Joaillerie

Comment se prendre pour Marie-Antoinette ?

La nouvelle collection de haute joaillerie de Victoire de Castellane pour la maison Dior poursuit son travail d’exploration du château de Versailles, entre bosquets et pièces d’eau. Une évocation féerique à mi-chemin entre perception enfantine et travail d’artiste.
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Victoire de Castellane travaille comme si elle ne travaillait pas. Du moins, c’est ce qu’elle aimerait nous faire croire. Sa joaillerie met en lumière un monde idéalisé, proche du conte de fées, à travers le filtre de la couleur et du ressenti. Exactement comme le ferait un croquis d’enfant ou un dessin d’artiste qui a tout appris des grands avant de tout désapprendre pour mieux suivre son chemin. Bref, elle n’intellectualise pas. Tout chez la directrice artistique de la joaillerie Dior, ses travaux, sa conversation, atteste une aversion de la lourdeur. Tout doit rester léger. "Je travaille comme si j’avais 5 ans." Mais il ne faut pas s’y méprendre, cette légèreté charmante, qui peut passer au premier regard pour du dilettantisme, parfois pour de l’excentricité, est la marque d’un esprit fort. Un trait de famille peut-être ? Un esprit proche des Mortemart et des Guermantes, un goût avidement recherché par les grands joailliers. On n’est pas surpris d’apprendre que Louis Cartier consultait régulièrement Boni de Castellane (1867-1932) : ce dandy redouté pour son caractère railleur était un impitoyable arbitre des élégances, au jugement très sûr. À l’époque, les aristocrates ne travaillaient pas ; aujourd’hui, Boni serait un directeur artistique de premier ordre, c’est-à-dire un esthète capable de prodiguer à une grande maison cette essence spéciale qui caractérise la création véritable.

Organique et solaire

 

Victoire de Castellane, comme son illustre aïeul, met du sérieux dans la frivolité et de l’espièglerie dans la solennité. Dans ses deux dernières collections de haute joaillerie, elle a exploré le château de Versailles. Dans la première, en étudiant ses détails ornementaux, dans la seconde, "Dior à Versailles, côté jardins", en s’inspirant des jardins du domaine royal. "J’ai voulu que, dans chaque bijou, on retrouve cette association paradoxale entre nature et culture, si caractéristique du travail de Le Nôtre et du parc de Versailles." C’est un Versailles organique, solaire. Un paysage que l’habitude et l’expérience n’ont pas désenchanté. Pierres brillantes comme des bonbons luisants, écume féerique, jaillissements multicolores. 

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C’est aussi une leçon de minéralogie : les pierres précieuses gourmandes – émeraudes, rubis, saphirs violets, diamants roses et jaunes – côtoient des pierres fines ou ornementales d’une prodigieuse variété – spinelles, grenats, tourmalines, opales, améthystes, turquoises – et des gemmes plus inattendues, comme ces haüynes qui forment un merveilleux contraste avec la laque verte et le cristal de roche en ébullition, ou ces agates et ces amazonites sculptées qui composent le dos d’une bague pour mieux rappeler les fonds des pièces d’eau. Derrière ce regard d’enfant, il y a pourtant une érudition folle, une curiosité universelle, un labeur exigeant, et un savoir-faire d’exception.

Les défis de la créatrice

"Victoire sait exactement ce qu’elle veut, elle a le bijou clairement fini dans sa tête et, en même temps, elle n’a pas d’a priori", explique Philippe Scordia. Ce grand professionnel, qui a passé sa vie dans les ateliers de la place Vendôme, veille à la bonne fabrication des bijoux et à l’achat des pierres de la haute joaillerie Dior depuis 1998. Il accompagne Victoire depuis ses débuts au sein de la maison de l’avenue Montaigne et veille scrupuleusement à trouver une solution satisfaisante aux nombreux défis lancés par la créatrice. Ce qui exige d’être en contact permanent avec le nec plus ultra de l’artisanat parisien. "L’enthousiasme de Victoire est communicatif et inspirant. Nous lui présentons toujours une grande variété de pierres car ses critères de sélection ne se limitent pas aux paramètres habituels, comme le prix par exemple. Victoire aime les pierres de caractère." Ces partis pris déroutent parfois la profession. "Victoire n’aime pas trop les diamants taille brillant par exemple, qu’elle trouve communs. Elle préfère la taille poire, la taille émeraude et adore la taille rose, une taille ancienne qui comprend moins de facettes que les diamants récents. Il n’est pas rare que nous demandions aux lapidaires de gommer le brillant de la pierre, ce qui, du point de vue du lapidaire, est une aberration, mais qui, du point de vue de l’artiste, est un besoin : une condition sine qua non pour toucher du doigt quelque chose de plus impalpable et de plus précieux que la rareté : l’émotion."

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