Quand Michael Jackson enfuma Paul McCartney...
Commençons par la moralité de l’histoire : il faut toujours se méfier de ceux que l’on croit être nos meilleurs amis. À tout moment, ils peuvent se transformer en nos pires ennemis – comme les protagonistes du clip de Thriller... Surtout, lorsqu’il est question de sous, particulièrement de big money. Paul McCartney en a fait l’amère expérience. Dans cette fable, le traître en question, c’est son ex-meilleur ami... Michael Jackson. Le roi de la pop, le gentil “Jacko”, que l’on croyait, doux comme un agneau ? Pas tant que cela, en réalité, envers le pauvre “Macca” : avec lui, l’agneau a rapidement pris des allures de loup, plus qu’affamé.
Tout a commencé au début des années 1980 : de passage à Londres pour enregistrer dans les studios d’Abbey Road le duo Say Say Say, composé par son ami McCartney, Jackson est convié à dîner dans son sublime manoir. C’est que depuis qu’ils ont enregistré The Girl is Mine, placé en tête des charts, ils ne se quittent plus. Pour l’ex-Beatles, le prodigieux Michael, tout juste âgé de 24 ans, est plus qu’un ami, c’est son “petit frère”. Et ce soir-là, tandis que femme et enfants s’affairent en cuisine, l’heure est aux confidences. Auréolé de son premier succès avec Thriller, Michael lui confie son plus grand tracas : l’argent coule à flots et il ne sait plus quoi en faire. Un brin paternaliste, McCartney lui prodigue alors l’un de ses meilleurs conseils. Et cette phrase, qu’il regrettera à jamais : “Tu sais, il y a un bon filon pour les années à venir, c’est le droit des chansons.” Pour preuve, ce petit carnet qu’il lui tend avec son impressionnante liste de titres, dont il a acquis les droits et qui lui assurent... 40 millions de dollars par an. Subjugué, le jeune Jackson lui lance alors : “Plus tard, je rachèterai tes chansons !” Une provocation que McCartney aurait dû prendre au sérieux. Car le conseil ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd : lorsque, en 1985, Michael Jackson apprend par son avocat John Branca qu’ATV Music, la société qui détient les droits de tous les titres des Beatles, est à vendre, il ne manquera pas l’occasion. Le précieux catalogue est évalué à 39 millions de dollars ? Qu’importe, il en alignera 47,5 millions pour l’acquérir. Il le sait mieux que personne, posséder ces titres, ça n’a pas de prix. Ou un seul : la fin d’une amitié.
Autant dire que lorsque McCartney apprend la nouvelle, il est en rage : non seulement son ex-copain a opéré dans son dos, sans même le consulter, mais il ignore désormais ses appels. “Michael Jackson aurait pu s’excuser ou lui expliquer qu’il avait été conseillé par ses hommes d’affaires”, reconnaît l’avocat Emmanuel Pierrat, spécialisé dans le droit de l’édition et auteur de Dernières volontés*. Il n’en fut rien. Jackson lui aurait tout juste lancé : “C’est juste du business !” Machiavélique, le king de la pop ? “Il ne savait pas quoi faire de son argent et, avec ce catalogue, il s’est offert les tubes de son enfance”, poursuit le spécialiste. Jackson en remettra une couche, accomplissant ce que McCartney redoutait le plus, à savoir la vente des droits de ses chansons pour des publicités. Et pas les plus fines : des spots pour des soutiens-gorge, qui rapporteront jusqu’à 500 000 dollars. Impossible pour McCartney de s’y opposer : “En droit anglo-saxon, il n’existe pas en la matière de droit moral, précise Emmanuel Pierrat. De là est née la guerre Jackson-McCartney, qui mettait fin à une amitié et à une complicité musicale, avec un Jackson qui révélait son appât du gain.” Reste que dans l’affaire, McCartney ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Ou à ses erreurs de jeunesse : celle, notamment, d’avoir créé avec son comparse Lennon, en plein succès, dans les sixties, la société Northern Songs, pour y déposer les copyrights de leurs chansons. Et tenter d’échapper au fisc : ils iront jusqu’à l’introduire en Bourse, s’octroyant ainsi des rétributions sous forme de dividendes. Sauf qu’en 1970, leur éditeur Dick James, actionnaire à 50 %, qui craignait un effondrement du cours de l’action, décide de vendre. C’est ainsi qu’ATV a mis la main sur le catalogue, privant les Beatles des droits de leurs chansons. Ils auront beau ferrailler pour les récupérer, ce sera peine perdue.
La main sur 20 % de la musique mondiale
Nouveaux rebondissements : dix ans après son premier fait d’armes, Jackson, en proie à de sérieuses déconvenues financières, décide de se rapprocher du Japonais Sony. Au point de lui céder, en 1995, contre 100 millions de dollars, la moitié d’ATV et de créer avec lui Sony/ATV Music Publishing, la société qui contrôle aujourd’hui les droits des tubes des Fab Four et plus de trois millions de titres. “En fusionnant avec Sony, il mettait la main sur 20 % de la musique mondiale”, détaille Emmanuel Pierrat. Et ce n’est pas la brutale disparition de Michael Jackson, en 2009, qui enterrera la hache de guerre. S’ensuivra une longue bataille juridique. Les héritiers, qui entre-temps ont récupéré le catalogue détenu par Michael Jackson, décident de le revendre à Sony, qui devient, en mars 2016, propriétaire à 100 % du catalogue d’ATV Publishing et des 200 chansons des Beatles. Le montant de la transaction ? 750 millions de dollars. McCartney a beau être millionnaire – sa fortune est estimée à 850 millions d’euros –, il n’a pas pu se l’offrir. Pour autant, il ne lâchera l’affaire, bien déterminé à récupérer les droits de ses chansons. Cette fois, il dispose d’un précieux joker : le Copyright Act, une loi américaine de 1976, sur la protection des droits d’auteurs. C’est écrit noir sur blanc : “Les artistes peuvent prétendre à récupérer les droits de leurs œuvres trente-cinq ans après l’année de leur première édition ou jusqu’à cinquante-six ans pour des titres, datant d’avant 1978.” Alors, dès décembre 2015, il engage une procédure contre Sony/ATV, pour récupérer les droits sur 32 chansons des Beatles. La société a débouté le groupe anglais Duran Duran d’une demande similaire, sous prétexte que la loi américaine ne s’appliquait pas en Grande-Bretagne ? Qu’importe, McCartney saisit lui, en janvier 2017, la cour new-yorkaise et obtient six mois plus tard gain de cause : la société d’édition musicale aurait préféré négocier un accord à l’amiable, évitant l’un des procès les plus retentissants de l’histoire de la musique. Cet automne, il devrait redevenir propriétaire de Let It Be et de Love Me Do. De l’histoire, on ne retiendra qu’une seule moralité : “Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès.” Un conseil qu’il pourra, cette fois, prodiguer sans crainte.