Aline Zalko : "le dessin est vraiment pour moi la source de toute forme artistique"
Saluée pour sa maîtrise sans pareille de la couleur, l'artiste peintre et dessinatrice Aline Zalko se confie à l'Officiel à la veille du vernissage de sa nouvelle exposition Cinquante Deux
Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de votre parcours, et la façon dont vous vous êtes initiée à l'art?
J'ai été initiée à l’art dès l'enfance par mes parents. J'hésite d'ailleurs à dire dès la naissance, puisque le choix de mon prénom annonçait la couleur, mes parents hésitant entre « Aline » et « Paloma », le premier étant le prénom de la fille de Gauguin, peintre préféré de ma mère, le second celui d’une des filles de Picasso. Mon père étant argentin, Aline était le choix le plus exotique ! Toute mon enfance, ma mère m’emmenait au musée et elle me faisait dessiner ou peindre mes propres interprétations des sujets abordés par les grands artistes : des fleurs après avoir observé les tournesols de Van Gogh, une crucifixion après m’avoir montré le Christ jaune de Gauguin... J’apprenais et j’avais l’impression naïve d’appartenir à l’histoire de l’art tant ma mère accordait de l’importance et du sérieux à mes œuvres ! A la maison, l’art était quelque chose à prendre au sérieux, mais aussi un refuge, mon identité, une force, un lien, un pont vers les autres quand je dessinais avec mes amies ou qu’elles me demandaient que je dessine spécialement pour elles. C’était d’emblée un engagement, je cherchais instinctivement l’émulation.
Avec tout ça, et ce n’est pas surprenant j’imagine, l’entrée à l’âge adulte n’a pas été aisée, j’ai eu du mal à accepter l’enseignement extérieur et le réel. J’ai passé mon temps à sécher les cours, surtout aux arts décos ! Mais c’est cette école qui m’a permis de partir à New York et cette expérience a été déterminante pour moi, d'autant que c'est dans cette ville que mon travail a été publié pour la première fois, dans le New York Times. Cette ville était tellement inspirante pour moi, des artistes que j'admirais et que j'admire toujours y ont vécu et l'ont peinte ou dessinée, New York apparaissait comme une extension d'eux même, ou inversement.
C'était très stimulant pour moi, et un artiste comme Saul Steinberg m'a énormément inspirée, par son trait mais aussi en démontrant que l'on peut être à la fois un grand illustrateur et un immense artiste contemporain, qu'il n'y a pas de frontière tant que l'on met du sens et tout de soi dans sa création. Je ne perds jamais cette idée de vue, que je monte une expo ou que je dessine une affiche ou une couverture de livre.
Quelles ont été les influences artistiques qui ont contribué à l'élaboration de votre style ? Petite, comme nous allions beaucoup à Orsay, c’était les impressionnistes qui me plaisaient, puis surtout Matisse, Bonnard, Gauguin. Plus tard les primitifs flamands. Mais à côté de ça, je me souviens d’avoir vu très jeune les films d’animation Yellow Submarine, et La planète sauvage aux dessins très puissants qui m'ont longtemps habitée. La musique aussi et ce qu’elle suscitait en moi comme émotions était une source d’inspiration, les Beatles notamment. À la télé, la série Palace et tout l’univers de Topor m’ont beaucoup marquée, puis le cinéma de genre à travers les images hautement symboliques qui y sont mises en scène et ses représentations féminines. Puis c’est Saul Steinberg qui m’a ouvert un champ des possibles incroyable dans le domaine du dessin contemporain, ainsi que Richter et Hockney, Marlene Dumas et Alice Neel en peinture et dessin.
Vous utilisez des techniques artistiques diverses (dessin, crayons de couleur, peinture). Comment passez-vous de l'une à l'autre, et qu'est ce qui définit le choix de telle ou telle technique?
Pour moi, le dessin est vraiment la source de toute forme artistique. Mais ce qui me plaît dans le dessin contemporain c’est de l’extraire du statut croquis ou esquisse, il peut se suffir à lui-même. Donc je creuse pas mal ce médium qui me fascine, je trouve que ce qu’il y a à explorer à travers les techniques du dessin est infini. Sur le papier, j’utilise du crayon de couleur, du pastel, de l'encre, de la peinture acrylique ou de l’aquarelle. J’aime le dialogue entre ces matériaux, c’est vraiment le travail de Saul Steinberg qui m’a démontré que le dessin pouvait être une histoire de contraste et de vibration entre différents langages et façons de tracer.
J’ai toujours aimé peindre, mais j’avais mis ce médium de côté pendant longtemps et je m’y suis remise lorsqu’il y a quelques années on m’a demandé de réaliser une œuvre murale. J’aime la posture corporelle du face à face qu’implique la peinture, les sensations sont différentes, je peux travailler de très grands formats aussi. Le dessin pour moi est un univers terreux et la peinture est aquatique. Passer de l’un à l’autre est très riche et inspirant. Je crée aussi des dialogues entre ces deux disciplines en reprenant parfois un dessin et en le traduisant en plus grand format en peinture comme un autre point de vue.
Bien que votre travail soit très varié, il est focalisé sur les multiples facettes de l'identité féminine. Quelles sont les femmes qui vous inspirent et nourrissent votre imaginaire?
J’ai grandi avec une figure féminine très forte, ma mère. Elle m’a très vite sensibilisée aux films d’auteurs en attirant mon attention sur des figures féminines puissantes qui y étaient mises en scène : Delphine Seyrig, Gena Rowlands pour ne nommer qu'elles. C’était des femmes fortes donc, mais aussi atypiques, séduisantes, différentes, hors clichés. Plein de choses à la fois. Des femmes multiples. Ces figures m’inspirent énormément dans mon travail et dans ma vie en tant que personne. Artistiquement il y a des femmes dont j’admire énormément le travail et la vision comme Alice Neel, Cindy Sherman, Barbara Krueger, Marlene Dumas. Des figures pop comme certaines chanteuses ou actrices de séries b m’ont énormément marquée aussi.
On note de nombreuses références à l'enfance et l'adolescence dans certaines de vos œuvres (Yearbook portraits, Schooldays). Qu'est ce qui vous plaît dans la représentation de l'adolescence et de ses codes?
C’est ce moment de vie qui est la jonction entre l’enfance et l’âge adulte, cette ambivalence entre fragilité et force, c’est aussi une période de grande métamorphose. J’aime ces moments flous ou le sujet vous échappe en quelque sorte. Où il ne peut être enfermé dans une représentation simple puisqu’il est en plein changement. Tenter de saisir cette volatilité, voilà ce qui m’intéresse. Ou, en d'autres termes, essayer de retranscrire cette tentative.
Vous réalisez également de très belles représentations de paysages naturels aux accents oniriques (Forests, Volcanos). Quels sont les lieux où vous aimez vous isoler et où vous puisez votre inspiration?
Les incendies que je dessine et les volcans sont aussi des paysages en métamorphose, entre deux états. Ce sont des paysages imaginaires, mais j’ai commencé à dessiner et peindre des paysages naturels en observant dans un premier temps les forêts et les montagnes d’Auvergne où je me rends régulièrement depuis plusieurs années. En 2020-21, je me suis rendue en Martinique pour réaliser un workshop avec les étudiants des beaux arts de Fort de France et cela m’a inspiré une toute nouvelle série de paysages à l’encre et à l’aquarelle, comme si le médium s’adaptait au sujet.
Exposition Cinquante Deux par Aline Zalko, du 9 au 15 Février 2023
A la Galerie L'Oeil Bleu, 32 rue Notre-Dame-de-Nazareth 75003 Paris