L'Officiel Art

Fondation de France : "Proposer un nouveau mode de relation au monde”

Entité privée et indépendante, la Fondation de France, créée en 1969, constitue le plus important réseau de philanthropie en France. Elle abrite 841 fondations et rassemble fondateurs, donateurs, experts bénévoles, salariés et associations, portés par la volonté d’agir. Elle est la fondation de toutes les causes. Depuis près de trente ans, elle a pris l’initiative de mettre en œuvre l’action Nouveaux commanditaires permettant à toute personne ou groupe de personnes qui le souhaitent de passer commande à un artiste pour répondre à leurs préoccupations. L’Officiel Art s’est entretenu avec François Hers, artiste concepteur du Protocole des Nouveaux commanditaires, et Catia Riccaboni, responsable du programme Culture de la Fondation de France.
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MÉCÉNAT - PHILANTHROPIE

 

L’OFFICIEL ART : Qu’est-ce qui, en 1990, vous a incité à mettre en œuvre le concept de Nouveaux commanditaires, aujourd’hui piloté depuis la Fondation de France ?

FRANçOIS HERS : Dans les années 1980, la finalité des œuvres s’est réduite à devenir un objet de patrimoine destiné à enrichir une collection publique ou privée. Cette nouvelle situation n’offre qu’une vie sociale très réduite aux œuvres, en dehors de quelques expositions collectives ou personnelles. Or, la finalité de toute création en art n’est-elle pas de nous aider à vivre, de nous proposer un nouveau mode de relation au monde ? Exposer dans un musée ne peut suffire.


CATIA RICCABONI : Sur cette question du patrimoine, on peut remarquer qu’un grand nombre des œuvres réalisées sont considérées par les commanditaires comme le patrimoine de demain. Ils sont très attachés à cette idée de travailler pour le bien commun et le transmettre aux générations futures.

F.H. : En 1989, la Fondation de France, intervenant dans tous les domaines de l’intérêt général, s’est interrogée sur l’utilisation de ses financements et soutiens dans la culture. Elle avait la volonté d’une politique culturelle qui soit au plus près de la réalité des besoins de notre société et qui soit plus en lien avec la spécificité de son rôle. Souvent à l’avant-garde dans de nombreux domaines, elle ne l’était pas en culture. Je lui alors proposé de quitter le rôle de prescripteur pour mieux assumer l’originalité du sien qui est celui de médiateur. Elle est un organisme de médiation entre les moyens financiers que lui confient des donateurs et la prise en compte de questions de société auxquelles il est peu ou mal répondu. C’est ainsi que la Fondation de France a joué et joue toujours un rôle central, déterminant, dans l’action des Nouveaux commanditaires qu’elle a choisi de mettre en œuvre.

Quels sont, selon vous, les domaines d’application et de responsabilités d’une politique culturelle ?

FH : Toute politique culturelle se développe selon quatre axes principaux : préserver les formes du passé et en assurer la transmission, autrement dit la conservation des patrimoines ; permettre au public d’avoir un accès aux œuvres par la mise en place d’outils de diffusion que sont les musées, bibliothèques, centres d’art et autres manifestations ; la formation des artistes et des publics ; et enfin le soutien à la création. Ce qui est paradoxal, c’est qu’alors que nous vivons une époque d’intenses mutations culturelles, les moyens financiers destinés à la création ne sont pas à la hauteur des défis. Les Nouveaux commanditaires y apportent une réponse. En faisant la preuve que la société civile peut assumer pleinement ses responsabilités dans l’élaboration d’une culture contemporaine à son plus haut niveau d’exigence qui est celui de l’art, ils font sauter un plafond de verre qui considérait que le commun des mortels n’avait pas qualité à agir en art. Et c’est bien la finalité du protocole des Nouveaux commanditaires que de permettre à la société civile d’exprimer les besoins d’art de son époque et d’assumer l’investissement financier que nécessite la création d’œuvres, en prenant la responsabilité d’une commande. Dire la raison d’être d’une œuvre est aussi essentiel que d’en créer les formes. Penser qu’il ne faille rien demander à l’artiste sous peine d’atteinte à la pureté de ses intentions n’est qu’un préjugé.

 

C.R. : Aujourd’hui, les artistes qui répondent aux Nouveaux commanditaires sont souvent de grande renommée, pour rester à la mesure des enjeux que soulèvent les commanditaires. Le fait que le médiateur soit un expert de l’art contemporain facilite la rencontre avec ces derniers et les relations avec le créateur. Il connaît les critères d’exigence d’une création contemporaine. Il va accompagner les commanditaires à établir un cahier des charges afin de bien définir leur demande et leur proposer l’artiste le plus approprié pour y répondre. Quand le projet est validé, l’œuvre entre en phase de production. En y associant les commanditaires, le médiateur recherche et fédère les financements publics et privés nécessaires. Ce rôle est essentiel dans le partage d’égale responsabilité entre tous les acteurs que définit le protocole de commandes artistiques. Avec les Nouveaux commanditaires, il s’agit de prendre autant au sérieux les citoyens que les artistes. Chaque médiateur a son style, mais leur dénominateur commun est d’être à l’écoute, et d’apporter toutes les aides nécessaires pour agir. Toutes les parties prenantes doivent s’engager sur la durée : celle du temps nécessaire à la réflexion, aux débats, à la conception de l’œuvre et à sa réalisation. Avec la confiance, le respect du temps est un facteur déterminant de la réussite des projets.

 

Comment les différents acteurs vivent-ils la situation ?

F.H. : Le protocole des Nouveaux commanditaires est par nature un exercice de la démocratie. On ne fait pas seulement une œuvre d’art, mais on trouve et expérimente les formes de relations qui se veulent satisfaisantes entre des personnes, devenues libres et égales en droit et ayant chacune des conceptions et convictions singulières. Chacun doit assumer pleinement son rôle. On ne demande pas, par exemple, aux élus leur avis sur l’art contemporain, mais plutôt d’assumer leur rôle de médiateur politique, indispensable pour que des initiatives citoyennes puissent se développer et s’inscrire dans une communauté. Il est à noter d’ailleurs, que le couple médiateur culturel – médiateur politique fonctionne très bien. Un autre type d’acteur important auquel il est fait appel : les chercheurs, à qui nous demandons d’aider à mettre en lumière tous les enjeux que soulève cette action. Ce sont eux qui peuvent nous aider à passer du particulier au général pour développer une intelligence collective. Cela répond aussi à un désir des chercheurs qui, comme les artistes, souhaitent retrouver une véritable dimension sociale dans leur travail.

Un tel modèle vertueux peut-il être applicable hors Hexagone ?

F.H. A partir du moment où le patrimoine, l’accès aux œuvres et l’éducation sont déjà pris en charge par les Etats, les villes et les régions, comme par l’essentiel du mécénat privé, cette grande politique d’intérêt général fondée sur la création, que propose la Fondation de France, peut devenir la politique culturelle dont l’Europe a besoin pour se construire. Et cela dans le respect du principe de subsidiarité. D’autant qu’elle peut s’appuyer pour la mettre en œuvre sur un réseau d’institutions et de médiateurs culturels le plus dense du monde. Cette politique européenne, la Fondation de France a commencé à la développer depuis 2000, en collaboration avec d’autres fondations, notamment en Allemagne, Belgique, Italie, Espagne, Suisse, Grande-Bretagne et Norvège.


Au fil des 450 projets réalisés et en cours en 25 ans en France et en Europe, l’expérience des Nouveaux commanditaires est réussie dans son ensemble. C’est un modèle universel, souple dans la mise en œuvre, et adaptable à de nombreuses circonstances.

CR : De fait, si nous sommes intransigeants sur le respect du partage des responsabilités qui fonde le Protocole des Nouveaux commanditaires, sa mise en œuvre s’adapte aisément à tous les contextes quels qu’ils soient.

F.H. : Un autre facteur de réussite est la Fondation de France elle-même. Qui mieux qu’une représentante, aussi emblématique, de la société civile pouvait inaugurer une politique d’intérêt général qui soit de droit privé. Une politique fondée sur l’initiative de personnes parlant et agissant en leur nom propre. De toutes les façons, je pense qu’en démocratie, il nous faut maintenant partir du particulier pour atteindre le général et non plus l’inverse. Mais d’autres grandes fondations pourraient tout aussi bien jouer un tel rôle et devenir des Laurent de Médicis d’un grand art de la démocratie.

Quelles spécificités avez-vous observées, suivant les territoires – urbain, rural – dans lesquels s’inscrivent ces œuvres ?

CR : Ce qui nous frappe plus précisément dans les territoires ruraux, c’est la capacité des personnes à s’engager, à se projeter, à faire preuve d’une grande ouverture d’esprit et d’audace. Et de manière générale, ces projets réunissent, hormis les commanditaires, une communauté plus large de partenaires essentiels à la réalisation des projets. Cela met en place une véritable dynamique territoriale avec un ensemble d’acteurs locaux, et représente une grande richesse grâce aux rencontres.

 

Quid de la question de la pérennité de l’œuvre ? Lorsqu’elle est amenée à disparaître, avez-vous le souci de la documenter, d’archiver ?

CR : Ne craignons pas de considérer que les œuvres puissent vivre et mourir. Qu’aurions-nous fait des millions d’œuvres produites dans l’histoire ? Ce qui est le plus important est que notre société puisse s’investir autant qu’il le faut dans la création. Cela dit, avec les médiateurs, nous sommes attentifs à la conservation des œuvres et à leur entretien. Nous constituons une documentation et conservons les archives. Il y a également un site internet européen dédié à l’action Nouveaux commanditaires qui présente aussi bien les projets que la mise en œuvre pratique de cette action. Financée par des moyens privés ou publics destinés à l’intérêt général, l’œuvre est la propriété de la communauté, même si l’usage en est laissé aux commanditaires. Elle ne peut en aucun cas être vendue. Les œuvres sont généralement inscrites dans l’inventaire d’un organisme à même de les gérer. Il se trouve qu’une œuvre peut aussi être déplacée. Cela se fait en accord avec l’artiste. C’est le cas, par exemple, d’une œuvre de Yan Pei-Ming, Le Meilleur travailleur du Crous, une série de 1992 rassemblant dix toiles en noir et blanc qui représentent les portraits de dix salariés du restaurant universitaire de Dijon. Elle est aujourd’hui inscrite à l’inventaire du Musée des Beaux-Arts de Dijon.

 

Pour toute information

https://www.fondationdefrance.org/fr

http://www.nouveauxcommanditaires.eu/fr/25/250/en-attendant-le-mo(nu)ment

https://www.societies.fr/societe-realiste-c1seu

 


TÉMOIGNAGES

ALAIN SÉCHAS, artiste, Monument pour Jacques Lacan, (2002),
médiation par Xavier Douroux

“Je connaissais Xavier Douroux pour avoir exposé au Consortium qu’il dirigeait. Alors qu’il était médiateur pour la Fondation de France, il a organisé une rencontre avec des psychanalystes à Dijon, affiliés à l’Association de la Cause freudienne. J’ai trouvé très intéressante la démarche qui consiste à ce qu’une tierce personne mette en relation un groupe porté par un désir d’art et un créateur. Cela m’a spontanément paru un défi, dans la mesure où, pour moi, Lacan représentait une parole, des écrits ; il était un bâtisseur de pensée dont je n’avais pas forcément toutes les clés d’interprétation. Dès lors, comment retranscrire cela visuellement ? Si Xavier Douroux s’adressait à moi, c’est qu’il avait identifié dans mon travail des résonances avec la requête du groupe de psychanalystes. Lors de mes échanges avec eux, j’ai perçu une grande ouverture d’esprit : ils ne m’ont imposé aucun ‘cahier des charges’. Alors, quid d’une célébration de Jacques Lacan ? Pour un artiste, la seule façon de travailler est de s’emparer du nom de Lacan et des quelques slogans devenus des quasi vulgates journalistiques, des jeux de mots. Ce qui a résonné en moi est que tout est langage. Ma démarche a alors été de trouver une forme qui puisse être comprise immédiatement par le grand public, sans médiation particulière. A un moment, dans mon travail, j’ai créé des personnages à figures de chats. Substituer un visage de chat à un visage humain est une façon d’universaliser l’usage du corps humain, dans des postures très communes et variées. Mais dans ce projet spécifique, j’ai opéré une substitution par un visage de chat issu du lointain – de l’enfance peut-être – doté d’yeux tout ronds dont l’acuité transperce le regardeur. Et cette pièce, un peu atypique, montre deux corps humains qui s’interpénètrent. Il m’est revenu en mémoire que Lacan a fréquenté des surréalistes. Des photos d’archives le montrent lors d’une soirée mondaine avec Picasso et Salvador Dalí. Ces rencontres ont été très importantes pour lui, et le surréalisme l’a beaucoup marqué. J’ai ainsi restitué cette notion d’‘inquiétante étrangeté’, de fantastique : les deux personnages étant très peu caractérisés, ils ne portent pas de costumes, on ne sait pas s’ils sont dans un état d’unité, ils donnent l’impression de sortir des limbes. J’ai voulu montrer un moment improbable où deux corps se traversent réellement. Mon idée en art est que les œuvres soient les plus près possible de notre réalité, que l’on est avec ces personnages, qu’on ne peut y échapper. Cette œuvre est de dimensions modestes, à peine 1,20 mètre de hauteur. Posée sur un socle, elle est destinée à la mobilité. C’est un peu paradoxal de l’intituler Monument, elle a d’ailleurs circulé dans le cadre de différents congrès où les commanditaires ont souhaité la présenter.”

 

JÉRÔME POGGI, médiateur, “En attendant le Mo(nu)ment”, commande artistique de la Société Histoire et vies du Xe arrondissement de Paris confiée à Société Réaliste

“C’est d’abord en tant qu’historien et critique d’art que je me suis intéressé à la démarche des Nouveaux commanditaires. Je faisais alors ma thèse de doctorat sur les différentes formes possibles de commerce entre l’art et la société au XIXe siècle, lorsque François Hers m’a demandé, en 2003, de réaliser avec lui une série de films sur les Nouveaux commanditaires. Il s’agissait de donner parole et visage à ces dizaines de citoyens étrangers au milieu de l’art mais ayant pris la responsabilité de commander une œuvre d’art contemporain à un artiste. Nous avons effectué une centaine d’entretiens, souvent de trois heures, et réalisé au final une dizaine de films qui ont ensuite été le support du livre Faire art comme on fait société. J’ai été totalement imprégné de cette expérience tout au long des trois années qu’a duré la réalisation de ces films, et c’est ce qui m’a conduit assez naturellement à devenir moi-même médiateur. C’est à la même époque, en 2009, que j’ai ouvert ma galerie. Au début, les deux activités se sont développées parallèlement, sans porosités autres qu’intellectuelles, théoriques ou politiques sur ce désir d’être un médiateur, c’est-à-dire un lien entre l’art et la société. La galerie me permettait, par des circuits économiques et seulement mercantiles de me mener aux institutions, aux musées, aux collectionneurs et, à côté de cela, j’avais cette opportunité de pouvoir toucher une part bien plus vaste de la société civile au-delà du milieu de l’art grâce à l’action Nouveaux commanditaires. Bien que parallèles et étanches, je voyais que ces deux voix répondaient à un même esprit, une même ambition et pouvaient se rejoindre. C’est lors d’une table ronde à laquelle je participais à la foire Miami Art Basel sur les nouvelles formes de mécénat que l’on m’a demandé comment s’articulait mes deux modes d’actions dans l’économie de l’art. Je n’ai pas su répondre sur le moment. J’en parlais ensuite avec mon confrère allemand, Alexander Koch, lui aussi galeriste au sein de la galerie Kow et médiateur des Nouveaux commanditaires (Die Neue Auftraggeber) en Allemagne. Malgré les antagonismes apparents de nos modes d’action dans l’économie de l’art, nous nous répétions que nous ne pouvions nous passer ni de l’un ni de l’autre. J’ai dû alors faire l’effort intellectuel de lier théoriquement, presque moralement, mes deux activités. Et de réinscrire le métier de galeriste dans un champ économique, politique et social élargi, qu’on ne peut réduire au seul marché de l’art. Le pouvoir d’agir que les galeries ont aujourd’hui leur confère aussi une grande responsabilité sociale. A quoi pouvons-nous, et devons-nous, utiliser nos capacités d’action pour promouvoir l’art et les artistes dans notre société contemporaine. Il me semblait donc que l’activité de médiateur pouvait être inspirante, et permettre d’inventer une forme élargie de commerce de l’art qui ne soit pas qu’un commerce économique. Mais aussi d’expérimenter une véritable économie politique de l’art qui soit contemporaine. La qualité première d’un médiateur est d’être extrêmement ouvert et curieux de la société tout entière, au-delà du milieu de l’art, et d’être en mesure de repérer des situations qui requièrent des besoins en art qui ne seront pas forcément clairement formulés par les commanditaires. Car si certains ont une conscience claire de leurs besoins et de leurs ambitions, d’autres éprouvent peut-être un désir souterrain, mais n’ont pas l’audace de l’exprimer. C’est en cela qu’un médiateur peut les aider. Dans tous les cas, il s’agit d’apporter à ces personnes extérieures au monde de l’art une expertise ; c’est-à-dire une connaissance de la scène artistique et de ses mécanismes afin de les aider à choisir l’artiste ; ensuite des compétences professionnelles pour faire la production d’une œuvre d’art. L’œuvre pour les Moinon est l’une de mes premières commandes. Elle a été initiée par la société historique du Xe arrondissement de Paris. Lors d’une de leur assemblée générale, j’avais été marqué par le combat menée par plusieurs femmes, historiennes amateurs, pour réhabiliter la mémoire de Marie Moinon, entrée en résistance avec son mari Jean et morte elle aussi en déportation, mais dont le nom a été oublié lorsqu’une rue du Xe arrondissement de Paris a été nommée la rue “Jean Moinon” en 1946. Après des années d’une enquête historique exemplaire, ces femmes ont finalement obtenu du Conseil de Paris que la rue soit rebaptisée la rue ‘Jean et Marie Moinon’. Néanmoins, lors de la pose de la nouvelle plaque, elles me firent part d’une frustration paradoxale : en même temps qu’elles avaient corrigé une injustice de l’histoire, elles l’avaient effacée… A les entendre, j’ai pressenti des enjeux proprement artistiques dans cette forme de déception et leur ai demandé si un artiste ne pouvait mener plus loin leur démarche et rendre visible le processus de mémoire en jeu dans cette histoire… Les questions ici posées étaient : qui sont les acteurs de l’Histoire ? Qui écrit l’Histoire ? Et qui célèbre l’Histoire ? J’ai proposé aux commanditaires de travailler avec la coopérative artistique Société Réaliste. Les artistes ont prolongé leur démarche en inscrivant le nom de Jean et Marie Moinon, non plus sur une plaque de rue mais dans les étoiles. Nous avons entamé des échanges avec le Comité pour la nomenclature des petits corps célestes, chargé de nommer officiellement les astéroïdes découverts régulièrement. En raison du règlement du comité, il faudra attendre 2045, soit un siècle après la mort des Moinon, pour entamer officiellement le processus. En attendant, Société Réaliste a installé dans un jardin public proche de la rue Jean-et-Marie-Moinon, deux rochers en granite symbolisant ces deux astéroïdes, comme s’ils étaient tombés sur Terre, et sur lesquels seront gravés dans 30 ans le numéro de matricule des astéroïdes. Je pense que c’est une œuvre très importante dans l’histoire des monuments publics, qui n’aurait jamais pu être inventée spontanément par les artistes si elle n’avait été initiée par les commanditaires.”

 

 

NATALIE COUGNENC, avocate, Parloirs de Villeneuve-lès-Maguelone

 

L’OFFICIEL ART : Deux commandes d’œuvres d’art pour les parloirs – et l’espace permettant d’y accéder – de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone ont été inaugurées en 1999, la rénovation de ces pièces a donné lieu en 2016 à une nouvelle intervention d’artistes (Jean Le Gac et Hervé Di Rosa) : quel a été votre rôle dans la mise en œuvre de ce projet ?

NATALIE COUGNENC : Je suis intervenue dans la mise en œuvre de ce projet en tant qu’avocate, dans le cadre de mes fonctions. Rendre visite à un client à la maison d’arrêt fait partie du métier, et lorsqu’on arrive sur place, on côtoie les familles de détenus et l’on est amenés à faire une partie du trajet avec eux à l’intérieur de l’établissement. On parle souvent des conditions de vie des détenus mais très peu des proches. Or, ils sont un élément structurant pour les détenus puisque, par le biais des visites, ils constituent un lien avec l’extérieur. Se rendre dans les maisons d’arrêt représente énormément de contraintes pour les familles, liées notamment à l’obtention de permis de visites, mais aussi au lieu et à l’appréhension du lieu. C’est une réflexion globale sur tout cela qui m’a incitée à rencontrer Jean-Marie Bénézet, médiateur de la Fondation de la France, qui réalise des projets afin de donner une valeur d’usage à l’art. Au cours d’une discussion avec lui, alors qu’il cherchait des lieux à aménager, je lui ai longuement parlé de l’idée de la maison d’arrêt. Cela l’a particulièrement intéressé. Il est entré en contact avec l’administration pénitentiaire. C’est ainsi que le projet s’est mis en place.

 

Comment les détenus – dont certains ont été associés à l’installation des œuvres – et les familles ont-ils réagi face à cette initiative?

La réaction a été très positive : elle démontre que les familles ont de la considération vis-à-vis de ce qu’elles perçoivent, et ressentent aussi la considération que l’on a pour elles. Les œuvres sont disposées dès l’entrée de leur trajet pour accéder aux parloirs de visite avec les détenus. Elles permettent une approche plus facile du milieu carcéral. C’est apaisant, surtout pour les enfants, car cela détourne leur attention du quotidien lourd qu’ils sont amenés à vivre. On observe d’ailleurs un retour très positif de leur part dans les espaces aménagés pour les pères, car cela permet à ces derniers d’amorcer le dialogue autour des œuvres exposées. Ainsi, les personnages des Deux Nigauds qu’Hervé di Rosa a reproduits sur les murs dans différentes scènes et dans différents paysages nourrissent beaucoup les conversations.

 

En votre qualité d’avocat – amenée à vous rendre dans les maisons d’arrêt – comment percevez-vous un tel projet ?

Du point de vue humain, c’est un projet très réussi, conçu comme un musée, très bien éclairé, très bien installé, très abouti au plan de la scénographie, et servi par des œuvres de qualité. Mais c’est un projet que je conçois comme ayant une valeur d’utilité. C’est sa fonction première. C’est la volonté de la Fondation de France : faire usage des œuvres comme outils de mieux-être et d’humanisation dans le cas présent.

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