Quelle exposition de photos ne surtout pas rater cet automne ?
Encore méconnu, le travail de la photographe Vivian Maier est exposé à Paris, offrant l’occasion de découvrir une signature artistique singulière et touchante.
Bien sûr, la biographie d’un-e artiste (pré)détermine souvent l’âme d’une œuvre, s’infuse dans son travail…C’est en tout cas un postulat répandu, contre lequel Proust, dans son essai Contre Sainte-Beuve, s’élevait avec cette formule célèbre : "L'homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n'est pas la même personne.", plus loin dans ce recueil, il précise : "un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices." Est-ce que Vivian Maier (1926-2009) aurait signé une telle œuvre photographique si elle n’avait pas été nourrice, se promenant à loisir dans les villes où elle travaillait, arrachant au vol des portraits et des scènes inoubliables ? Et nous, la regarderait-on autrement, si l’on ne savait pas qu’elle avait été réalisée par une autodidacte ? Interrogations purement rhétoriques…
Découvertes par hasard en 2007, lors d’une vente aux enchères, des centaines de photographies l’ont propulsée - un peu abusivement sans doute - parmi les plus grands, de la caste des Robert Frank, Cartier-Bresson, Diane Arbus, ou, plus proche de nous, de Joel Meyerowitz. Sans aucun doute, le storytelling, forcément touchant, n’est pas pour rien dans le prestige l’auréolant. Il ne doit pas pour autant faire oublier l’essentiel : ce qui nous est montré ici. La belle scénographie imaginée par le Musée du Luxembourg, quoique un peu saturée, met en valeur une incontestable écriture visuelle, un regard précis, attentif, à ses sujets, et, surtout, l’incroyable variété de formes que son approche prenait : portraits, donc, et notamment des autoportraits, natures mortes, vidéos. Captant aussi bien les femmes du monde que les déclassé-e-s de la société, les enfants que les personnes âgées, Maier faisait son miel de ses promenades, n’obéissant qu’à son instinct, ses réflexes - exactement à l’image (si l’on ose dire) de ce que Roland Barthes écrivait dans La Chambre Claire : "Ce que la photographie reproduit à l’infini n’a eu lieu qu’une fois : elle répète mécaniquement ce qui ne pourra plus jamais se répéter existentiellement." Cette œuvre protéiforme, sensible, mouvante, brute, semble aller elle-même contre toute tentative de classification, échapper à sa mise sous cloche. La grande liberté vis-à-vis des codes - par ses cadrages audacieux, son sens des contrastes clair-obscurs opacifiant parfois la perception - appelle à la patience, à retrouver un rapport aux images de nouveau naïf, oublieux de leur prolifération, et apprécier ce que Maier apportait de son humanité, pour y repérer quelque chose de la nôtre.
Maier était-elle une grande photographe ? Peut-être, peut-être pas, mais assurément était assez artiste pour nous inviter timidement dans son monde un peu flottant, mélancolique, discret, poétique, prosaïque. Le limiter à n’être que le fruit d’un concours de circonstances serait autant lui faire injure que l’éclairer d’une lumière anachronique. On en revient à Barthes, pour qui "La photo n’est que contingence, singularité, aventure…"
Exposition Vivian Maier jusqu’au 16 janvier 2022.
Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard 75006 Paris
Tél. : 01 40 13 62 00
Du lundi au dimanche de 10h30 à 19h, nocturne le lundi jusqu’à 22h. https://museeduluxembourg.fr