Nadja Swarovski : "L’important, c’est toujours l’humain"
L’anecdote est assez connue. Une cliente admirant un bijou scintillant demande à une conseillère :
“Est-ce du vrai ou du faux?
– Ni l’un ni l’autre, Madame.
– C’est quoi alors?
– Madame, c’est du Swarovski!”
Cette réponse résume l’essence de la maison qui a fondé sa longue existence et bâti sa grande prospérité non pas seulement sur un matériau de prédilection, un savoir-faire spécifique ou une catégorie de produits, mais sur une philosophie. La philosophie de l’éclat.
Cette philosophie puise ses racines telluriques dans une petite commune nichée dans une vallée bordée de montagnes, en plein cœur du Tyrol autrichien. Cette commune, c’est Wattens : un village calme et reculé qu’irrigue en abondance l’eau claire et pure des Alpes. C’est ici que vint s’installer en 1895, avec toute sa famille, un jeune lapidaire passionné par les nouvelles possibilités offertes par l’électricité et par les récentes découvertes présentées à Vienne par Thomas Edison. L’endroit est bien loin de sa Bohème natale. Pourquoi avoir quitté cette région si parfaitement en adéquation avec son métier? Parce que ce lapidaire – qui se nomme Daniel Swarovski – est aussi un inventeur. Il vient de créer une machine à tailler et polir le cristal à la perfection.
L’endroit lui convient pour plusieurs raisons : l’eau tout d’abord. Ou plus exactement l’énergie hydraulique nécessaire aux fonctionnements des machines. Le calme ensuite. Le village, protégé par les sommets environnants, est parfaitement à l’abri des regards, loin des contrefacteurs. Enfin, la troisième raison : bien que reculé, le village n’est pas inaccessible. Au contraire, la récente ligne de chemin de fer Zurich-Prague-Moscou auprès de laquelle est reliée Wattens permet au prodige d’entretenir, grâce à l’entregent de son associé parisien Armand Kosman, des relations amicales et commerciales avec tous les grands noms du continent.
Car les cristaux prodigués par Daniel Swarovski, épaulés par ses trois fils – Fritz, Alfred et Wilhelm – s’avèrent très vite d’excellente qualité : ils sont parfaits, étincelants. Ils affolent l’imagination. Celle tout d’abord du prestigieux “père” de la haute couture, Charles Frederick Worth, mais aussi celle de Jeanne Paquin, des sœurs Callot. La légende affirme que Coco Chanel venait en personne dans le Tyrol choisir les sachets de pierres. Les archives de L’Officiel le prouvent : peu de décennies, des Années folles aux Trente glorieuses, ont résisté à l’irrésistible attraction de Swarovski qui vit son nom associé tour à tour à Jeanne Lanvin, Elsa Schiaparelli, puis un peu plus tard Jacques Fath ou encore Cristóbal Balenciaga. Au sommet de sa gloire, Christian Dior exprimait volontiers sa prédilection pour ces remarquables pierres du Tyrol, et plus précisément son admiration pour la richesse chromatique d’une pierre opalescente, baptisée Aurore Boréale, créée spécialement pour lui par Manfred Swarovski, le petit-fils de Daniel Swarovski. Pour compléter le portrait du fondateur d’une saga plus que centenaire, disons encore que Daniel Swarovski était un parfait ami des arts et des artistes. Son amitié pour Gustav Klimt, qu’il soutenait énergiquement, était notoire. Ce trait de caractère aura son importance dans la suite du récit.
Un esprit créatif
Swarovski, 125 ans plus tard, est toujours une maison familiale. Elle est incarnée par Nadja Swarovski qui semble avoir hérité de son arrière-arrière-grand-père le goût de l’innovation, l’esprit créatif et le sens de l’engagement social. Sous son impulsion, Swarovski multiplie ses champs d’expression : la mode tout d’abord (les cristaux n’ont jamais autant brillé sur les podiums que depuis le début du nouveau millénaire), mais aussi le design, la maison, le bijou ; parfois contre l’avis de tous : comme lorsque, par exemple, Nadja s’implique avec enthousiasme dans l’univers du luminaire. Et pourtant, le succès, là aussi, révèle la pertinence de son flair : les lustres dont elle confia la réalisation à des designers de premier plan, comme Ron Arad ou les frères Bouroullec, ont été remarquablement consacrés par la presse et public. Elle crée, enfin, le concept baptisé Atelier Swarovki au sein duquel la maison tisse des liens profonds avec l’avant-garde de la création contemporaine, aux quatre coins du globe.
En filigrane de cette curiosité universelle, une véritable éthique s’exprime par un vaste investissement dans le champ culturel par le biais de la recherche, de l’éducation, de la défense du patrimoine, de la protection de l’environnement, du mécénat. Les exemples de cet investissement sont trop nombreux pour être énumérés, citons simplement l’existence de la Fondation Swarovski qui soutient de nombreuses actions caritatives et qui promeut activement, par le biais de multiples initiatives, l’empowerment féminin, une cause très chère à Nadja.
La présentation, en 2017, de la première ligne de joaillerie éthique Atelier Swarovski (baptisée Atelier Swarovski Fine Jewelry) s’inscrit précisément dans une démarche soucieuse de préserver l’environnement. Cette ligne composée de collections imaginées par des personnalités créatives – Penélope Cruz, Stephen Webster, Paige Novick, pour ne citer que les collaborations les plus récentes – s’articule autour de pièces sculpturales, d’une grande beauté formelle et créative, serties de pierres créées en laboratoire : des diamants, mais aussi des saphirs, des rubis et des spinelles. Elles sont enchâssées dans l’or fairtradequi provient de la coopérative minière Limata Limitada au Pérou, ou dans de l’or recyclé. Tous les diamants créés par Swarovski sont sélectionnés à la main et examinés par des gemmologues expérimentés, pour garantir une qualité élevée. Toutes les pierres de plus de 0,50 carat sont certifiées par l’International Gemological Institute, l’un des instituts de gemmologie les plus réputés au monde. De plus, Swarovski a créé pour les diamants de plus de 0,10 carat une inscription au laser, visible uniquement au microscope, identifiant clairement leur origine synthétique.
Une énergie positive
Cette exigence éthique, longuement réfléchie et pleinement assumée, a été reconnue par le Responsible Jewellery Council – une organisation internationale de normalisation et de certification à but non lucratif. Atelier Swarvoski a ainsi obtenu fin 2019 une recertification de trois ans de la part du RJC : une validation positive de pratiques commerciales responsables auxquelles tient tant Nadja Swarovski : “Les diamants cultivés en laboratoire sont un choix conscient qui respecte le bien-être des personnes et de la planète. Face aux questions environnementales, comme les émissions atmosphériques, la perturbation des terres et des océans, la consommation d’eau et d’énergie, les études – notamment l’étude Frost & Sullivan qui fait autorité sur ce sujet – penchent largement du côté des diamants créés.”
Un défi de transparence taillée sur mesure pour ce talent multifacette : “L’important, c’est toujours l’humain. Que ce soit lorsqu’on travaille avec des créateurs et des artistes, reconnus ou prometteurs, ou lorsqu’on travaille avec des mineurs, des lapidaires, des ingénieurs, il faut toujours garder cette empathie qui permet de faire comprendre à votre interlocuteur que l’on ne tire pas avantage à ses dépens. Cela nécessite de la passion qui permet de faire émerger cette symbiose nourrie de respect mutuel.” Cette éthique chevillée au corps explique également pourquoi Swarovski reste et restera à Wattens ou s’élève, en plus de la manufacture, le Swarovski Kristallwelten, que l’on pourrait traduire par “les mondes de cristal”, un musée destiné à l’émerveillement, qui enchante des millions de visiteurs venus du monde entier chaque année. Des artistes et créateurs internationaux – Ron Arad, Zaha Hadid, Alexander McQueen, Tom Dixon, Ross Lovegrove, Tokujin Yoshioka, Tord Boontje ou encore Brian Eno – y ont donné libre cours à leur imagination. “Nous avons bâti notre atelier il y a 130 ans dans une vallée entourée de montagnes ou vivaient des communautés de fermiers. Les fils et les petits-fils de ces fermiers sont descendus dans la vallée au fil des générations pour devenir lapidaires chez Swarovski. Ces descendants des montagnes forment aujourd’hui une communauté solidement établie qui aime sa manufacture et que je suis fière de soutenir. Bien sûr, nous avons une mosaïque de filiales importantes, que ce soit à Paris ou Milan, Singapour ou Los Angeles, des filiales installées au sein des univers vibrants de la mode, de la haute couture, de la musique ou du cinéma, mais le cœur vibrant de Swarovski est à Wattens, en Autriche, et il le restera.” La voici donc résumée cette philosophie de l’éclat : plus qu’une réfraction sur une matière, c’est avant tout une énergie positive qui se propage.