Les choix d’Aaron Cezar
En tant que directeur de la Delfina Foundation (Londres), mon expérience de la Biennale de Venise est souvent influencée par les problématiques que nous explorons dans le cadre de notre travail institutionnel, mais aussi par le travail de nos anciens artistes en résidence. Quatorze d’entre eux ont participé à la Biennale de Venise, dont Hassan Khan qui a remporté le Lion d’argent 2017 du jeune artiste prometteur pour sa pièce “Composition for a Public Park”, exposée à l’Arsenal.
Ma sélection fait la part belle à des expositions et à des pavillons situés en dehors des Giardini et de l’Arsenal, afin de leur donner un peu de visibilité. Certaines expositions, accueillent des artistes avec lesquels la Delfina Foundation a travaillé par le passé. J’admets volontiers un certain favoritisme à leur égard !
Le Pavillon irakien présente “Archaïc”, une exposition qui explore le rapport qui s’établit entre l’héritage antique de ce pays, d’une part, et d’autre part sa politique et sa société actuelles. En plus des œuvres contemporaines, on y verra donc des objets datant de l’Antiquité. Présentés à part dans des vitrines thématiques, les œuvres d’artistes irakiens contemporains sont classées en catégories aussi diverses que l’eau, la terre, la chasse, l’écriture, la musique, le conflit et l’exode. Par ailleurs, Francis Alÿs a réalisé pour l’exposition une œuvre de commande qui, reflétant son expérience sur la ligne de front de Mossoul, interroge le rôle de l’artiste en temps de guerre.
Ahmet Öğüt, elle aussi ancienne artiste en résidence de la Delfina Foundation, a conçu pour le Pavillon du NSK une installation qui traite de questions liées à l’Etat, à la citoyenneté, à la migration et aux frontières nationales. Fondé en 1992 par le collectif d’artistes Neue Slowenische Kunst, “NSK State in Time” est une formation utopique, sans territoire physique ni identification à un Etat-nation existant. Pour accéder au pavillon, les visiteurs doivent emprunter une rampe raide afin de découvrir le matériel de l’exposition : vidéos, réponses des contributeurs à une liste de questions, dessins réalisés par les délégués NSK, tout cela établissant un parallèle entre pénibilité physique et politique actuelle. Après avoir grimpé la pente, on arrive à une installation bureaucratique où des passeports de l’Etat NSK sont délivrés à quiconque souhaite faire partie de cette communauté utopique.
Dans le Pavillon de la Diaspora, Hew Locke – encore une ancienne de la Delfina – présente une œuvre de commande intitulée “On the Tethys Sea”, un ensemble de voiliers miniatures, décorés de talismans, de chutes de laiton, de pièces de métal, de tissus et de fleurs artificielles, sans équipage ni passagers visibles. Ces vaisseaux fantômes, suspendus dans les airs et chargés de références mythologiques, permettent au visiteur d’évoluer entre eux et reflètent la crise migratoire en cours aussi bien que la diaspora historique.
Shezad Dawood, ancien artiste en résidence de la Delfina Foundation, a dévoilé deux épisodes de sa nouvelle œuvre “Leviathan”, vision apocalyptique de la migration, des activités humaines et de la préservation des océans. L’œuvre complète consistera en un groupe de dix films mêlant des extraits de films documentaires à diverses nouvelles sources. Les autres films de “Leviathan” seront présentés un peu partout dans le monde d’ici à 2020.
En guise de contribution à la Biennale de Venise, le musée des Beaux-Arts de Taipei présente l’exposition de Tehching Hsieh intitulée “Doing Time”. Parmi les nombreux documents, vidéos, photographies et objets liés à ses remarquables performances sur la durée, “One Year Performance 1981-1982” mérite une attention toute particulière. Pendant toute une année, Hsieh a vécu en extérieur, sans abri, complétement seul et vulnérable avec son appareil photo, sa lampe torche, sa radio et du linge de rechange. Eprouvant ainsi ses limites à une époque où lui-même était un sans-papiers, il fait entendre dans cette œuvre exceptionnelle une réflexion sur la vie, l’art, l’existence humaine et les diverses manières dont on peut contrôler le temps et la nature.
L’exposition solo de James Richards, contribution du Pays de Galles à la Biennale de Venise, est un très bel exemple d’art in situ. A Santa Maria Ausiliatrice, il présente “Migratory Motor Complex”, une installation de commande électro-acoustique à six pistes qui occupe l’espace principal de cette église-couvent. Cette œuvre sonore multisensorielle se déplace autour du public pour créer un collage entremêlant enregistrements de terrain, extraits vocaux ou musicaux et sons électroniques. L’exposition se prolonge avec un livre, des vidéos muettes, des images et une alléchante vidéo (réalisée avec Steve Reinke), “What Weakens The Flesh Is The Flesh Itself”.
Enfin, Thomas Demand, lui aussi ancien artiste en résidence à la Delfina, participe à l’exposition phénoménale “The Boat is Leaking, The Captain Lied” présentée à la Fondation Prada. Une série de photographies figurant des scènes reconstituées dialogue avec des œuvres d’Alexander Kluge ou la pratique scénographique d’Anna Viebrock. La combinaison des œuvres et du design de l’exposition crée une expérience visuelle et spatiale inoubliable.
À VOIR :
Biennale de Venise, du 13 mai au 26 novembre.
Delfina Foundation, 29-31 Catherine Pl, Victoria, Londres SW1E 6DY, UK