Joaillerie

Le diamant : pourquoi il nous attire toujours autant?

Son essence précieuse illumine l’Eternel féminin et pourtant le diamant fut longtemps réservé aux hommes. Chronologie, sous toutes ses facettes, d'une histoire d'amour parfois orageuse mais toujours passionnée entre la plus précieuse de pierres et les femmes de légende.
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C’est d’abord une histoire d’hommes. Une histoire qui débute dans l’ancienne capitale, aujourd’hui en ruines, du royaume de Golkonda en plein coeur du continent indien. Car durant des millénaires, et jusqu’aux premières heures du XVIIIe siècle, Golconde fut l’unique source de diamants pour l’intégralité du globe. Ces pierres à l’aspect singulier, qu’on trouvait près des cours d’eau (certains pensaient même qu’elles poussaient de terre -comme des légumes - et on utilisait des fèves de caroubier comme étalon de masse pour les peser), ornaient les riches parures de longues et puissantes dynasties indoues, musulmanes puis Mongols qui l’aimaient non pour sa brillance mais pour sa dureté. Le nom même de Diamant, qui vient du grec ancien « Adamas », (l’indomptable), confirme l’importance alors accordée à cette propriété physique de laquelle on transposait sur son heureux possesseur des vertus morales en somme, plutôt viriles. En Europe, même si son commerce fut limité par l’Eglise qui condamnait son usage comme amulette païenne, le diamant était lui aussi réservé aux rois qui le portaient au sommet des couronnes, en pendentif, ou pour orner leurs regalia. Les codes somptuaires étaient d’une grande rigueur : en France, Saint Louis veilla farouchement – une pratique largement répandue dans les royaumes voisins - à ce qu’on interdît le port du diamant aux femmes.

 

L’épopée liant la noble pierre à la gent féminine débuta sur un coup d’éclat. Nous connaissons tous l’incroyable vie d’Agnès Sorel dont les historiens retiennent qu’elle fut la première maitresse royale, un titre inventé pour elle. On sait aussi qu’elle inventa le décolleté épaules nues, qualifié de « ribaudise et dissolution » par les chroniqueurs de ce temps. Mais peu d’entre nous savent qu’elle fut la première femme en France, non pas à porter des diamants mais à en recevoir. Un somptueux cadeau de Charles VII qui tenait par ce glorieux présent à marquer le statut privilégié de sa Favorite. Cependant, cette extravagance ne fut pas suivie de nombreux exemples. Il fallut attendre 1477 pour qu’une duchesse de sang royal puisse enfin avoir accès à la précieuse gemme. C’est en effet la date à laquelle l'archiduc d'Autriche, Maximilien 1er de Habsbourg, offrit un diamant à Marie de Bourgogne comme bague de fiançailles. Et si plusieurs reines arborèrent par la suite des diamants exceptionnels, reçus de leur époux ou provenant de la cassette royale (en France par exemple, la collection des joyaux de la Couronne fut constituée en 1530 par François Ier : les joyaux portés par les reines devaient être remis au trésor royal à la mort de leur mari) gardons-nous de considérer l’emploi de cette pierre avec les yeux de notre époque : les femmes la portent, non pas en gage d’amour ou de passion mais comme l’attribut somptuaire d’un pouvoir inaliénable et absolu. En quelque sorte, elles les portent comme le feraient les hommes.

On pense bien entendu à Marie de Medicis dont la légende noire ne doit pas nous faire oublier qu’elle fut l’heureuse propriétaire du Beau Sancy* (une pierre remarquable venue des mines nouvellement découverte au Brésil) ni qu’elle permit, en octroyant sa protection pour services rendus, la naissance de la plus ancienne dynastie de joaillier française: les Mellerio dits Mellers. On pense également, parmi de nombreux autres exemples de souveraines fortes et puissantes qui se considéraient elles-mêmes comme des rois, à la superstitieuse Elisabeth 1er , qui, soulignons-le au passage, refusa toujours de se marier. Lorsque la prudente reine d’Angleterre et d’Ecosse se fit offrir le Koh-I-Noor (dont la légende indienne rapporte qu’il portait malheur aux mâles), la dernière des Tudor spécifia dans son testament que ce diamant si convoité ne devrait plus être porté à l’avenir, que par la femme du souverain régnant. Cette volonté fut toujours respectée : en 1937, ce dangereux diamant devint le centre de la couronne de la reine Elizabeth, couronne aujourd'hui conservée parmi les joyaux de la Tour de Londres.

*le Beau Sancy se trouve au sommet de la couronne de Marie de Médicis. Portrait réalisé par Pourbus.

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Notre chronique devient véritablement intéressante au 19eme siècle qui vécut pourtant des premières heures bien troubles. L’Europe dévastée par les guerres napoléoniennes, (désastre assorti d’un épuisement progressif des mines d’Inde et du Brésil), se détourna du diamant, trop cher et trop rare. L’aristocratie reconstituée fit avec les moyens du bord et développa un gout prononcé pour les pierres de couleurs semi-précieuses. Tout évolua cependant avec la révolution industrielle et sa cohorte d’expositions universelles qui contribuèrent à populariser le diamant auprès d’une nouvelle bourgeoisie d’affaire substituant aux coutumes de la noblesse, sa propre vision du goût : longtemps montée sur des chatons métalliques, la pierre devint l’élément constitutif de parures cousues à même le vêtement. Il ne fut plus rare, toutes proportions gardées, d’offrir un diamant en preuve d’amour. Et la reine Victoria elle même attesta au cours de son long règne constellé de somptueuses parures (montées pour la plupart chez R&S Garrard & Co), qu’une tête couronnée pouvait concilier mariage de raison et mariage de cœur.

Portrait de la reine Victoria en 1842 par Franz Xaver Winterhalter (détail)

Tout s’accéléra nettement en 1866 lorsqu’un jeune garçon découvrit dans une roche volcanique une pierre étrange qui passa de mains en mains avant d’atterrir sous des yeux experts. Ces regards affutés l’identifièrent, malgré la suspicion générale, comme un diamant. C’était l’Eureka, un brut ultérieurement taillé en un ovale de 10,73 carats, une pierre relativement modeste par sa taille mais qui allait pourtant poser les jalons d’une nouvelle ère de postérité en Afrique du Sud et préfigurer la naissance de la De Beers. Ces nouveaux gisements découverts, plus rien ne viendra alors empêcher la folle histoire d’amour entre les femmes et le diamant de s’épanouir. Avec un bémol cependant. Car si le Second Empire et la Belle Epoque furent le théâtre de scintillantes apparitions et le terrain privilégié qui permit à de nouvelles divinités féminines (ces fameuses reines de Paris, reines sans royaumes d’ailleurs, qui firent la fortune de Boucheron) de s’afficher arborant de somptueuses parures de lumière, le diamant restait encore, à cet époque pas si lointaine, l’attribut suprême de la puissance.

Il fallut attendre 1947 et le formidable slogan « A diamond is forever » inventé par De Beers pour cette pierre magique, jadis synonyme d’invulnérabilité ne fasse définitivement son entrée dans la carte du tendre et de la romance auprès de toutes les classes sociales. Un dernier mot encore, sur ces fameuses reines de Paris. Vous avez bien entendu reconnu sous ce qualificatif glorieux celles qu’on appelaient alors les Courtisanes et dont le modèle absolu reste la Paeva. La Haute Joaillerie leur doit beaucoup, et il faut lire le livre de Vincent Maylan, intitulé Archives Secrètes de Boucheron, pour comprendre l’inventivité déployé par ces demi-mondaines, souvent très cultivées d’ailleurs, en matière de commandes de bijoux. Déterminées à conquérir Paris avec les armes mises à leur disposition par une généreuse Nature, ces grandes Cocottes furent les étincelants protagonistes de joutes féroces dont les chroniques mondaines gardent de savoureux échos. On rapporte ainsi qu’un jour (ou plutôt une nuit), Agustina Otero Iglesias, qu’on surnommait la Belle Otero, fit son entrée dans un haut lieu de réjouissances avec le corsage entièrement constellé de diamants. Sa grande rivale, la pétillante danseuse Liane de Pougy, avait eu vent de ce coup d’éclat prémédité qui, par comparaison, détruisait son prestige et galvaudait son autorité. Aussi fit-elle, à sa manière, une entrée remarquable et remarquée ce soir-là. C’est à dire qu’elle était toute de noire vêtue, et qu’ elle ne portait aucun bijou,ce qui était tout à fait inhabituel. Signe de soumission aupres de sa congénère ? Pas tout à fait. Une frêle personne la suivait. La grande danseuse se tourna vers cette inconnue afin de l’aider à se débarrasser d’un épais manteau. Cette frêle personne, c’était la servante de Liane de Pougy. Sur sa poitrine, sur ses bras, enfin partout, brillait l’intégralité des bijoux de sa maitresse. Stupéfaite d’abord, indignée ensuite, la Belle Otero, quitta aussitot la pièce non sans semer au passage quelques injures dans sa langue espagnole natale. Injures dont la traduction n’est hélas, jamais parvenu jusqu’à nous.

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Bracelet à charnière, collection Tiffany T, or blanc 18 K et diamants par Tiffany, 9 200 euros www.tiffany.fr
Bague Possession en or blanc 18 k, sertie de 234 diamants taille brillan (en.2,20 cts), à partir de 16 900 euros www.piaget.fr
Bague Juste un clou de Cartier, or gris et diamants, 10 200 euros www.cartier.fr

L’école Van Cleef & Arpels se dresse depuis quelques années dans un vaste bâtiment de la place Vendôme. On accède à ce havre de connaissances, ouvert à tous, par la rue Danielle Casanova. Une ambiance studieuse mais joyeuse se développe dans chacun des cours d’initiation à la joaillerie et à l’horlogerie prodigués par de grands professionnels, gemmologues réputés ou historiens émérites de l’art, tous accueillants et pédagogues. Certains soirs, l’établissement propose des conversations organisées autour de thèmes aussi divers que les bijoux dans la peinture, la Maison Fouquet, la magie de la perle fine ou les mythiques émeraudes de la vallée du Muzo. Nous avons souhaité confronter notre jugement à la connaissance de ces experts en leur demandant, qui furent, selon eux, les plus grandes collectionneuses de diamants. Leur classement a confirmé ce qui n’était chez nous, qu’une d’intuition.

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Une personnalité domine ce classement : c’est Elisabeth Taylor. L’actrice aux yeux violets dont Richard Burton disait qu’elle ne connaissait qu’un seul mot italien (ce mot était Bulgari) fut une collectionneuse passionnée qui avait la particularité finalement plutôt rare de porter ses bijoux. Passionnée mais aussi très généreuse. Non seulement les plus belles gemmes (Richard est un vrai connaisseur) passèrent entre ses mains, non seulement, les plus grands noms de la joaillerie - Cartier, Belperron, Bulgari, Van Cleef & Arpels – eurent le privilège de l’avoir comme cliente assidue, non seulement un diamant prestigieux taillé par Harry Winston et vendu par Cartier porte le nom de ses amours tapageuses : le Burton-Taylor ; mais ces richesses facettées lui permirent également de faire le bien auprès des malades et des plus démunis. La dispersion - 120 millions d’euros - en 2011 chez Christie’s, au profit d’œuvres caritatives, de son exceptionnelle collection reste à ce jour la plus grande vente aux enchères de bijoux jamais réalisée. Juste devant celle, colossale, organisée par Sotheby’s avec les belles parures de la Duchesse de Windsor.

La deuxième personnalité couronnant ce classement est d’ailleurs Wallis Simpson. Encore une histoire d’amour. Cette américaine sans pedigree qui fit abdiquer le futur Edward VIII fascine autant qu’elle dérange mais tout le monde s’accorde sur le raffinement exquis de ce couple singulier en matière de diamants. Le duc et la duchesse de Windsor participaient activement à l’élaboration des bijoux qui témoignent encore aujourd’hui de leur déraisonnable passion mutuelle. La légende veut que Wallis aurait soufflé l’idée du célèbre Zip à Renée Puissant, la fille d’Alfred Van Cleef et d’Estelle Arpels. Et il est certain qu’elle lui inspira fortement la réalisation de la montre cadenas qui permettait, à une époque où le sévère protocole des soirées d’apparat interdisait à une femme de porter une montre, de regarder l’heure en toute discrétion.

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Si les diamants contribuèrent amplement à auréoler de lumière la légende amoureuse de Grace Kelly, de Jacqueline Kennedy (qui reçut en bague de fiançailles l’étourdissant Lesotho III issu d’un brut monstrueux de 601 carats acheté par Harry Winston en 1969) , de Maria Callas et de la malheureuse Barbara Hutton, on ne peut terminer ce petit périple joaillier sans citer les diamants qu’on faillit ne jamais connaître. Un diamant jaune nous vient particulièrement à l’esprit : en 1977, Fred Samuel présenta Soleil d’Or, une merveille fancy yellow d’un poids extravagant de 105,54 carats. Lors du dîner de présentation, Margaux Hemingway joua avec la pierre qui disparut soudainement. La panique fut générale jusqu’à ce que le diamant couleur jonquille ne refasse une remarquable mais insolite apparition… entre les dents du mannequin.

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Maria Callas
Elizabeth Taylor
Jackie Kennedy
Grace Kelly

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