonder Women, d’Angela Robinson, avec Luke Evans, Rebecca Hall, Bella Heathcote... Sortie le 18 avril.