Philippe Starck : "La Réserve à la Plage est simplement la cristallisation d’un rêve"
Comment aborde-t-on un tel projet ?
Avec candeur et tendresse car un tel projet n’est issu que de souvenirs d’enfance, les nôtres ou ceux de nos parents. La Réserve à la Plage est simplement la cristallisation d’un rêve d’enfance, au même titre que les grands voiliers que l’on aime observer au large.
La Côte d’Azur porte en elle tout un imaginaire, des fantasmes mais aussi des préjugés, comment les avez-vous intégrés ?
Je connais mal la Côte d’Azur et je n’ai jamais de préjugés mais l’imaginaire existe. Il crée de jolies filles en bikinis, des playboys aristocrates, des Riva bien vernis, etc. Autrement dit une vie rêvée, mais qu’à raison nous n’atteignons jamais car le papier glacé n’est pas la réalité.
Quels souvenirs en aviez-vous ?
Les souvenirs sont diffus et multiples ; ce sont surtout de petites choses comme le premier masque, le premier tuba, les premières palmes, la première plongée, le maillot de bain raidit par le sel et le sel dans les sourcils, la perte de gravité dans le tournis des vagues, le coucher du soleil qui rend heureux et triste à la fois mais surtout un mois qui parait long comme une vie.
Est-ce que le défi, c’est de réunir pour qu’ils tiennent harmonieusement dans le regard le luxe du Palace et la sauvagerie naturelle de la mer ?
Le luxe, pour un palace ou d’une manière générale, est la vérité. La mer est la vérité. Il n’y a aucun problème pour les réunir, à condition d’être profondément honnête, de donner du bonheur, donner du plaisir avec un maximum de rigueur, d’intelligence, de sophistication, de poésie et de tendresse.
Avez-vous pensé La Réserve en harmonie avec la carte du Chef Nicolas Cantrel ?
J’ai fait de La Réserve à la Plage un endroit à l’os, une cabane réduite à son strict minimum mais où chaque élément a été pensé, historisé, où chaque détail est un jeu de l’esprit si ce n’est un jeu de mot, où chaque matière est une allusion. Tout est évidemment une mise en scène extrêmement précise vers le chemin de la vérité. Nicolas Cantrel est un Chef avec une cuisine honnête, légère, gaie et surtout très saine voire même diététique. Comme les japonais le disent‡, il a le talent de nous ravir avec les yeux avant de nous ravir avec la fourchette.
Un plat, un verre, devant la mer ?
Pour le plat, un souvenir d’enfance : le saladier en verre Pyrex recouvert d’un torchon et rempli d’une salade de tomates, oignons et riz avec beaucoup d’huile, une sorte de salade niçoise que ma mère nous cuisinait tous les midis. Nous n’avions pas assez d’argent pour le restaurant alors pendant environ un mois nous ne mangions que cette salade de riz. Et nous étions ravis. Pour le verre, un souvenir d’adulte : un Negroni au champagne, straighten dans un verre classique avec un zeste de citron vert et une goutte de bitter abott.
Vous voyagez beaucoup, à quelles fautes de goût, fautes morales, êtes-vous le plus souvent confronté sur les bords de mer ?
Les bords de mer où je vais n’accueillent aucunes fautes morales ou de goûts. Ce sont des endroits profondément naturels, peu fréquentés mais où les gens apprécient cette qualité et ont donc cette justesse humaine que j’aime. Mais il est vrai qu’un jour sur une plage, où j’étais pour le travail, un serveur me propose d’acheter un magnum de Dom Perignon pour participer à la compétition de douche au champagne que mes voisins organisaient. Passé la surprise de cette proposition, j’ai décliné poliment mais j’ai eu la confirmation que je n’étais pas à ma place.
A part celle de la Réserve bien sûr, quelles sont vos plages préférées ?
Là où je vis. L’océan et le bassin du Cap Ferret, les plages de sable blanc perdues dans les lagunes vénitiennes, la plage de Carvalhal au Portugal et les plages de Formentera l’hiver.
Votre moment préféré devant la mer ? Le crépuscule ou l’aube ?
Les deux. L’aube, par le bonheur de la nuit merveilleuse que l’on vient de passer avec la personne que l’on aime. Et le crépuscule, toujours aux côtés de la personne que l’on aime, pour voir le plus beau spectacle du monde : cette boule de feu qui tourne et s’éloigne de nous pour revenir le lendemain.
A quoi pensez-vous quand vous regardez la mer ?
Je pense à tout. Je pense au vent, je pense aux bateaux, je pense aux vagues géantes, je pense aux marais, je pense aux lieux sous la mer, je pense aux épaves, je pense aux poissons, je pense à la matière même qui nous donne la vie, je pense aussi hélas, à l’écologie.