Stacy Martin : "Je n’ai pas peur de dire ‘non !’"
Photographie par Guen Fiore
Stylisme par Donatella Musco
Ce qui frappe chez Stacy Martin, à 28 ans, c’est sa carrière, intelligente et internationale. Dans sa filmographie, on lit les noms de Lars von Trier, Matteo Garrone, Benoît Jacquot, Nicole Garcia, et ceux de la nouvelle génération : Ben Wheatley, Mikhaël Hers, Brady Corbet, Marie Monge... “Lars m’a donné ma chance. Il m’a offert tout de suite un premier rôle marquant (Joe dans Nymphomaniac, ndlr). Du coup, j’aime participer à la ‘première fois’ de jeunes cinéastes en m’engageant à mon tour autant qu’il m’est possible.” L’actrice franco-britannique fait effectivement de bons choix en incarnant des aventurières, des filles modernes qui n’ont pas peur de s’élancer : “Les héroïnes qui m’intéressent le plus prennent des décisions qu’elles défendent ensuite coûte que coûte. Parfois elles savent très bien que ces décisions seront mauvaises, mais qu’importe. C’est très beau et très inspirant de voir des êtres qui vont au-delà de ce qu’ils pensent pouvoir accomplir, parce que dans la vie on a tellement peur, on est tellement contrôlé, regardé, analysé que jouer au cinéma des personnages affranchis jusqu’au danger, est un postulat à défendre absolument.”
Merveilleusement de son époque
Rien d’étonnant que Stacy porte si bien ce jour-là les tenues créées par Maria Grazia Chiuri pour la collection printemps-été Dior. La créatrice les a souhaitées “sous l’influence des grandes danseuses et chorégraphes comme Loïe Fuller, des pionnières en matière de droits des femmes notamment grâce à la libération des corps féminins. Combinaisons, brassières, justaucorps en Lycra, en résille de cuir nouée à la main, en tulle réinterprété en plissés irréguliers et brodés, ces tenues agissent comme des secondes peaux.”
Et ça marche : “Quand je porte cette robe en tulle, mon corps a envie de danser !” lance l’actrice en traversant la pièce, “le fait que ce soit Dior s’inscrit dans une histoire particulière. C’est très moderne. C’est un mélange de textures, de couleurs. Ce sont des formes et des lignes qu’on reconnaît, qu’on a vu depuis toujours mais qui sont réimaginées comme ces tenues kaki très cintrées. La modernité consiste selon moi à juxtaposer les codes Dior à des influences hip-hop par exemple.” Arborant alors des sneakers griffées Dior pour un style délicatement streetwear, la jeune actrice répond à la formule de Christian Dior : “Pour qu’une robe soit réussie, il faut avoir l’idée de ce qu’elle sera dans le mouvement de la vie.” Stacy approuve : “Quand je porte ces vêtements, je me sens parfaitement de mon époque, je n’ai pas l’impression de porter un costume. Ces tenues, c’est un commentaire sur la féminité au quotidien. D’ailleurs, pour la plupart, je pourrais les porter tous les jours. Il y a quelque chose de réaliste, de très confortable, on se sent de notre temps, on n’est pas figé, on n’essaie pas d’être quelqu’un d’autre, on est soi-même et c’est tout ce qui compte.”
L'ouverture au monde
Très active et cosmopolite, Stacy Martin est elle aussi dans le mouvement de la vie. “J’habite à Londres depuis dix ans. Ce que j’aime le plus c’est cuisiner. J’ai fait récemment un oat roast, c’est une sorte de pain aux noix plein de graines. Mais j’ai fait aussi une galette des rois, des crêpes, plein de choses ! J’aime accueillir les gens, donner à manger. Dans ma famille française, on est très nombreux, on se rassemble toujours autour d’une table. Je fais ça aussi à Londres avec mes amis, d’ailleurs il y a toujours trop de nourriture alors je compose des doggy bags que tout le monde emporte.” Loin de sa cuisine londonienne, Stacy arbore une silhouette très parisienne. “J’aime beaucoup revenir à Paris. Il y a quelque chose de très familier. Je suis née ici mais j’ai aussi habité au Japon avec mes parents. Tout ça m’a donné une curiosité au monde extérieur très forte. J’ai toujours envie de partir.” Cette ouverture au monde intervient-elle dans sa façon de pratiquer son art ? “Mon côté parisien, c’est une façon d’être très frontale. Je n’ai pas peur de dire ‘non !’ Mon côté anglais, c’est le côté plus social, plus accueillant. En même temps ça ne sert à rien de tout aimer. C’est dans la différence qu’on comprend les choses. Les gens qui aiment tout, je trouve ça bizarre. Enfin, mon côté japonais m’a donné le sens du travail, une notion importante là-bas.”
Si la géographie a structuré Stacy Martin actrice, l’indépendance de certaines artistes la motive. “Rose Wylie, c’est ma goddess ! C’est une artiste très libre. Les gens assimilent parfois ses œuvres à une peinture d’enfant, mais aucun enfant ne pourrait faire ça. Ses toiles font deux mètres sur trois ou quatre, sont très directes, elle ne cherche pas à contrôler son geste. C’est très dur de réussir ça. J’ai eu la chance de la rencontrer, ça a été l’un des plus beaux jours de ma vie. À 85 ans, elle peint dans sa maison près de Londres. Son atelier est dingue, elle ne range rien, ne touche rien. Il y a une pile énorme de pots de peintures vides, séchés. C’est magnifique. Elle vit comme elle peint, elle rigole, elle est très coquette, et surprenante quand elle vous dit tout à coup : ‘Oh, je ne vous ai rien proposé à manger, ça fait cinq heures que vous êtes là !’”
Le haut de l'affiche
Elle aussi vive et surprenante, Stacy Martin enchaîne actuellement les premiers rôles. Elle vient de tourner Lisa Redler de Nicole Garcia. “Cette femme, j’en suis amoureuse. Elle pense à deux-cent à l’heure, n’a pas peur de se poser des questions, tout en étant très déterminée. Elle a un côté très poétique, romanesque.” Ce printemps, elle est au cinéma dans Dernier amour de Benoît Jacquot. “C’est le réalisateur qui sait voir comme personne le potentiel d’une actrice.” Elle y interprète la Charpillon, une jeune femme fatale dans le Londres du XVIIIe siècle. Ce personnage féminin magnifique, difficile et retors comme les aime Jacquot, met au défi Casanova (interprété par Vincent Lindon) de la conquérir. Physique frêle face à un Casanova tout en puissance masculine, l’actrice emploie un déhanché si moderne, délié et néanmoins fragile qu’elle désarme tout sur son passage magnétique. “Je me demandais comment me situer face à Benoît Jacquot, qui a une telle intelligence d’esprit. Ce qui est magique avec lui, c’est qu’il est tout à fait présent et, en même temps, il laisse l’acteur libre. Ça crée quelque chose de très particulier. Il ne m’a pas donné de directions pour le personnage. J’ai fait mon travail en amont, et quand je suis arrivée sur le plateau tout était très calme, très ouvert.” C’est un des secrets de Stacy Martin – actrice jeune, polyglotte, Parisienne de Londres, silhouette tantôt ballerine tantôt streetwear, les pieds sur terre, admiratrice du travail des autres –, de savoir parfaitement évaluer chaque situation, s’en inspirer et se mettre en marche. Elle donne alors envie de la suivre au bout du monde.
Dernier Amour de Benoît Jacquot, déjà dans les salles. Retrouvez ce portrait dans le numéro de Mai spécial We Love France de L'Officiel Paris, actuellement en kiosques.