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Laurence Benaïm:"La force d'Yves Saint Laurent? Avoir fait siens des vêtements universels"

A l'occasion de la publication de son nouvel ouvrage aux Editions Assouline, la journaliste et auteure Laurence Benaïm se confie sur son exploration passionnée de l'oeuvre d'Yves Saint Laurent et sur sa vision d'une mode post-Coronavirus
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Vous êtes l’auteure de référence dès lors qu’on parle d’Yves Saint Laurent. Où êtes vous allée puiser l’inspiration de ce dernier ouvrage après une si vaste exploration de ses travaux?
J'ai commencé à documenter l'oeuvre et le parcours d'Yves Saint Laurent en 1987 et publié sa biographie chez Grasset en 1993, rééditée quatre fois depuis. C'est mon cinquième livre sur Yves Saint Laurent. Cela peut vous paraître étrange, mais c'est en continuant à travailler et à rechercher que je découvre des éléments qui me poussent à continuer encore. Là, à Oran, en Algérie, sur les traces de son enfance. Ou en découvrant que le modéliste des robes Mondrian était Azzedine Alaïa. Si ses robes sont enfermées dans des chambres froides, son oeuvre se confronte d'une manière étonnemment vivante à notre époque, dans un dialogue ininterrompu avec elle. A travers ce livre, j'ai pu prolonger ces recherches-notamment iconographiques-avec Martine Assouline, et c'est bien du côté de la couleur, de la couleur de toutes les couleurs du monde, de la palette infinie d'Yves Saint Laurent que j'ai trouvé une source vivante et inspirante. Cela dit, j'essaie de ne pas occulter l'oeuvre avec des mots, mais au contraire de révéler la force, la poésie, le danger, la beauté qu'elle exprime, surtout contre l'ennui et la prison des tabous.

 

Comment expliquer qu’Yves Saint Laurent fascine encore autant, des années après sa disparition ?
De son vivant, Yves Saint Laurent a résisté à toutes les violences qu'il s'est infligées, à tous les honneurs qui l'ont figé dans ce rôle de couturier officiel. Sa mort ne l'enterre pas, elle ne l'embaume pas. Rien dans ce qu'il n'exprime n'est démodé. Son point de vue reste singulier. Il est comme disent les anglo- saxons, relevant.

"Toutes mes robes partent d'un geste", disait-il. Son coup de crayon marque la puissance d'une attitude irréductible à une mode. On peut prendre des vêtements Saint Laurent et les copier. Mais le plus fascinant reste de constater que beaucoup de personnalités qui n'ont ont rien à voir avec la mode partagent avec lui une vision. On est Saint Laurent ou on ne l'est pas. Etre Saint Laurent, c'est affirmer sa différence.

 

Vous explorez notamment les liens privilégiés entre Yves Saint Laurent et l’univers du cinéma, avec Audrey Hepburn, ou Catherine Deneuve dans Belle de Jour. Comment expliquer que les disciplines artistiques que sont la mode, la musique, le cinéma ou l’art contemporain  soient aujourd’hui plus cloisonnées et moins complémentaires qu’auparavant ?
Je pense qu'il s'agissait alors d'affinités électives, et pas de contrats. De conversations et d'échanges plus que d'image. De rencontres, sans intermédiaires. Sans agents. Sans publicistes. Sans toute cette peur liée aux réseaux sociaux. La peur d'apparaitre. Peur de décevoir. Peur d'être trop vieille. Peur tout court.

"J'espère sincèrement que la mode va se réinventer, loin du narcissisme, de l'entre soi, de ces brigades politiquement correctes et faussement bienveillantes qui ont bridé l'imaginaire"

Si vous ne deviez garder que cinq créations fondamentales d’Yves Saint Laurent, quelles seraient t-elles et pourquoi ? 
La force d'Yves Saint Laurent est de n'avoir rien inventé, mais au contraire d'avoir fait siens des vêtements universels, du trench au
sarouel, du pantalon à la cape. C'est le disque dur de la mode, du style auquel s'ajoutent des folies autant formelles que chromatiques. Comme c'est dur! Si il fallait choisir, je dirais la robe Mondrian de 1965, les robes de la collection Bambara de 1967, les robes Lalanne de 1969, le costume pantalon de 1971, et les dernières robes drapées de sa dernière collection pour faire taire tous ceux qui disent qu'il s'est arrêté de créer à partir des années quatre vingt.

 

Comme toutes les industries, la mode vit un bouleversement sans précédent avec l’épidémie de Coronavirus. Dans quelle mesure pensez-vous que ce choc mondial peut lui permettre de se réinventer avec résilience?
Je ne peux pas tirer de leçon, mais j'espère sincèrement que la mode va se réinventer, loin du narcissisme, de l'entre soi, de ces brigades politiquement correctes et faussement bienveillantes qui ont bridé l'imaginaire. Loin aussi de cette profusion de logos qui a occulté la valeur, la force de toute une profession, son engagement merveilleux, cette foi dans la beauté qui passe par le sens retrouvé du temps, du savoir faire, entre technologie et artisanat. La mode n'est pas un concept store d'égos et de produits. Elle est faite d'intentions, de rêves, de complicités entre l'oeil et la main, l'émetteur et le destinataire. Permettez-moi de citer Christian Dior, le maître d'Yves Saint Laurent: "En étant naturel et sincère, on fait les révolutions sans les avoir cherchées"

 

Yves Saint Laurent: The Impossible Collection par Laurence Benaïm aux Editions Assouline, 820 euros

https://www.assouline.com/

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