Les vampires à la cinémathèque de Paris
Du comte inquiétant enroulé dans sa cape noire à la teen idole en baskets et au teint irisé, le vampire a conquis non seulement le grand écran mais l’imaginaire populaire, revisité par chaque génération de cinéastes, mais aussi par les écrivains et les artistes. L’exposition de la Cinémathèque nous emmène sur les traces du vampirisme depuis ses origines troubles (les succubes dans l’Enfer de Dante ou encore les contes folkloriques d’Europe centrale), en passant par ses premiers succès à l’époque victorienne (avec les romans de Sheridan Le Fanu et Bram Stoker) jusqu’à aujourd’hui avec sa symbolique politique ou économique. Les murs tendus de noir et le tapis rouge sang évoquent une crypte et une vitrine en forme de cercueil abrite même des artefacts des deux Nosferatu tournés en Allemagne : le premier, séminal, de Murnau en 1922 et le second, flamboyant, de Werner Herzog en 1979 avec Klaus Kinski et Isabelle Adjani. Si les morts voyagent vite, le vampire change aussi facilement de peau : du monstre nuisible aux dents de serpent au héros romantique. Se succéderont ainsi sur grand écran Bela Lugosi en smoking, Christopher Lee en cape, puis Gary Oldman ou Tom Cruise en redingotes de dentelles, David Bowie en lunettes noires, jusqu’au lycéen idéal joué par Robert Pattinson dans la série Twilight. Évidemment, dans les 70s, le vampire devient objet de fantasme érotique (un genre où excelle l’inimitable Jean Rollin) avec une vague de films de vampires lesbiens.
Plus ambitieux, le film Les Lèvres rouges, de Harry Kümel en 1971, fait de Delphine Seyrig une comtesse Bathory aussi dandy que dangereuse (voir photo ci-dessus). Dans les 90s, le vampire devient rebelle – on se souvient des outsiders grunges d’Aux frontières de l’aube, de Kathryn Bigelow, et des esthètes punk désenchantés du magnifique Only Lovers Left Alive, de Jim Jarmusch. Des œuvres d’art commentent aussi le mythe avec les châteaux sombres d’Odilon Redon, une étreinte homo-érotique de William Bouguereau, les femmes vampires de Leonor Fini, le baiser de Bela Lugosi par Andy Warhol ou encore deux œuvres créées pour l’exposition par Claire Tabouret et Wes Lang. Côté expérimental barré, les réalisateurs Charles Matton, Guy Maddin et Bertrand Mandico (qui a conçu un “mur” pour l’expo,) ont aussi livré leur version de ces revenants fascinants. Mais c’est la mise en abyme avec le cinéma qui trouble le plus, avec ses spectateurs seuls dans la nuit, sous l’emprise de l’image, fascinés par ces monstres séduisants, des acteurs entièrement créés puis détruits par Hollywood comme l’insinuent les clichés de James Dean jouant dans des cercueils de funérarium en 1955.
Exposition “Vampires : de Dracula à Buffy”, à la Cinémathèque jusqu’au 19 janvier 2020.