Et si The Bear était la série de l’année ?
Attendue, cette création arrive enfin en France. C’est peu dire que c’est une extraordinaire réussite.
A part le formidable film The Chef, porté par Stephen Graham, l’univers des cuisines était peu, ou mal, exploré par le cinéma ou la télévision - de comédies romantiques ternes en comédies romantiques navrantes, soyons charitables et n’en citons aucune, les lecteurs-lectrices des remarquables livres d’Anthony Bourdain (Cuisine et confidences : mémoires toquées d'un chef branché) ou Bill Buford (Chaud Brûlant; A La Française), étaient mal servi-e-s, si l’on peut dire. Ils révélaient la face sombre de la restauration, de ces chefs oscillant entre génie créatif, déglingue pathétique ou violence toxique (ou les trois, dans un infâme cocktail), ces « âmes damnées » telles que Bourdain les décrivaient, portant tant bien que mal l’œuvre d’une vie, à laquelle tout était sacrifié. C’est dans ce contexte que The Bear s’impose comme une référence qui fera date. Elle suit Carmen (Jeremy Allen White, brillant, cabossé, touchant, détestable), jeune chef dont la scintillante carrière est brisée nette par le décès de son frère, qui lui lègue une modeste sandwicherie à Chicago…dont il entreprend, contre toute logique, sur fonds de conflits avec son colérique cousin, associé à l’affaire, de dettes, et de diverses embûches que l’on ne révèlera pas, de faire un lieu aux ambitions gastronomiques plus élevées. Serré en huit épisodes, le récit cavalcade de coups d’éclats en crises, de crises en défis, s’attachant autant aux personnages - en rupture -, qu’au travail précis des chef-fe-s à l’œuvre ou à la personnalité de Carmen au management humain contestable. Menée donc avec entrain, avec une bande-son idoine - Sufjan Stevens, Wilco - soufflant dans ses voiles, la narration prend cependant toujours le temps de poser sur les protagonistes - admirablement incarné-e-s par un casting sans nom ronflant, mais au talent d’exception - un regard attentif et empathique. Tous et toutes sont regardé-e-s, écouté-e-s (dans une douce opposition avec l’attention que Carmen leur porte, âpre, brutale, maladroite). C’est précisément par ce jeu sur les contrastes (les mêmes qui subliment un plat) que The Bear est immense, en équilibre sur le fil de la violence, de la détresse, de la douceur, de l’amertume et de l’espoir. Passionné, épuisé, titubant mais tenant bon, cet équipage embarqué dans un genre de vaisseau fantôme - hanté par le spectre du frère disparu - est bouleversant. Cette série excède son sujet, captant un précipité d’humanité fracassée, mais faisant de son mieux pour recoller les morceaux.
Une série créée par Christopher Storer. Avec Jeremy Allen White, Ebon Moss-Bachrach, Ayo Edebiri, Lionel Boyce, Liza Colón-Zayas et Abby Elliott. A partir du 5 octobre sur Disney +.