“Brooke Shields : enfant star” : pourquoi il faut voir le docu de l’icône 80s sur Disney+
A l’image de Britney Spears ou plus récemment Pamela Anderson, Brooke Shields, icône des années 80 et enfant star hyper sexualisée, se raconte dans un documentaire bouleversant disponible sur Disney+, baptisé “Brooke Shields : enfant star”.
Dans les années 80, Brooke Shields incarnait le visage des États-Unis, comme Britney Spears ou Marilyn Monroe pu le faire à leurs dépens, avant et après elle. Avec sa baby face, ses sourcils épais et sa chevelure indomptable, l’icône, qui dominait les médias à l’époque – la concurrence était absente, les réseaux sociaux étant inexistant –, s’est rapidement fait un nom au cinéma, alors qu’elle n’était âgée que de 12 ans. En 1978, elle joue ainsi son tout premier rôle, celui d’une enfant prostituée dans le film de Louis Malle, La Petite. Un rôle qui donnera le ton à sa carrière, puisqu’elle enchaînera avec Le Lagon bleu, dans lequel elle incarne une adolescente échouée sur une île déserte, et où elle sera nue tout au long du film. En parallèle, Brooke Shields démarre sa carrière de mannequin, devenant le visage des jeans Calvin Klein dans les premières publicités télévisées de la marque. Une campagne aussi provocante que suggestive, qui inscrira une fois de plus l’adolescente dans une hypersexualisation problématique. Scrutée par le public, son image ne lui appartient finalement plus, et Brooke Shields ne répondra plus qu’aux injonctions du patriarcat, aussi contradictoires soient-elles. Quand certains lui reprocheront d’être trop sage, d’autres la considèreront comme un sex symbol… alors qu’elle n’avait même pas atteint la majorité.
Un conditionnement et une compréhension nuancée de la sexualisation des femmes, explorée par l’icône elle-même, ainsi qu’une série d’intervenants spécialisés, dans l'excellent documentaire en deux parties Brooke Shields : enfant star, sorti le 3 avril dernier sur Disney+. Des révélations explosives aux traitements misogynes permettant de mieux comprendre ce que la société impose aux femmes, mêmes lorsqu’elles sont les plus adulées de la planète, voici ce que l’on retient de ce documentaire remarquable.
Sa mère était alcoolique
Managée depuis bébé par sa mère Teri Shields, qui contrôlait autant son comportement que sa carrière tout en luttant contre l'alcoolisme, la vie précoce de Brooke Shields était aussi bohème - elle raconte que sa mère et elle allaient voir ensemble des films de Federico Fellini alors qu'elle n'avait que sept ans – qu’inquiétante. Laura Linney, une ancienne camarade de classe de Brooke Shields, raconte ainsi qu’enfant, l’actrice se cachait souvent de sa mère, ivre tous les après-midi et potentiellement violente, jusqu'à ce que tout risque se soit évaporé. Jusqu’à ce qu’elle atteigne la trentaine, sa mère continuera de jouer les managers, avant que les équipes du joueur de tennis Andre Agassi, avec qui elle s’est mariée en 1997, prennent la relève. D’une sorte de "tutelle", Brooke Shields est finalement passée à une autre, cette fois menée par un homme, son mari… Dans le documentaire, l’icône précise cependant avec beaucoup de justesse qu’elle n’en veut pas à sa mère pour ses décisions, qui si elles n’étaient souvent pas bonnes, elle ne s’inscrivaient finalement que dans une société misogyne qui n’attendaient pas moins d’elle.
Elle a posé nue pour Playboy alors qu’elle n’avait que 10 ans
Dans l’une des révélations chocs du documentaire, on apprend que Teri Shields a consenti à ce que sa fille soit photographiée nue pour le magazine Playboy au titre troublant "Sugar and Spice", alors qu'elle n'avait que 10 ans. Lors de la publication du magazine, ces images pédopornographiques n’ont pas fait plus de bruit que cela. Mais en 1981, alors que le nom du top est sur toutes les lèvres, le photographe Garry Gross décide de republier les images de l’actrice, mais cette fois à la une de Photo Magazine. Brooke Shields intente alors un procès au photographe et réclame un million de dollars d’indemnités pour préjudice moral. Procès qu’elle perdra après une longue bataille judiciaire, tandis que les tribunaux estimeront que cette photographie n’est ni sexuellement suggestive ni pornographique.
Malgré son jeune âge, Brooke Shields était la seule adulte entourée d’hommes immatures
Alors qu’elle se souvient que le réalisateur Franco Zeffirelli lui avait tordu l'orteil sans la prévenir, lors d'une scène de sexe pour le film "Un amour infini", dans le but de lui faire prendre un air d'"extase", Brooke Shields raconte, sans vraiment en avoir conscience, à quel point elle était mature malgré son jeune âge. "Je me suis dit : 'Vraiment ? Et si je faisais de la mise en scène ?'", explique l’actrice. Encore et toujours, elle semble être la seule adulte dans la pièce, entourée d'hommes immatures. "C'était un comportement capricieux", dit-elle plus loin à propos de l'une des crises de colère de son ex-mari Andre Agassi, qui a détruit tous ses trophées de tennis par jalousie parce que Brooke Shields avait léché les mains de Matt LeBlanc pendant le tournage d'un épisode de Friends. "C'était de la comédie", soupire-t-elle, d'une manière qui ressemble à un "oh, grandis un peu".
Le fiasco des publicités Calvin Klein
Calvin Klein a toujours été connu pour ses publicités suggestives, et au début de sa carrière, Brooke Shields en a fait les frais. Tandis que la marque tourne pour la première fois une campagne pour la télévision, la caméra s'attarde sur ses cuisses d'adolescente, alors qu'elle étire ses jambes derrière sa tête tout en récitant des monologues sur la théorie de l'évolution et de la mutation génétique de Charles Darwin, "un jeu de mot sur ce qu'est un jean", explique Brooke Shields. Les mots "jean" et "gène", en anglais, se prononçant exactement de la même manière. L’actrice se souvient des publicités comme d'un défi amusant : "J'ai sauté sur l'occasion parce que c'était de la comédie", dit-elle. Mais le reste du monde se souvient des publicités pour un infâme double sens : "Vous voulez savoir ce qu'il y a entre moi et Mon Calvin ?", demande Brooke Shields, tandis que la caméra passe sur ses jambes ouvertes. "Rien". Elle avait 16 ans. Pourtant, quelques années plus tard, elle est devenue un symbole de chasteté, après avoir révélé dans un livre d'aide à l'adolescence écrit par un écrivain fantôme qu'elle était toujours vierge, en dépit de ce que les médias lubriques avaient laissé entendre.
Elle a été agressée sexuellement
Après une pause dans sa carrière d'actrice, Brooke Shields explique avoir repris le chemin des castings. S’en est suivi alors une histoire dramatique, rappelant avec une similarité troublante les méthodes d’Harvey Weinstein, tandis qu’il profitait de sa notoriété pour violer de jeunes actrices souhaitant percer dans l’industrie du cinéma. L’icône raconte notamment comment elle s’est dissociée de son corps au moment de l’agression par un réalisateur dont elle ne révèle pas le nom, une technique de survie adoptée par de nombreuses victimes de viol.
Tom Cruise lui a reproché sa dépression post-partum
C’est l’un des – nombreux – moments forts de ce documentaire, que beaucoup avaient sans doute oublié. Si Tom Cruise est aujourd’hui l’idole du tout-Hollywood et des cinéphiles, il ne faut pas oublier que l’acteur est un fervent défenseur de l’église de scientologie, pour ne pas dire son porte-parole. En 2005, la star de Mission : Impossible s’en prenait ainsi violement à Brooke Shields sur le plateau du Today Show, l’accusant de répandre une "désinformation irresponsable" et de promouvoir une consommation dangereuse de drogues. Par "usage de drogues", le comédien entendait les antidépresseurs prescrits à Brooke Shields, qui, comme elle le raconte, lui ont sauvé la vie, alors qu’elle sombrait dans une violente dépression post-partum. "Elle ne comprend pas l'histoire de la psychiatrie", a déclaré Tom Cruise devant des milliers de téléspectateur, dans un moment de misogynie/condescendance/infantilisation spectaculaire.
Brooke Shields revient ainsi sur la naissance de son premier enfant, Rowan. Après un accouchement de plus de 24 heures, qui s'est transformé en une césarienne d'urgence au cours de laquelle elle a perdu "des seaux de sang", l’actrice est rentrée chez elle et a sombré dans une profonde dépression. Au plus bas, elle écrira plus tard qu'elle "a pensé à avaler une bouteille de pilules ou à sauter par la fenêtre de [son] appartement".
Si Tom Cruise a formulé sa critique en invoquant son "devoir de scientologue" de rejeter la psychiatrie, il s'agit aussi clairement d'une attaque intrusive contre ce qu'une femme célèbre choisit de faire avec son corps, et son esprit. Tom Cruise apparaît alors comme un homme de plus qui laisse fortement entendre que Brooke Shields est soit une fille idiote, soit une femme dangereuse - quelqu'un qui a besoin d'être corrigé, remis sur le droit chemin ; à l’inverse de quelqu'un qu'il faut écouter ou prendre au sérieux. En plus, il fera de sa décision personnelle une controverse publique.
Loin d’être aussi idiote que la société misogyne ne voulait le faire croire, Brooke Shields a écrit un article dans le New York Times en réponse aux commentaires de Tom Cruise. "Je vais prendre un risque et dire que M. Cruise n'a jamais souffert de dépression post-partum", a-t-elle écrit avec ironie, avant de présenter un argument clair, sincère et intelligent en faveur d'un traitement médicamenteux de la dépression post-partum et d'une étude et d'une compréhension plus larges de cette pathologie. "Si la diatribe ridicule de M. Cruise peut avoir du bon, espérons qu'elle attirera l'attention sur une maladie grave qui en a bien besoin", déclarait Brooke Shields. Elle conclura son article en écrivant : "Ce n'est pas l'histoire de la psychiatrie, mais c'est mon histoire, personnelle et réelle". Car ce documentaire, c'est aussi "l'histoire, personnelle et réelle" de Brooke Shields et, à l'instar de son article dans le NYT, cela ressemble à une tentative de se réapproprier sa voix et son pouvoir dans un monde public qui l'en a privée à maintes reprises. Un an plus tard, Tom Cruise présentera ses excuses à l'actrice.
40 ans plus tard, les choses n’ont pas beaucoup évolué
C’est sur ce constat amer que se termine le documentaire, tandis qu’une série d’images des femmes les plus en vue du moment – de Bella Hadid à Kendall Jenner en passant par les influenceuses stars – défilent à l’écran. En 2023, les corps des femmes sont toujours aussi scrutés par l’œil du public, aidé par des médias misogynes. La moindre prise de poids, décision personnelle, tenue jugée trop stricte ou provocante est scrutée et décriée. Ce n’est pas Selena Gomez, la femme la plus suivie d’Instagram qui dira le contraire, tandis que cette dernière doit constamment subir les critiques de ses followers, postées directement en commentaires. Heureusement, en 2023, les enjeux liés à la santé mentale n’ont jamais été aussi présents dans les discours dominants. D'ailleurs, une discussion en famille, qui apparaît à la fin du documentaire, permet de nuancer ce constat. Tandis que Brooke Shields est entourée de ses deux filles adolescentes et de son mari, le spectateur se rend compte à quel point la nouvelle génération est consciente des enjeux actuels. Revenant sur les polémiques qui ont entouré la sortie du film La Petite, et dans un moment de lucidité plein d’espoir quant à l’avenir, les sœurs explique à leur mère qu’au moment du tournage, elle était trop jeune pour exprimer son consentement quant au fait de jouer une enfant-prostituée à l’écran. Une tranmission des enfants envers leur mère, qui fait plaisir à voir.