Festival Ciné-Roman : nos coups de cœur
Comment traduire l’essence d’un livre sans la trahir ? Comment adapter sans dénaturer ? Comment s’approprier une œuvre pour la magnifier ? Pour la sixième année consécutive, le festival Ciné Roman met les adaptations de romans au cinéma à l’honneur, et fait de Nice un lieu privilégié où écrivains, cinéastes, acteurs et passionnés se retrouvent pour partager leur amour commun des récits.
Sous l’impulsion de Daniel et Nathalie Benoin, fondateurs du festival, Ciné Roman fait rayonner La cité des anges française, en célébrant la richesse du dialogue entre littérature et cinéma. Durant près de six jours, Nice « devient un grand lieu d’échange et retrouve sa place forte dans la création cinématographique », dixit le couple qui propose des tables rondes, des projections et des échanges autour de ces œuvres qui peuplent notre imaginaire. Pour Nathalie, « le festival consiste à rassembler autour de la littérature et du cinéma un public passionné par la découverte de nouveaux films et la rencontre de grands talents ». C’est ainsi que le festival fait également la part belle aux nouvelles générations d'auteurs et de réalisateurs, encourageant la création et la découverte de nouvelles voix narratives. Dans ce cadre, plusieurs prix sont décernés, notamment pour récompenser le meilleur film adapté d’un livre.
Ciné Roman est bien plus qu'un festival de cinéma, c'est une invitation au voyage, celui du pouvoir des histoires, qu'elles soient lues ou projetées sur grand écran. L’évasion est à son comble, et nous repartons imprégnés de ces séquences cinématographiques, qui ont relevé le défi de nous emporter au moins autant que les livres. Notre sélection se veut le reflet de l’harmonie entre ces arts qui s'entremêlent afin d’offrir aux spectateurs des moments de grâce..
La zone d’intérêt – Film en compétition
Récompensé au Festival Ciné Roman du Prix du meilleur film adapté d’un roman, le film de Jonathan Glazer est un pur chef-d’œuvre cinématographique.
La force de cette adaptation réside sans aucun doute dans le chemin totalement différent emprunté par le réalisateur pour raconter ce récit. Car si le roman offre une plongée dans les esprits torturés de ses protagonistes, engageant le lecteur dans une réflexion profonde sur la nature humaine et la banalité du mal, le film quant à lui, opte pour un réalisme brut et capture l’horreur à travers l’invisible et l’implicite.
Dans les deux œuvres, la vie quotidienne des nazis, avec leurs préoccupations domestiques et leurs passions personnelles, contraste avec l’indicible qui se déroule à quelques mètres de leur maison. En juxtaposant la vie quotidienne à l’horreur des camps, lecteurs et spectateurs découvrent que la barbarie peut devenir une toile de fond invisible pour ceux qui choisissent de ne pas la voir.
Jonathan Glazer, à travers son approche unique, parvient à créer une œuvre qui résonne longtemps après la fin du générique, tout comme le roman d’Amis nous laisse un sentiment de profond malaise. Cette adaptation réussit le pari de traduire l’esprit du roman tout en offrant une expérience cinématographique visuellement et émotionnellement radicale. À travers leur exploration de la vie des bourreaux, tant le roman que le film nous rappellent l’importance de la mémoire et de la vigilance face à l’horreur humaine et les dangers de la démystification du mal.
La Zone d'Intérêt est un miroir tendu vers notre propre humanité.
Maria – Film en compétition
Récompensés au Festival par le Prix Nouvelle génération et par celui de La Meilleure Interprétation Féminine, le film Maria adapté du poignant roman Tu t'appelais Maria Schneider de Vanessa Schneider, nous plonge dans l’intimité de l’actrice française, figure à la fois tragique et emblématique du cinéma des années 1970.
Le lien entre le roman et le film offre au spectateur une plongée dans les coulisses de la vie d’une icône du cinéma qui a été brisée par les projecteurs. La manipulation psychologique qui s’exerce sur l’actrice est omniprésente, captant à merveille toute la complexité du traumatisme subi par Maria sur le tournage du film « Le dernier tango à Paris ».
Cependant, le film ne se limite pas à cette tragédie puisqu’il explore également la vie de l’actrice, son amour pour les arts, son esprit rebelle et son refus de se plier au système. À travers des flashbacks et des moments intimes, le film permet de redécouvrir Maria sous un angle plus personnel, en s'appuyant sur les souvenirs que Vanessa Schneider, sa cousine, partage dans son livre. Cette relation, faite d'admiration, d'amour et de tristesse, est au cœur du film. Elle rappelle que, derrière l’actrice mythifiée, il y avait une femme qui luttait pour se faire entendre et pour exister.
Incarner Maria c’est avant tout être le visage de toutes ces femmes talentueuses, libres, passionnées et brillant de mille feux avant que le machisme ne les réduise en cendres.
Pari réussi pour Anamaria Vartolomei qui sublime ce rôle, en capturant la personnalité complexe de Maria Schneider tout en restituant la tendresse et la fragilité qui la caractérisent.
Le film, comme le roman, fait acte de réparation en mettant des mots et des images sur cette douleur longtemps tue. C’est un hommage nécessaire à une femme qui, malgré ses blessures, a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire du cinéma.
La plus précieuse des marchandises – Film en Avant-Première
Plonger dans un film d'animation n’est pas chose aisée, surtout quand il a pour vocation de retranscrire la poésie et le lyrisme du conte de Jean-Claude Grumberg. Et pourtant, à la suite de la projection, nous sommes restés sans voix, à bout de souffle …
En adaptant La Plus Précieuse des Marchandises, Michel Hazanavicius prend le parti de faire coexister des éléments de fable avec les terribles réalités historiques dans une œuvre hybride, capable de toucher autant les cœurs que les esprits. Comme Jean-Claude Grumberg avec son texte, Hazanavicius vise à raconter une histoire qui transcende son époque, qui parle de la Shoah tout en étant une ode à l’humanité, au don de soi, et à la possibilité de renaissance dans les moments les plus sombres.
Entre évocation et suggestion, le film questionne à la fois la mémoire et la transmission de l’horreur, tout en conservant la dimension d’espoir qui fait la force du récit.
Sous la voix de feu Jean-Louis Trintignant et à travers les dessins de Michel Hazanavicius, la Shoah se raconte différemment de tout ce qui a été fait auparavant, avec une puissance narrative et une bande son hors du commun.
Le film La Plus Précieuse des Marchandises est un hommage à la mémoire collective et offre une vision pleine de grâce et de beauté, où l’amour triomphe malgré l’horreur. Ce dialogue entre conte et cinéma ne pourra qu’amplifier l'impact émotionnel de cette histoire, devenant à la fois un rappel de l'importance de la mémoire et un cri d'espoir universel. Une merveilleuse découverte du festival.
Niki - Film en Avant-Première
En 1994, Niki de Saint Phalle fait paraître un livre intitulé Mon secret, dans lequel elle révèle l'inceste vécu à l’âge de 11 ans. Cette révélation met en lumière la tragédie personnelle de l’artiste mais aussi l’impact de celui-ci sur son œuvre, libérant sa colère, sa souffrance et paradoxalement son énergie créative.
Le film Niki se fait écho des dix années de la vie de l’artiste, qui ont précédé son succès et sa reconnaissance au niveau international. Bien plus qu'un simple portrait, ce film explore les racines profondes de son art, marquées par le poids de son passé. On assiste sous nos yeux ébahis, à la naissance de l’artiste qui entre destruction, reconstruction et affirmation de soi parvient à trouver la voie de la libération.
Le film et le livre sont ainsi deux facettes d’un même parcours de résilience. Car si le livre dévoile l’origine du traumatisme, le film illustre comment Niki de Saint Phalle l’a transformé en énergie créatrice. Ensemble, ils dessinent le portrait d’une femme qui a refusé de se résigner et de laisser ses blessures dicter sa vie. Une réalisation puissante, qui met en exergue le sujet encore tabou de l’inceste tout en dénonçant la difficulté pour une femme de se faire entendre sur les nombreux abus qu’elle peut subir.
Enfin, comment ne pas mentionner la performance de Charlotte Le Bon qui se révèle grandiose dans ce rôle. De son aveu, elle découvre pleinement l’artiste grâce à Céline Salette, et se passionne pour cette femme haute en couleurs dont l’œuvre a habité la vie. A l’instar de Nikki de St Phalle, Charlotte Le Bon « se sert de son art pour exprimer ce qui l’habite et pour véhiculer les émotions qui sont les siennes. »
Loin des personnages gentils qu’elle a longtemps incarnés au cinéma, Charlotte Le Bon interprète à merveille la quintessence de déraison et de guerrière en déployant une partition qui semble infinie. De ses propres mots : « Ce rôle lui a permis d’embrasser toutes ses émotions, de la colère à la tristesse et elle n’a eu aucun scrupule à toucher à sa rage. ». Elle ajoute même avec sa modestie légendaire que c’était un exercice intimidant mais dont elle rêvait depuis longtemps ..
Leurs enfants après eux - Film en Avant-Première
Adapter un roman aussi dense que Leurs enfants après eux de Nicolas n’est pas chose aisée, tant la description des lieux, des émotions et des différentes psychologies est détaillée dans le roman.
Lauréat du prestigieux Prix Goncourt en 2018, ce roman plonge les lecteurs dans une France périphérique, marquée par le désenchantement, l'ennui et les aspirations déçues d'une jeunesse coincée dans des vies sans perspectives. Transposer cette fresque sociétale sans la trahir était un défi de taille, brillamment relevé par le film.
En suivant les grandes lignes du roman, le film parvient à véhiculer tous les espoirs, les frustrations et les désillusions de cette génération désenchantée. A travers cette adaptation, les personnages emblématiques du roman prennent une nouvelle dimension et nous livrent leur fatalité et leur désir d’échapper à leur destin sans fausse note ni pathos.
Se jouent ainsi sous nos yeux, les premiers amours, les révoltes et l’implacable histoire de la France désindustrialisée des années 80. Défilent les images des paysages post-industriels, les zones périphériques abandonnées, les cités mornes et les fêtes de village délabrées qui sont capturés avec une authenticité troublante. Cet univers à la fois étouffant et onirique, se fait le témoin de la désillusion sociale qui règne.
L’interprétation des acteurs, ainsi que la puissance des scènes nous plongent, spectateurs, dans une empathie profonde pour ces jeunes en quête de sens. Une expérience cinématographique qui mérite d’être vécue, ne serait-ce que pour redécouvrir cette fresque sociale sous un nouveau jour.
Monsieur Aznavour - Film en Avant-Première
Si le festival Ciné Roman célèbre des adaptations littéraires, il reste avant tout un événement qui met en lumière le pouvoir de la narration, peu importe le médium à travers lequel elle s’exprime.
Et c’est précisément ce que fait Monsieur Aznavour: il raconte une histoire qui transcende les générations et les milieux socio culturels avec des chansons inspirées par la poésie, la littérature, le théâtre ou encore le cinéma qui racontent l’amour, l’exil, la solitude, les désillusions et les joies, la vie en somme.
Comment écrire le fil de la vie d’un auteur qui jalonne la nôtre depuis presque toujours ? Comment énoncer une vérité d’existence sans trahir l’artiste ? Comment décrire la scène et ces moments sublimes ? Comment transmettre cette musique qui est l’hymne de nos souvenirs ?
Avec poésie …
La poésie d’une réalisation quasi parfaite où l’Histoire se mêle à l’histoire, où les images d’archives se juxtaposent à la fiction, où les guerres côtoient les rêves et où même le rap s’entremêle aux classiques de la musique française.
La poésie de l’écriture au service du 7ème art, la poésie de réalisateurs qui a la manière de chef d’orchestre rythment le film avec une minutie si précise qu’elle nous entraîne ou nous ralentit au gré de leurs envies.
La poésie du jeu d’acteur époustouflante de Tahar Rahim où l’émotion de nos cultures latines épouse la rigueur du travail Anglo saxon.
Tout simplement prodigieux .