Ilan Chétrite : "Après 10 ans, on connaît parfaitement nos clients"
Qui est l’homme Sandro en 2018 ?
Ilan Chétrite : Il est multiple, il est libre. Mais je dirais que c’est le même qu’il y a dix ans, avec ce désir constant de ne pas être mis dans une case. Un peu plus mature qu’au commencement, peut-être.
Vous avez pris un virage plus “mode” ces dernières collections. Pourquoi ?
Cela s’est fait naturellement, avec une prise de conscience du processus en cours. Après dix années, on peut se targuer de connaître parfaitement nos clients. Ils attendent de nous qu’on leur propose des vêtements destinés à être portés, pas uniquement voués à défiler, et que ces vêtements aient quelque chose en plus. Ils se doivent d’être intéressants dans leur essence, pas seulement dans les détails. Cela s’appuie sur notre vision pertinente du vestiaire : il s’agit de faire cohabiter des vêtements qui ne vont pas ensemble à l’origine. Cela apporte un certain charme. J’étais très fier de notre première collection, mais par la suite nous avons parfois cédé aux sirènes de la réalité commerciale. J’étais moins à l’aise avec cette option créative, et nos clients aussi. Aujourd’hui, finalement, nous opérons un retour aux bases de Sandro Homme.
Parlez-vous de style ou de tendance ?
Je n’aime pas le mot tendance. Il s’agit totalement d’une affaire de style, de lifestyle. Sandro, c’est un style. J’intellectualise beaucoup les choses, je dois faire un effort surhumain pour ne pas trop en abuser. Lorsqu’une marque grandit, se développe, il est difficile de garder son âme. Nous, nous avons réussi. Et c’est ça, Sandro Homme.
Ce qui vous inspire ?
L’air du temps avant tout, ce que les gens ont envie de porter. Même si cette notion part de choses abstraites. Aux prémices de chaque collection, je me demande ce que nos clients veulent porter, jusqu’où ils vont nous suivre, et jusqu’où on risque de les perdre. J’aime humer ce qui se passe dans la rue, les inspirations sont partout. Chez un homme de 70 ans au détour d’une rue du xvie arrondissement bourgeois qui portera très bien le vêtement classique, ou devant une terrasse de café dans le Marais où des hommes beaucoup plus jeunes porteront les mêmes vêtements que ce monsieur mais d’une manière complètement différente. Il est primordial d’avoir assez con ance en soi pour sentir ce dont on a le plus envie. Je pense que le vêtement se révèle lorsqu’il est porté. Mais les hommes, aujourd’hui, n’ont pas le temps de s’y projeter. Nous sommes dans un monde où les hommes sont pressés, impatients, et ont besoin de confort. C’est chic, le confort. Je ne veux plus de vêtements étriqués, ce n’est plus actuel.
Dix ans après, le projet créatif initial a-t-il changé ?
Lorsque j’ai lancé la marque, je l’ai créée dans une optique bien précise. Peu après, j’ai perdu de vue cette façon de penser, pour les raisons déjà évoquées. Heureusement, nous y sommes revenus aujourd’hui. Je suis beaucoup plus en phase avec mes créations. Le brief a évolué pour revenir à ses fondamentaux.
Diriez-vous que vous avez acquis une certaine maturité dans votre travail ?
J’ai du mal à parler de “création”, je ne suis pas à l’aise avec ce terme. Il est réservé aux élites de la mode, aux visionnaires. Je crée des vêtements pour des personnes concrètes, des clients, directement. Il est vrai qu’après dix ans, je tranche plus facilement, et je commence à prendre des risques. C’est aussi grâce à mon équipe, que j’aime beaucoup, en qui j’ai toute confiance et avec qui je communique énormément. Finalement, c’est de ces échanges que naissent la marque... et les nouvelles collections. Nous les réalisons en regardant beaucoup moins en arrière qu’auparavant, c’est grisant.
La pièce la plus marquante que vous ayez créée ?
Un manteau que j’ai fait uniquement pour moi, coupé dans une étoffe 100 % cachemire de chez Loro Piana. Son coût s’avérait trop onéreux au détail, j’ai donc renoncé à le commercialiser.
Celle qui vous a donné le plus de fil à retordre ?
La paire de baskets qui ne va pas tarder à sortir en boutiques, une paire de running prévue pour l’hiver. Je désespérais de la mettre au point, il a fallu faire tellement d’allers-retours à l’usine. On l’a surnommée “L’Atomic”, et pour cause.
Le concept marketing auquel vous ne céderez jamais ?
Avoir un compte Instagram !
Quel avenir pour l’ homme Sandro ?
Un avenir radieux ! Du moins, je l’espère. Qu’il continue à nous plaire. Et que l’on s’éclate toujours autant à l’imaginer.