La génération Z (et sa "dark side"), star des séries TV
L’adolescence n’a pas fini de cauchemarder. Tandis que des armées de mineurs éco-affolés marchant dans les pas de Greta Thunberg métamorphosent leur angoisse en tsunami vertueux, une lame de fond aussi noire que stérile travaille le ventre de la jeunesse. Celle-là même que l’on dit anesthésiée, asexuée, digitalisée à l’excès et quasi-évaporée. Tout ça, la télé le sait, et la télé le montre. Imaginée par Sam Levinson, le fils de Barry, Euphoria mène cette danse macabre. Comme née des amours de Skins et de 13 Reasons Why, le show de HBO nous raconte des teens en proie à de vieux démons adolescents – la drogue, le désœuvrement, la jungle identitaire – et des maléfices plus récents, comme la chosification d’une jeune fille qui devient cam girl en ligne pour gagner la guerre du désir. Rajoutez à cela du détournement de mineur par voie numérique, des féminités douloureuses ou une transition de genre vécue comme une traversée de l’enfer en short, et vous obtenez une série raccord avec le cœur sombre de la génération Z. Bien plantée, en somme, en 2019.
Dans le sillage d’Euphoria – gonflée sur le plan pop par la production de Drake ou le premier rôle de Zendaya, ex-star Disney transformée en jeune toxico sans strapontin dans le cirque du monde – d’autres productions plus ou moins cathodiques (on parle de séries regardées sur des smartphones dans le RER, après tout) nous plongent sans bouteilles du côté obscur de la puberté. Et il ne s’agit pas, ici, des amourettes tendrement tordues de Freaks and Geeks ou des questionnements pédagogiques de Sex Education. On ne parle pas, non plus, de petits spleens lycéens ou de gros spliffs vécus comme le summum de la transgression teen. Non,Trinkets et How to Sell Drugs Online (Fast), deux shows respectivement américain et allemand, nous donnent à voir des ados soudées par une kleptomanie galopante ou un groupe de jeunes créatures bien décidées à prospérer en refourguant de l’ecstasy sur ce qu’on appelait, jadis, les autoroutes de l’information. Celles-ci sont d’ailleurs – et ce n’est pas étonnant – au centre des débats. Jaillis des ventres de leurs mères pour tomber dans les bras d’internet, les millennials ont été les premiers à faire l’expérience du réel à travers ses réseaux. Un portail sans gardien, qui laisse passer le pire (dépendance, dématérialisation des sujets, agressions visuelles et/ou intellectuelles) et presque le meilleur. Aussi dérangeante qu’elle puisse être, Euphoria raconte aussi des liens tendrement renforcés par une quasi-permanence de l’autre, toujours à deux émojis d’une confidence, d’un conseil, d’une lumière dans la nuit. Et comment ne pas voir, dans les aventures sexo-digitales de Jules ou le développement de la start-up narcotique des ados de How to Sell Drugs Online (Fast), une forme d’empowerment du bipède pré-adulte ? Une façon de griller les feux et de se griller parfois soi-même, mais en restant aux commandes ? Une chose est sûre, la génération Z a trouvé dans la 4G sa permission de minuit. Et si ces séries sont aussi inégales que voyeuristes, elles sont aussi fascinantes. C’est le grand avantage de l’immortel sujet teenage. Nous n’avons pas tous été Pablo Escobar ou souhaité monter sur le trône de fer. Mais nous avons tous eu 17 ans, et ces fictions-là sont les nôtres. Alors aimons-nous ados, et surtout, aimons nos ados. Peu importe que le cri d’alerte soit démesuré ou paranoïaque, il aura toujours un écho.
Les séries Euphoria, How To Sell Drugs Online (Fast) et Trinklets sont disponibles sur Netflix.