Pourquoi on attend "Giants Being Lonely" avec impatience
C’était au mois de mai 2005 à Chapel Hill, une petite ville de Caroline du Nord, le soir du bal de fin d’année des lycéens. Grear Patterson fut le premier informé du drame qui laissa un arrière-goût amer à cet été si particulier censé marquer le début de l’âge adulte. Quinze ans plus tard, l’artiste peintre et photographe a fait de ce drame, qu’on ne révélera pas, le sujet de son premier film. Pour exorciser les vieux démons de l’adolescence – la solitude, les idées noires, l’abandon familial – mais aussi pour montrer cette génération qu’on appelle “Gen Z” sous un prisme autre que celui d’Internet et des réseaux sociaux. Giants Being Lonely a été montré il y a un mois à la Biennale de Venise, dans la sélection Horizons, consacrée aux figures émergentes du cinéma international. Petite claque de 81 minutes, le film rappelle parfois les débuts d’un Gus Van Sant ou d’un Terrence Malick, en ce qu’il traite l’adolescence dans ses émotions les plus à vif. Loin des schémas classiques du film d’apprentissage, Giants Being Lonely parle de solitude, de négligence et du fait de grandir dans l’Amérique rurale avec pour perspectives de devenir le prochain grand lanceur de baseball, de trouver l’amour pour le bal de fin d’année et d’être accepté par ses pairs. Pour raconter cette histoire qui en dit long sur sa génération, Grear Patterson s’est entouré de ses amis les plus proches : Olmo Schnabel, le fils du réalisateur Julian Schnabel, Jack et Ben Irving, les deux rôles masculins principaux du film, et la jeune artiste Lily Gavin, qui endosse le rôle de l’adolescente discrète et rêveuse. “Grear et moi sommes amis depuis dix ans, explique Olmo Schnabel, qui signe son premier film en tant que producteur. Quand Jack, Ben et lui m’ont appelé pour me demander de lire le script, j’ai tout de suite voulu rejoindre le projet. J’ai quitté mon job d’assistant producteur à Los Angeles pour emménager à New York et on a commencé à travailler.” Quelques mois plus tard, il monte avec Grear Patterson une boîte de production et réunit un petit budget, dans un premier temps pour acheter une caméra. Lily Gavin rejoint rapidement l’aventure. Fraîchement diplômée de l’Université de Bard, cette artiste bien entourée (elle est la nièce de Joséphine de la Baume et la petite amie du photographe Tyrone Lebon) a vécu sa première expérience de photographe professionnelle sur le plateau d’At Eternity’s Gate, le biopic de Van Gogh signé Julian Schnabel, dont les photographies sont actuellement exposées au château des Baux-de-Provence. Pour ses plus proches amis, elle est passée de l’autre côté de l’objectif. “Ce qui est drôle c’est qu’on avait tous toujours voulu faire du cinéma sans jamais vraiment se l’avouer, s’amuse-t-elle. En arrivant sur le tournage, j’ai été frappée de voir toutes ces personnes avec qui j’ai grandi et que je connais si bien construire un tel projet ensemble.”
Dans Giants Being Lonely, pas de longs dialogues ou de scènes typiques des teen-movies à l’américaine, mais une narration décousue qui laisse la part belle au ressenti. “Le film parle de cette période très claustrophobe où tout semble se refermer sur nous, où on ne sait pas ce qui va se passer, explique Olmo Schnabel. On questionne nos relations à nos parents, à nos amis, on vit dans un monde étroit sans réaliser toutes les opportunités qui s’offrent à nous.” Et quoi de mieux qu’une bande d’amis pour retranscrire cette période charnière? On sent dans le film une énergie de l’ordre de l’intime, où tout passe par les regards et les gestes plutôt que par la parole. Ces adolescents perdus aux familles négligentes ou abusives, entre premières expériences sexuelles déroutantes et pression de la réussite, vivent tous une forme de dérive qui les rapproche, servie par des prises de vues contemplatives où la nature domine. “Les paysages et les éléments visuels du film sont typiquement américains, note Olmo Schnabel, mais nous ne voulions pas en faire un film estampillé États-Unis. C’est pourquoi nous avons choisi un monteur cubain, Ismael Diego, pour ancrer ces éléments dans un propos plus universel.” Pari gagné. À travers l’histoire de ces adolescents perdus, qui démarre sur un terrain de baseball, avec un coach agressif incapable de donner de l’amour à son fils, et termine sur un drame inattendu tiré du fait divers de Chapel Hill, on revit ces émotions contraires, entre l’amour, la mélancolie et la perte d’innocence, que les membres de l’équipe du film ont traversées ensemble. “Quand on avait 13 ou 14 ans, on s’épaulait énormément, se souvient Grear Patterson. Je dois beaucoup à Olmo et à ses proches qui ont toujours soutenu mon travail. Travailler avec tous ces gens dont je suis proche, dans des lieux que j’ai connus toute ma vie, c’était comme une histoire de famille.” Une famille bienveillante et au talent encore brut qui, avec un peu d’expérience, pourrait bien rejoindre la grande lignée du cinéma d’auteur.
Coiffure et maquillage : Sergio Corvacho
Assistante stylisme : Lucia Wegier