Un bon chanteur est un chanteur mort
Le 3 octobre 1970, quand elle enregistre Me and Bobby McGee, Janis Joplin ne se doute pas un seul instant qu’elle va devenir une pionnière dans un secteur très particulier qui génère, chaque année, des centaines de millions d’euros aux quatre coins du globe. Vingt-quatre heures après l’enregistrement de ce morceau qui sera son plus grand tube, elle meurt d’une overdose, à l’âge de 27 ans, et devient l’un des premiers produits internationaux du business de la mort dans l’industrie du disque. Quatre mois plus tard, le titre sortira sur l’album Pearl et s’écoulera à près de cinq millions d’exemplaires en quelques semaines. Et continue, quarante-six ans plus tard, de générer de jolis droits d’auteurs à ses ayants droit et à sa maison de disques. Dalida, elle, ne joue pas sur le même registre. Ce n’est pas une icône du rock ni un mythe planétaire et sa musique ou ses choix vestimentaires ont été plus que discutables. Mais comme la divine Janis, elle continue de faire la richesse de ses héritiers, en particulier de son petit frère, le sémillant Orlando qui a su capitaliser sur les regards langoureux et les bluettes de la grande star de la variété française des années 1970. Durant l’année 2017, 30e anniversaire de sa mort, les millions vont tomber en cascade sur les vestes brillantes du gardien du temple de la chanteuse d’origine égyptienne. Grâce au deal signé il y a déjà trois ans avec Pathé, le producteur du biopic Dalida, réalisé par Lisa Azuelos, Orlando va toucher le pactole. Et avec la réédition d’albums, de quelques livres et autres spectacles post-mortem, le petit frère, qui vient tout juste de fêter ses 80 ans, pourrait récolter autour de 4 millions cette année !
Un rêve capitaliste
Une jolie somme... qui semble dérisoire sur le marché international des chanteurs morts, dominé par Michael Jackson. Dès son décès, le 25 juin 2009, le King de la pop a pris la tête du classement Forbes des personnalités disparues qui rapportent le plus. L’an dernier, ses héritiers et ayants droit ont touché plus de 100 millions d’euros, beaucoup plus que le chanteur ne gagnait lorsqu’il était vivant. En 2008, alors qu’il entamait son come-back, il n’avait en effet engrangé "que" 10 millions d’euros, pas de quoi couvrir ses frais courants et régler ses dettes qui dépassaient les 400 millions. Un trou comblé aujourd’hui, puisque le chanteur a rapporté plus de 900 millions d’euros depuis sa disparition. Comble de bonheur pour les chanceux qui touchent cette fortune, les caprices de la star ne coûtent plus un centime.
Bien au chaud dans son cercueil capitonné, Michael Jackson est un rêve de capitaliste ultralibéral : il ne coûte rien en frais de fonctionnement et génère des millions sans aucun investissement. Prudent et visionnaire, "Bambi" avait eu la bonne idée de préparer un testament où il mandatait son avocat John Branca ainsi que John McClain, un de ses proches, pour gérer sa fortune après sa mort. Depuis, les deux exécuteurs testamentaires ont bien fait leur job. Ils ont signé un nouveau contrat de 230 millions d’euros avec Sony et gagné 240 millions avec le film posthume This Is It. Grâce aux royalties versées par le Cirque du Soleil pour le spectacle "Immortal World Tour", ils auraient encaissé 230 autres millions supplémentaires. Sans compter les royalties touchés sur les droits des morceaux des Beatles ou de Marvin Gaye que Michael Jackson avait acquis en 1985, du temps de sa splendeur. Une affaire en or pour les deux hommes d’affaires qui touchent 10 % sur tous les deals. Le reste atterrit sur les comptes de Paris, Prince et Blanket, les trois enfants de la star.
Si ces gains énormes pour les héritiers se justifient par le droit du sang, les maisons de disques, quant à elles, profitent du business des chanteurs morts sans vergogne. "À la machine à café, on plaisante souvent en disant qu’un bon chanteur est un chanteur mort, explique ce chef de produit d’une grosse maison de disques. Aucun frais de production, pratiquement aucun en marketing sauf pour les dates anniversaires et le cash tombe régulièrement, sans rien faire. Le rêve..." Du coup, certaines maisons de disques vont très loin dans le cynisme pour profiter à fond du business de la mort. Le 12 février 2012, quelques heures après la disparition sordide de Whitney Houston dans une baignoire de chambre d’hôtel, Sony Music n’a pas hésité à augmenter de 60 % le prix de la compilation de la diva. Devant le tollé des fans, la société a reculé, mais cela résume l’état d’esprit du milieu. "Certes ce n’est pas joli, poursuit le cadre de la maison de disques. Mais avouez que c’était tentant puisque les titres de Whitney Houston, qui étaient au fond du trou, ont trusté les premières places sur iTunes pendant des semaines. À leur place, j’aurais aussi tenté le coup..." Un cynisme pas assumé car ce "témoin" a exigé l’anonymat. L’industrie veut bien engranger les bénéfices mais ne tient pas à passer pour un vautour...
Graceland, la machine à cash du King.
Quand il achète la villa Graceland, située dans sa ville natale de Memphis, Elvis Presley n’imaginait sans doute pas que son domaine allait devenir la demeure privée la plus visitée des États-Unis, juste après la Maison Blanche. Pour 100 000 dollars, gagnés grâce à son premier disque d’or, il s’offre cette demeure de style "néoclassique grec" en 1957 et y vit jusqu’à sa mort en 1977. Classée monument historique depuis 2006, Graceland accueille plus de 700 000 visiteurs par an, qui déboursent au minimum 40 dollars pour faire le pèlerinage. Du Formica, de la moleskine, des couleurs criardes... le temple d’Elvis est un must en matière de kitsch. Le premier étage, où se trouvent la salle de bains et les toilettes où est mort le King, âgé de 42 ans et obèse, reste fermé au public. Après avoir visité les pièces du rez-de-chaussée, les fans rejoignent le jardin de la méditation et ont le droit de se recueillir sur la tombe, étonnamment sobre, du chanteur. Pour prolonger le rêve, ils peuvent aussi visiter son jet privé et admirer sa collection de voitures, dont sa Cadillac rose. Mais pour ça, il faut dépenser 80 dollars. Avant, bien entendu, de sortir obligatoirement par les boutiques qui regorgent de souvenirs hors de prix et qui font la richesse de Lisa Marie Presley, la fille du King...