Pourquoi faut-il absolument voir "Parthenope" ?
Quatre ans après La main de Dieu, le réalisateur italien Paolo Sorrentino décrit les errements et les amours napolitains de la magnétique Parthenope (Céleste Dalla Porta) dans le monde du paraître. Le cinéaste a fait appel au directeur artistique de Saint Laurent Anthony Vacarello — qui est aussi le producteur du film — pour dessiner les costumes.
Parthenope est née sous des auspices royales. Son parrain, Achille Lauro (Alfonso Santagata), lui a offert, en guise de lit, le carrosse du roi soleil, venu tout droit de Versailles. Sa mère lui a donné naissance dans la mer. Aucun doute n’est possible. Son sang est bleu.
Sa beauté et son charisme font d’elle un objet de désir pour ceux qu’elle rencontre, qui cherchent à la séduire et qu’elle séduit tout autant. L’héroïne se passe de mots et ne jette que des regards, lui fait remarquer son auteur de prédilection John Cheever (Gary Oldman). Parthenope ne manque pourtant pas de mots en ce qu’elle excelle dans ses études d’anthropologie. Ses baisers se posent tant sur la bouche d’une actrice à la dérive que d’un prêtre aux prétentions papales. Une telle construction — l’enchaînement de conquêtes — évoque L’homme qui aimait les femmes (1977) de François Truffaut. Comme chez Truffaut, les images avancent et hypnotisent. Mais les femmes de Charles Denner ont toutes un nom quand les conquêtes de Parthenope sont, pour elle, interchangeables.
Son magnétisme ne connait pas de bornes. Les héros du film, réunis comme dans une galerie, font face à la protagoniste comme ils feraient face au Jugement dernier. Ils tentent de paraitre, dans un monde déchu.
C’est ici qu’intervient Saint Laurent. L’actrice sur le retour et à la chevelure dégarnie Greta Cool (Luisa Ranieri) conserve néanmoins des impeccables capes et robes lamées couleur or et un collier de diamants tandis que le professeur d’anthropologie (Silvio Orlando), qui a un enfant monstrueux, porte des vestes inspirées du tartan écossais qu’on a aussi vu à la Fashion Week. De tels habillements métaphorisent la volonté de chaque personnage de vouloir garder la face.
Chacun agit donc comme s’il faisait face à Dieu, tentant de sauver ce qu’il peut d’apparences, face à la beauté de Parthenope et à un monde qui lui échappe. Embaumement donc que ces tenues parfaites, et belle mise en abîme en ce qu’André Bazin voyait le cinéma comme la version moderne de la pratique des Égyptiens qui cherchaient à "fixer artificiellement les apparences charnelles de l’être [en l’arrachant] au fleuve de sa durée".
Paolo Sorrentino nous balade ainsi de villas décaties en somptueuses plages qui sont autant de traces d’une grandeur passé. Cette grandeur passée est antique, certes. Parthenope emprunte son nom à la sirène qui, par son chant, fait tomber tous les hommes dans l’Odyssée d’Homère. Mais pas seulement. La nostalgie est aussi propre à chacun des personnages, développant une mythologie singulière. L’actrice déchue Greta Cool en étant le paroxysme. Déjà, dans La grande bellezza (2013), le réalisateur filmait un critique d’art nostalgique de son passé, tentant de retrouver un temps qui a déjà filé.
Si la nostalgie des personnages se transforme en nostalgie du film chez les spectateurs, ceux-ci ont la possibilité de revoir certains des costumes du film, exposés aux musées des studios de la Cineccità de Rome, là où le Mépris (1963) de Godard a été tourné.
Film italien et français de Paolo Sorrentino. Avec Celeste Dalla Porta, Gary Oldman, Silvio Orlando, Stefania Sandrelli, Daniele Rienzo (2h16). En salles.