Pop Culture

Anna Delvey, l’arnaqueuse de la hype

C’est une histoire rocambolesque dont Netflix vient de s’emparer : une jeune Russe a trompé le gratin international en se faisant passer pour une héritière allemande. Elle attend aujourd’hui son procès à la prison de Rikers. Comment a-t-elle berné tout le monde ?
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Avec son regard bleu, ses formes pulpeuses et sa moue enfantine, on donnerait à Anna Delvey le bon Dieu sans confession. Cette jeune femme de 27 ans dort pourtant aujourd’hui dans une cellule de la prison de Rikers – jadis fréquentée par DSK et réputée être l’une des plus dures des États-Unis. Elle risque jusqu’à quinze ans derrière les barreaux. Une “expérience sociologique”, confie-t-elle au journal The Cut, qui a révélé l’histoire fin mai, durant laquelle elle dit copiner avec des meurtrières. Pas banal pour une ex-stagiaire de Purple

Quelque part entre une version pas si “magnifique” de Gatsby, The Bling Ring, Arrête-moi si tu peux et Christophe Rocancourt, Anna Delvey a plumé le petit monde du luxe, de l’art, de la mode et de la nuit, mais aussi des banques, et jusqu’à ses “amis”. Encore plus experte en bluff que certains influenceurs qui achètent des followers ou enjolivent leur quotidien pour squatter les hôtels de luxe, elle a créé de toutes pièces sur les réseaux sociaux et dans la vie un personnage d’héritière très crédible. Une fille de milliardaire un peu perdue qui évolue comme un poisson dans l’eau dans la haute société new-yorkaise et internationale. Elle fait partie de ce microcosme (trois cents âmes, à tout casser) de gens bien rancardés qui passent d’un dîner à côté de Macaulay Culkin à l’Art Basel, de Coachella à Montauk. À la façon des Rich Kids of Instagram, son compte aux 50 000 abonnés la montrait posant avec des beautiful people là où il fallait être vu, dans une robe Alaïa ou se relaxant dans une piscine couleur lagon. Jusqu’ici, rien d’anormal dans un monde d’apparences. 

Passer devant la petite sœur de Beyoncé
Mais qui est vraiment Anna, derrière les filtres ? Elle serait née en Russie en 1991 sous le nom de Sorokine, et n’avait que 16 ans quand ses parents ont émigré avec elle et son petit frère à Eschweiler, un trou paumé près de Cologne, en Allemagne. Son papa n’est pas milliardaire, mais un chauffeur routier qui s’est recyclé dans le chauffage et la clim. Capricieuse, à pas encore 20 ans, elle demande à ses parents de financer son train de vie élevé. Mais ces derniers ont du mal à suivre. Alors cette fan de mode et de bling part se réinventer à Londres, où elle fréquente la très pointue Central Saint Martins. Au milieu d’esprits créatifs, la jeune fille se découvre un sacré talent pour sociabiliser. Après avoir bossé dans une boîte de RP à Berlin, elle décroche le graal en 2013 : un stage chez Purple à Paris, où elle se rapproche du rédacteur en chef, Olivier Zahm. Le personnage d’Anna Delvey commence à germer, entre deux soirées au Baron. Ruben Nataf, cofondateur du site Ten Days in Paris, l’a rencontrée à cette époque. “Elle écrivait gratuitement pour nous, pour étoffer son CV. Ce qui était bluffant, c’est qu’elle savait avant tout le monde quels restaurants allaient ouvrir et quelles soirées avaient lieu, surtout pendant la fashion week. On la croisait souvent au Montana, aux soirées Purple. Une fois, elle nous a même fait passer dans la file d’un event devant Solange, la petite sœur de Beyoncé, qui galérait. Dans ce milieu, il y a beaucoup de mythos, mais souvent on les repère. Elle, on ne la voyait pas venir. Elle était dans la maîtrise, assez discrète, mystérieuse, sympa la plupart du temps, mais parfois froide ou piquant des crises. Elle a changé de nom du jour au lendemain. J’ai halluciné en découvrant ses arnaques dans la presse. Son charisme n’était pas si dément.”

Fille de
En 2016, Anna s’installe à New York sous sa nouvelle identité pour mener la grande vie. La nuit, tous les chats sont gris, surtout en sandales Gucci. Certains nous suggèrent en off qu’elle aurait pu tirer ses revenus d’une activité occasionnelle de call-girl. Anna, elle, prétend que son argent (souvent en cash) vient de son père, millionnaire allemand et généreux patron d’une entreprise de panneaux solaires… quand il n’est pas antiquaire, diplomate ou magnat du pétrole. Elle n’hésite pas non plus à se vanter d’avoir 60 millions en banque et de travailler sur l’ouverture d’un centre d’art. Le secret de l’illusion ? Depuis son stage chez Purple, Anna connaît les codes et les snobismes du milieu. Ses extensions de cils coûtent 400 dollars, elle a la même coach que Dakota Johnson, se fait des manucures d’un rose “Wes Anderson” et passe son temps à organiser des dejs ou à boire du rosé sur des rooftops. “Anna regarda l’âme de New York, analyse The Cut, et s’aperçut que si on distrait les gens avec des choses qui brillent, avec de grosses liasses de billets, avec des signes extérieurs de richesse, si on leur montre l’argent, ils deviendront aveugles à pratiquement tout le reste.” En février 2017, elle squatte pendant plus d’un mois le 11 Howard, boutique hôtel branché de Soho, sans donner de carte de crédit. Elle laisse aussi des pourboires en cash mirifiques au personnel, se liant d’amitié ainsi avec la concierge de 25 ans, Neffatari Davis (sa seule amie connue). Cette dernière raconte à The Cut qu’elle se comportait à l’hôtel comme si elle était chez elle, déambulant en peignoir ou en leggings Alexander Wang façon “Rihanna un verre de vin à la main”. Sauf qu’elle leur laissera une belle ardoise, tout comme au Beekman Hotel, toujours à Manhattan, en juillet 2017. Les employés la considèrent comme une énième gosse de riches qui distribue des billets de 100 dollars comme des bonbons et ne se méfient pas… sauf qu’elle prend la tangente, laissant un impayé de plus de 10 000 dollars, façon Lindsay Lohan au Chateau Marmont.

Foldingue ?
Son assurance désarmante – elle semblait croire à ses propres mensonges – s’exerce aussi auprès d’agents immobiliers et de banques, auxquels elle n’hésite pas à montrer des documents photoshoppés et des chèques en bois. Sans remords, elle fait de ses nouveaux “amis” ses victimes. Elle prend en photo leurs cartes de crédit pour faire du shopping quand elle ne pirate pas leurs comptes e-mails. Rachel DeLoache Williams, éditrice photo chez Vanity Fair, en a fait les frais. Séduite par le côté franc et extravagant d’Anna, elle la suit en voyage à La Mamounia, à Marrakech. Quand Anna ne paie pas, la sécurité de l’hôtel s’en mêle. Rachel est obligée de banquer pour ne pas finir derrière les verrous. Elle règle une note de 62 000 dollars, soit plus que son salaire annuel. Une rédactrice en chef d’un magazine de mode nous souffle à ce sujet : “Elle doit quand même être un peu dingue. Car c’est une chose d’arnaquer un riche collectionneur d’art en lui demandant d’avancer les billets pour la Biennale de Venise… et en oubliant de le rembourser, mais c’en est une autre – beaucoup plus inconsciente – que d’aller dans un palace au Maroc sans argent avec une copine insolvable.” 
Sergio Corvacho, make-up artist qui a pris cette fascinante photo d’elle (voir ci-contre) où elle affiche le regard dérangé d’Adjani dans Possession, nous raconte : “Je l’ai connue à Paris quand elle travaillait pour Purple, sur des shootings. Un jour, elle m’a appelé de NY en larmes car sa carte ne marchait pas. Au bout d’un moment, j’ai cédé et lui ai donné le code de la mienne. Elle disait qu’il lui manquait 700 dollars, que l’hôtel ne voulait pas la laisser partir et qu’elle me rembourserait. Sauf qu’elle m’a pris 31 000 dollars. Heureusement, elle était fichée dans les banques et ça a été couvert comme une arnaque. Finalement elle m’a remboursé, plus que ce qu’elle me devait : 45 000 dollars. Je pense que c’est un amour immodéré, une passion du fric qui la motive. Ce qui était louche aussi, c’était sa fondation d’art. Normalement, les gens ouvrent d’abord une galerie, puis voient plus gros. Elle, d’entrée, parlait d’ouvrir avec les plus grands et en parlait trop. C’était démesuré.”

Le feuilleton de la rentrée
Le rêve éveillé d’Anna prend fin quand des hôtels, des restaurants, des banques et des compagnies de location d’avions (Anna visait toujours plus haut) portent plainte pour escroquerie. Le 3 octobre 2017, les flics new-yorkais sont venus la cueillir dans un centre de soins de Malibu, sur ordre du procureur de Manhattan. Elle doit en tout 275 000 dollars et n’a pas un sou vaillant. Le 19 juin, à Manhattan, la “socialite” se retrouve au tribunal, le regard planqué derrière des lunettes Céline (il ne faut jamais se laisser abattre), et l’uniforme beige informe de Rikers à la place d’un jupon griffé. Son avocat demande à la juge d’être clémente. Sa cliente plaidera coupable si “la peine d’emprisonnement est comprise entre un et trois ans”. Mais la juge estime que la criminelle “semble plus préoccupée par qui va jouer son rôle dans son film que par ce qu’elle a fait à ses victimes”. Le procès aura donc lieu le 18 septembre prochain et devrait être un feuilleton à succès… Tout le monde s’est battu à Hollywood pour adapter l’histoire. Anna aimerait que Jennifer Lawrence ou Margot Robbie l’incarne à l’écran. Et c’est la showrunneuse star Shonda Rhimes (Grey’s Anatomy, Scandal) qui pilote le projet pour Netflix, un deal de plusieurs millions de dollars. On est prêt à parier qu’Anna se battra bec et ongles manucurés pour récupérer une grosse part du gâteau.

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