Comment Max Mara transforme en capitale de l'art la ville de Reggio Emilia en Italie
Visite privée de la splendide collection d'art contemporain d'Achille Maramotti, fondateur de la maison italienne Max Mara, exposée dans l’usine historique de la griffe transformée en musée, le tout à Reggio Emilia en Italie.
Au même titre que le parmigiano reggiano, Max Mara est l’un des fleurons et l’une des plus grandes fiertés de la province d’Émilie-Romagne, dans le nord de l’Italie, une région réputée pour ses manufactures de confection (notamment mais pas seulement). La griffe y est installée depuis sa création en 1951 et est devenue au fur et à mesure du temps le premier groupe italien spécialisé dans le prêt-à-porter féminin. "Une personne sur deux travaille pour Max Mara ici !", nous confie, amusée, notre guide. "La famille Maramotti a fait et fait beaucoup pour la prospérité de la ville et de la région. Si Reggio Emilia est ce qu’elle est aujourd’hui, c’est aussi et surtout grâce à eux." En plus de ses boutiques, Max Mara a financé la restauration de la basilique Notre-Dame de la Ghiara, possède de nombreux endroits dont un restaurant, dans cette région où la gastronomie fait tomber en pâmoison chaque visiteur. "Made in Reggio", les Maramotti ont également insufflé un vent arty sur la ville en y invitant les plus grands artistes comme Sol LeWitt qui a créé un impressionnant mural multicolore pour le plafond de la bibliothèque Panizzi notamment. Aujourd’hui, les quartiers généraux de la marque s’étendent sur quatre sites construits au fur et à mesure du développement du groupe. Soit l’usine de manteaux, les bureaux administratifs, les archives et le centre d’art contemporain Maramotti, tous implantés dans un rayon de 20 km, à Reggio Emilia. La première, baptisée la Manifattura di San Maurizio, se situe à l’est de la ville. Des centaines d’ouvriers textiles en blouse blanche s’y activent chaque jour pour confectionner les manteaux et vestes en laine, cachemire, alpaga et poil de chameau. De ce bâtiment de 10 000 m2 établi en 1988 sortent chaque année près de 100 000 modèles dont le fameux manteau camel aux manches kimonos, best-seller de la marque depuis 1951, année de sa création.
Achille Maramotti, le visionnaire
Fils d’une directrice d’école de couture et petit-fils de Marina Rinaldi, propriétaire d’un atelier de confection, Achille Maramotti se lance, à 24 ans, dans la création textile avec l’envie d’habiller les bourgeoises italiennes. Au lendemain de la guerre, le jeune licencié en droit sent poindre la fin de l'époque où les femmes confectionnent leurs vêtements à domicile et les confient à une couturière. Suivi par quelques élèves formés par sa mère, il anticipe le développement du prêt-à-porter, mêlant création, tradition industrielle et artisanale, et crée sa griffe, Max Mara. La suite est une success story sans précédent et la promesse d’un avenir prospère pour lui, sa famille mais aussi la petite ville de Reggio Emilia. Disparu en 2005, il a laissé l’entreprise à ses enfants, Luigi, Ignazio et Maria Ludovica. Ainsi, en 2003, la marque a étendu son siège social à une ancienne usine de collants datant de 1910. Sur 4 000 m2 sont installées les archives de la maison, mais également une impressionnante collection de vêtements et accessoires, des années 1920 à aujourd’hui. Sur trois étages sont réparties plus de 20 000 pièces Max Mara, imaginées par Karl Lagerfeld, Jean-Charles de Castelbajac ou Anne Marie Beretta, stylistes ayant collaboré avec la maison, ainsi que des milliers d’autres pièces vintage, chinées à travers le monde et classées par types. C’est ici aussi que le studio de création vient régulièrement chercher l’inspiration pour créer des modèles qui, encore aujourd’hui, restent fidèles à la vision du fondateur, Achille Maramotti… Ce passionné d’art contemporain, qui passait son temps libre à voyager pour trouver l'œuvre coup de cœur qu’il n’avait pas encore...
Sa collection, la passion d’une vie
Chez Max Mara, la culture d’entreprise passe par la préservation du patrimoine mais aussi par la transmission et la passion pour l’art(isanat). Ainsi, l’usine historique de la maison, au nord-ouest de Reggio Emilia, construite en 1957 par les architectes Antonio Pastorini et Eugenio Salvarani, réputés pour leur approche rationaliste, accueille désormais la Collezione Maramotti, ouverte gratuitement au public. Amateur d’art depuis les années 1960, Achille Maramotti a constitué au fil des ans l’une des plus importantes et plus belles collections privées en Italie. D’aspect industriel, avec son toit plat, ses grandes fenêtres et ses sols en terrazzo laissant apparaître les traces laissées par les anciennes machines textiles, le lumineux bâtiment de deux étages expose depuis 2007 des œuvres signées Francis Bacon, Jean-Michel Basquiat comme de nombreux artistes italiens - Lucio Fontana, Piero Manzoni en tête… Selon le vœu du collectionneur avant sa mort en janvier 2005, on y découvre l’œuvre de toute une vie : plus de 1 000 peintures, sculptures et installations représentant les principales tendances artistiques italiennes et internationales de la deuxième moitié du XXe siècle. "En quête de nouveaux langages, Achille Maramotti a d'abord porté ses choix sur les avant-gardes italiennes, l'Arte Povera, la Transavanguardia, puis sur les courants américains des années 1980-90", nous explique la directrice de la collection, Sara Piccinini. Dans les premières salles, le parcours retrace les flux de l'art informel et expressionniste abstrait des années 1940-1950 et de l'Arte Povera (avec le Milanais Mario Merz ou le Gréco-Italien Jannis Kounellis), en passant par les œuvres conceptuelles d'un Claudio Parmiggiani, lui-même originaire d’Émilie-Romagne. Au fil de la visite, le style change… On passe ainsi des Anglais comme Francis Bacon et Henry Moore aux Allemands comme Richter, Polke et Baselitz. Plus loin, la sculpture s'impose dans l'open-space d'entrée avec l'admirable Buch (The Secret Life of Plants), d'Anselm Kiefer. En s'avançant vers le terme de ce premier acte, sous la barque noire suspendue de Parmiggiani, on se dit qu’il faut être un peu fou pour collectionner autant d'œuvres conceptuelles. Au deuxième étage, celui consacré aux années 1980-90, les Américains sont en force : Jean-Michel Basquiat, Julian Schnabel et Ellen Gallagher. Encore un peu plus loin, coup de cœur pour l’artiste tchèque Krištof Kintera qui propose un réseau urbain rhizomique évoquant les entrailles d'une machine vivante gagnée par le monde végétal Postnaturalia. Un petit goût d’apocalypse juste avant de découvrir une installation de Mario Merz, La frutta siamo noi, dont les fruits frais sont changés chaque semaine. On reprend ainsi goût à la vie juste à temps pour découvrir - caché au dernier étage de ce building industriel XXL - l’Atelier dell’Errore dirigé par l’incroyable Luca Santiago Mora qui dédie sa vie à la famille qu’il a formée et choisie : un collectif d’artistes extraordinaires, atteint de troubles autistiques pour la plupart. Dans cet espace protégé, l’erreur est magnifiée au point de créer des créatures imaginaires troublantes de beauté. L’espace leur est prêté par la famille Maramotti. On y crée, on y joue, on y danse aussi… Un espace plein de vie.
Archi, scéno et tutti quanti
Outre la riche collection permanente présentée sur deux étages, le rez-de-chaussée est réservé à des expositions à thème d'artistes du XXIe siècle. On y trouve aussi une bibliothèque qui rassemble toutes les archives, textes, écrits et documents qui parlent des œuvres et des artistes présents dans la collection Maramotti. Du côté de la scénographie, c’est à l'architecte anglais Andrew Hapgood à qui l’on doit les immenses plateaux panoramiques aux éclairages naturels complétés de lignes de néon sur des surfaces blanches et des sols en terrazzo. Côté sélection et accrochages des œuvres, ce sont les trois descendants Luigi, Ignazio et Ludovica Maramotti qui, en concertation avec la directrice de la collection, Sara Piccinini, prennent toutes les décisions. Enfin, le Max Mara Art Prize for Women 2022-2024 a été décerné à l'Anglaise Dominique White (elle aussi Marseillaise adoptive). Le fruit de sa résidence sera exposé en 2024 à la Whitechapel Gallery (Londres) et à la Collezione Maramotti. Et si vous comptez vous rendre quelques jours dans la région, sachez que la ville natale de Achille Maramotti est un paradis italien qui accueille chaque été le Fotografia Europea Festival, l’un des plus grands rendez-vous européens consacrés à la photographie en Europe. On ne manque pas non plus le musée de la ville Musei Civici, qui mixe sciences naturelles (collection Lazzaro Spallanzani, toujours présentée comme en 1862) et art contemporain, dont une croix composée de caisses d’épices de différentes couleurs et senteurs, Croce di luce, de Claudio Parmiggiani, tout à fait sublime. Sans oublier l’espace consacré au travail photographique de Luigi Ghirri. Un must-see à une heure de route de Milan, seulement.