Pop Culture

Quand Netflix devient boulimique de cinéma d'animation japonais...

Nul besoin de chiffres — sur lesquels Netflix ne communique de toute façon presque jamais — pour réaliser à quel point la plate-forme de streaming aime les animés à la folie. Et inversement.
comics book manga

Début décembre 2018, Netflix et quelques-uns de ses dirigeants se sont rendus à l’Anime Lineup Presentation (un anime, rappelons-le à toutes fins utiles, également appelé parfois japanime ou japanimation, désigne une série ou un film d'animation en provenance du Japon). À l’occasion de cet évènement tokyoïte, un voile a été levé sur les nouveautés qui viendront grossir son catalogue durant les prochains mois. Une liste qui donne un brin le tournis : Ultraman, 7 Seeds, Rilakkuma et Kaoru, Revisions (voir image page précédente) ou encore Les Chevaliers du Zodiaque rejoignent donc un arsenal déjà constitué de productions maison (des exclusivités, d’importantes productions comme la trilogie Godzilla du studio Polygon Pictures, Violet Evergarden du studio Kyoto Animation et Devilman Crybaby de Maasaki Yuasa), mais aussi de nombreux achats de classiques cultes (Akira, Ghost in the Shell, Naruto, Fullmetal Alchemist, Psycho-Pass, Cowboy Bebop, Berserk, Trigun, Tokyo Ghoul, certains disponibles en HD sur Netflix avant même une parution blu-ray chez nous). En attendant de nouveaux projets annoncés il y a quelques semaines seulement, en collaboration avec Anima, Sublimation et David Production, parmi lesquelles une série d’animation basée sur la série originale de science-fiction Altered Carbon produite par... Netflix. Vous suivez ?

Comment expliquer cette production effrénée, presque boulimique ? Selon Philippe Bunel, co-auteur du livre Un siècle d’animation japonaise et rédacteur pour Animeland, l’omniprésence de la plate-forme, ses 139,26 millions d'abonnés dans le monde dont 5 millions en France, “attire forcément les producteurs et les auteurs, mais aussi les détenteurs de droits externes. La plate-forme est capable de financer de nouveaux projets très ambitieux tout en diffusant en exclusivité certains animes récents et en proposant une nouvelle vie à des titres édités ailleurs. Souvent, je me demande ce que je serais devenu si, à 15 ans, j’avais eu pareille offre... Tu sais, à l’époque où on achetait des coffrets VHS à 500 francs !” Petit rappel des faits : cette époque, c’est celle du Club Dorothée, diffusé pour la toute première fois le 2 septembre 1987. Un programme immensément culte, et extraordinairement populaire (prêt d’un foyer sur deux regardait l’émission certains jours), où les animes occupent une place de choix : Les Chevaliers du Zodiaque, Sailor Moon et Nicky Larson retournent le cerveau de nos chères têtes blondes. Les enfants se marrent,maislesparentsbeaucoupmoins! Face à la violence parfois crue et souvent assumée, les associations familiales et les politiques s’insurgent.

Extrait de Revisions

Les enfants d’hier, c’est nous

Autre époque, autres mœurs : aujourd’hui, ces programmes, s’ils ne choquent plus grand monde, n’ont plus les honneurs des grandes chaînes, et Netflix, à défaut de remplir un vide, comble des attentes grandissantes. En mai 2019, sort ainsi le très attendu Neon Genesis Evangelion inspiré par la mythique série futuriste et post-apocalyptique des années 90. Selon Malik-Djamel Amazigh Houha, co-auteur d’un ouvrage intégralement consacré au chef d’œuvre Akira, et rédacteur pour le magazine Otomo, Netflix “rend accessible l’animation japo- naise à plus de monde, et permet, surtout, à des gens qui ne cherchaient pas spécialement à la (re) découvrir de bénéficier d’une offre large. Le cinéma d’animation est passé par là, les mangas n’ont plus la même image qu’il y a trente ans. Les réalisateurs Otomo, Miyazaki, Satoshi Kon, Mamoru Oshii, Isao Takahata, pour ne citer que les plus célèbres, ont marqué l’histoire du cinéma en général. Le cinéma d’animation japonais est reconnu par la critique comme un grand cinéma tout court. Il n’y a plus de clivage sur l’animation japonaise dans les médias, quand un film est grand tout le monde en parle, Les Cahiers du cinéma, Libération et même Le Figaro. Et la raison est simple : les enfants d’hier, c’est nous. La seule distinction qu’il y a à faire, c’est entre le très bon, le bon, le moyen, et le mauvais”. Et le culte échappant à tout radar critique, comme l’explique Frederic Luu, rédacteur en chef de JVTV : “au premier coup d’œil dans la liste des animes Netflix, on comprend que certains grands noms sont là pour attirer les fans. Hunter X Hunter, Naruto, ou encore Fairy Tail sont des œuvres très appréciées des pu- ristes et qui valent à elles seules l’abonnement au moins pour une période de test”.

Passée cette période de test, et la redécouverte des grands classiques d’hier, que présager de demain ? Une telle croissance va-t-elle de pair avec l’apparition de navets mal vendus ? Même pas. Ou si peu. Malik-Djamel : “Le catalogue d’animation hors productions Netflix est un mélange de très bon, comme la trilogie de films Godzilla (image page de gauche en bas) produits par la Toho, de moyen et de trucs nuls. Et il en va de même pour la production. Devilman Crybaby représente le haut du panier, on attend la nouvelle série Saint Seya, mais pour le moment les indices laissent envisager le pire. On espère qu’Ultraman sera bien”. Et nul doute que si la série déçoit, les 15-18 ans, classe d’âge extrêmement active sur les réseaux sociaux et friande de Netflix, sauront se rabattre sur l’une des multiples autres propositions à venir. Dans un marché français où 61 % des consommateurs de SVoD ont moins de 35 ans (source : Médiamétrie), Netflix est parvenu à conquérir le cœur et le temps des “jeunes”, catégorie particulièrement portée sur l’anime (biberonnée à Dragon Ball au début des années 90). Au risque de dévorer le voisin armé lui aussi de belles intentions, mais le portefeuille moins rempli. Philippe Bunel : “Sur Netflix, l’offre est impressionnante, mais s’il y a de tout, il n’y a pas tout! Il est désolant de voir que certains se limitent à cette plate-forme. Les éditeurs vidéo ne lâchent pas prise et les plates-formes concurrentes ont chacune leur part du marché. C’est la guerre des simulcasts, et je trouve ça plutôt sain qu’il n’y ait pas d’hégémonie. Aussi, il y a très peu d’œuvres antérieures aux années 2000 sur Netflix. C’est franchement frustrant !”

Nouvel ogre

Frustrant, certes, mais pour celles et ceux qui sont davantage portés sur les créations modernes, excellente nouvelle, la production d’animes sur Netflix, si elle sera moins importante en 2019 qu’en 2018, restera d’une épatante richesse. Pas vraiment le choix, puisqu’un nouveau concurrent s’apprête à pénétrer dans l’arène du streaming : Disney +, qui sera lancé aux États-Unis à la fin de l’année 2019. Ainsi, selon Frederic Luu, “pour se différencier, et pour s’assurer suffisamment de contenu orienté jeunesse, Netflix va continuer à produire et distribuer de l’anime. Avec l’ogre Disney + qui se profile, la plate-forme doit se renforcer dans ce do- maine auprès d’autres partenaires. Cela dit, beau- coup des animes proposés sur Netflix sont aussi destinés à un public plus adulte”. Et Malik-Djamel d’ajouter : “Demain ? Toujours plus, évidemment. Pour des raisons économiques simples et évidentes, pour s’implanter de manière durable au Japon et faire concurrence aux plates-formes dédiées à l’ani- mation. Mais surtout, produire de l’animation est moins cher que produire une série TV originale. Il y a un désir évident d’augmenter l’offre du catalogue sans pour autant casser la tirelire, c’est tout bénéf’ pour Netflix de développer un catalogue où tous les membres de la famille puissent puiser”. Attention cependant, le virtuose Devilman Crybaby, histoire d’une ancienne race de démons prenant possession du corps des humains, n’est pas à mettre devant tous les yeux.

Tags

Recommandé pour vous