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L'utopie est enfin à la mode

Certains experts s’accordent à dire de cette petite entreprise qu’elle pourrait révolutionner l’industrie de la mode et ouvrir de grandes perspectives, comme ce fut le cas au début du e-commerce. Et si le concept de mode digitale de The Fabricant relève pour certains d’une utopie fantaisiste, il n’en reste pas moins que son histoire vaut le détour.
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Il faut avoir une sacrée dose d’imagination pour comprendre ce que ces deux jeunes Néerlandais ont derrière la tête. Avec leur société et marque The Fabricant, les intrépides Kerry Murphy, 37 ans, et Amber Jae Slotten, 25 ans, formés respectivement aux effets spéciaux et au design mode, entendent imposer au monde une mode 100% digitale, comprenez physiquement inexistante. “Avec l’imaginaire pour unique atelier”, aiment-ils à dire. Fini les contraintes matérielles! Leur technologie 3D remplace le tissu, et évite ainsi le gaspillage, fléau d’une fast fashion super polluante aujourd’hui pointée du doigt. Un pari osé, d’une virtualité déconcertante, qui pourrait annoncer dans les années à venir un bouleversement des méthodes de production.

L’Officiel Hommes: Quand et comment est né le projet The Fabricant?

Kerry Murphy et Amber Jae Slotten: Nous avons tous les deux entamé une collaboration en 2016, et The Fabricant est né deux ans plus tard. L’entreprise est pour l’instant autofinancée, mais beaucoup de monde s’y intéresse, et l’idée d’un premier tour de table est à l’ordre du jour. Quand nous aurons affiné notre identité digitale ainsi que la direction à suivre, et aussi trouvé le bon partenaire, le reste suivra.

En quoi consiste concrètement le projet The Fabricant?

The Fabricant est une maison de couture digitale, la première du genre. L’idée est de faire se rencontrer le design de mode et la technologie d’animation, pour ne créer que des vêtements virtuels. Aucun produit physique! Nous avons créé un software de patrons en 2D, doublé d’un software en 3D, permettant aux patrons modélisés de prendre vie avec un film en mouvement. La 3D offre de multiples possibilités, en matière de lumières, fonds, et outils divers.

Quel en est l’intérêt premier?

L’intérêt est de pouvoir proposer aux marques et aux consommateurs une alternative à la confection traditionnelle, contraignante, onéreuse et surtout terriblement polluante. C’est en quelque sorte la mode du futur. Et la raison première de ce projet est de permettre technologiquement aux marques
de créer et développer des collections entières de façon hyper-réaliste sans passer par l’étape du patronage. Côté consommateurs, cela permet à toute une génération élevée au digital et travaillant avec l’image, les influenceurs notamment, d’expérimenter des produits qui n’existent pas vraiment. Une rencontre étonnante entre le réel et le virtuel.

Les débuts ont-ils été difficiles?

Pas vraiment. Tout a été très vite. Le 15 juin 2018, nous présentions notre première collection digitale devant une trentaine de journalistes intrigués. Quelques-uns ne comprenaient pas bien! Nous avions réalisé pour l’occasion un film de cinq minutes, reproduisant virtuellement un défilé de mode. Ce nouveau langage esthétique était inédit dans l’industrie de la mode.

Quels sont vos premiers clients, et que leur proposez-vous?

En ce qui concerne les marques et les distributeurs, nous leur vendons un service. Celui de mettre à leur disposition notre technologie digitale pour des projets sur mesure. Le multimarque hongkongais I.T, pour ses trente ans, nous a commandé en janvier dernier une collection virtuelle exclusive présentée dans un film de soixante secondes, des photos ainsi qu’une collection capsule dont on peut commander les produits sur une application dédiée. Actuellement, nous collaborons avec les marques Napapijri, Tommy Hilfiger et avec le magazine i-D du groupe Vice, pour lequel nous créons des formats vidéo de trois minutes avec trois grands influenceurs d’Instagram portant nos créations digitales, pour une réflexion sur l’avenir de la mode. Les réseaux sociaux, exclusivement fondés sur l’image, doivent donner l’exemple à suivre: pourquoi ne pas sensibiliser leurs auteurs à utiliser et promouvoir des produits autres que physiques, et donc lourds de conséquences pour l’environnement.

La mode responsable et le développement durable sont-ils la raison d’être de votre entreprise?

C’est indéniable. Nous avons grandi avec. Jusque dans nos études, où l’on nous a encouragés à penser différemment. La surproduction, dans l’industrie de la mode notamment, est un vrai challenge pour l’avenir. Il doit y avoir une prise de conscience rapide, un changement d’état d’esprit, et des solutions concrètes à apporter. La haute technologie, l’intelligence artificielle, peuvent y contribuer. La preuve avec le pakistanais Soorty Denim, grand fournisseur de denims éco-responsables à des géants comme Zara, H&M, C&A, Tommy Hilfiger, qui nous a confié la réalisation d’un film d’une minute pour le lancement de son produit “Gold Standard” qui repose sur le concept du C2C (“Cradle to Cradle”, le recyclage à l’infini qui garantit un impact environnemental minimal, ndlr). Ce film permet de montrer le produit en mouvement, jusque dans sa texture, de façon uniquement virtuelle. Une technique qui colle parfaitement à la philosophie environnementale de la marque.

Jusqu’où pensez-vous pouvoir aller?

Les solutions sont infinies. Et incroyablement disruptives. Il y a quelques mois, nous avons vendu nos premières créations digitales griffées The Fabricant pour un total de 9500 dollars sur une blockchain, rendant la contrefaçon impossible et permettant ainsi de créer des “one shot” uniques et désirables. Personne ne l’avait jamais fait auparavant.

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