Sonny Hall : "Je suis une éponge, j’absorbe tout ce que je vois et entends"
Ryan Doyle : Tu es particulièrement élégant aujourd’hui, que portes-tu ?
Sonny Hall : Une veste John Pearse.
Et que lis-tu ?
Crazy cock, de Henry Miller.
Je ne t'ai jamais vu sans un livre à la main. Qu’est-ce que tu n’oublies pas en sortant de chez toi ?
Mes cigarettes, un carnet, mon style.
Qu’as-tu fait récemment ?
Physiquement ou spirituellement ?
Selon ce qui te vient à l’esprit.
Je suis sorti au 606 Club, à Londres, j’ai préparé mon voyage à Paris, et je ne peux pas m’empêcher de réfléchir au poème que je suis en train d’écrire.
De quoi s’agit-il ?
Il s’appellera “Winning over a defeatist” (Prendre l’ascendant sur un défaitiste, ndlt).
Tu as beaucoup de tatouages, dont l’énigmatique “616”. Quel sens ce chiffre a-t-il pour toi ?
Il est né de ma famille d’adoption, ces amis qui m’ont pris sous leur aile quand j’étais un garçon de 16 ans totalement perdu. Nous avons grandi ensemble. Mon frère (au sens figuré, ndlt), Bakar, est l’un d’eux, et il vient de faire paraître un fantastique EP.
Quel est ton endroit préféré pour sortir aujourd’hui ?
Cafe Boheme, à Londres.
Du jazz et de la nourriture ! Je crois que nous sommes attirés par des lieux animés par cet esprit romantique, des lieux qui nous font remonter le temps, tu n’es pas d’accord ?
Complètement, mais c’est assez triste d’une certaine façon. Nous sommes de plus en plus en quête de ce genre d’endroits. L’âme véritable semble mourir, mais elle est préservée ici et là.
Je me souviens que la poésie a toujours joué un rôle essentiel dans ta vie, qu’elle t’a toujours fasciné. Quel a été le tournant décisif ?
Il y a environ deux ans et demi, en cure de désintoxication, j’ai commencé à écrire un journal, ce qui participait de la démarche globale, parmi les activités fortement recommandées. Mais cela n’était pas très épanouissant. Je me suis mis à écrire un peu n’importe quoi, mais de manière ordonnée, et surtout totalement honnête. Petit à petit, j’ai compris que c’était de la poésie.
Tu sembles puiser ton inspiration un peu par- tout, d’une rencontre imprévue à un lieu que tu visites. Est-ce que la musique que tu écoutes ou une certaine émotion trouvent aussi leur chemin dans ton travail ?
Toujours. Je suis une éponge, j’absorbe tout ce que je vois et entends, et cela génère une profusion de sentiments, parfois violents, parfois extatiques, et la plupart du temps, tout cela à la fois. Ce conflit crée une sorte d’urgence à écrire, ne serait-ce que pour mettre de l’ordre dans tout cela.
Un peu comme une structure de jazz ?
Le jazz me donne un carburant supplémentaire pour écrire librement, il rationalise ce qui se passe dans mon cerveau... et soulage l’intensité de mes pensées.
J’ai toujours pensé que la vérité et la clarté qui émanent de tes poèmes procèdent du caractère autodidacte de ton éducation. Est-ce que tu penses que c’était décisif ?
Complètement, je suis tombé dedans le plus naturellement du monde, à un moment de grande détresse. Je ne connais rien des valeurs traditionnelles de la poésie, elles me sont totalement indifférentes. Je me contente de lire, d’écrire, et certains de mes héros, comme Henry Miller, sont également autodidactes.
Cette approche cathartique fonctionne-t-elle ?
Il faut le faire avec candeur. Sinon, autant tout mettre à la poubelle. Mais oui, écrire est d’une grande aide.
Tu es capable de dialoguer avec des gens très différents de toi, en t’intéressant sincèrement à eux. D’où cela vient-il ?
Je peux faire preuve d’empathie pour tous les aspects de la vie. Je suis né dans une famille de la classe ouvrière ravagée par la drogue, j’ai été adopté par une famille de la classe ouvrière qui travaillait très dur. Cela m’a permis de voir différentes dynamiques familiales, allant du désarroi complet à des moments de bonheur mesuré et momentané, grâce à de l’attention et de l’amour.
Depuis que je te connais, tu sembles avoir gagné en clarté d’esprit...
Je ne pensais pas qu’un jour on publierait ma poésie ou que je bénéficierais du soutien de Kate et de son agence (celle de Kate Moss, où Sonny est signé en qualité de mannequin, ndlr) ou d’avoir la possibilité de mener autant de projets. J’ai été soutenu par des gens alors que je n’étais pas très clair d’esprit.
Kate est une pure Londonienne... Vous semblez parfois être tombés du même arbre.
Nous sommes tous les deux du sud de Londres. Je l’adore, elle et tout ce qu’elle représente.
La façon dont tu as mis ton énergie au service d’autre chose, en renonçant à tes addictions, et bien sûr en publiant The Blues Comes with Good News*. Etait-il particulièrement gratifiant que ton travail d’écrivain, accompagné des illustrations de l’excellent Jack Laver, trouve une matérialisation ?
Avoir Jack à mes côtés était génial. Nous sommes allés à l’école ensemble, il est mon meilleur ami. Nous sommes faits de la même étoffe détrempée...
Où peut-on trouver ton livre?
Chez Shakespeare & Co, ma librairie préférée. Dans d’autres librairies aussi.
Tu as dit quelques mots lors du lancement du nouveau livre de Margaret Atwood (auteure de la saga de La Servante écarlate). Comment cela s’est-il passé ?
C’était complètement surréaliste. Je n’aurais pas pu être plus nerveux.
Quels sont tes projets?
C’est encore un peu tôt pour le dire, mais il y a plein de choses à venir.
On va boire un café?
D’accord, mais seulement parce que tu es irlandais (blague un rien vaseuse évoquant l’Irish Coffee, ndlr).
*Hodder & Stoughton, 176 pages.