Takashi Murakami fusionne les mondes physique et NFT à Gagosian Le Bourget Paris
La sensibilité unique de Takashi à réconcilier l'espace physique et numérique réside dans sa compréhension de la nature hybride d'une nouvelle génération de créateurs
“Je n'ai pas peur de l'AI. Les humains se tourneront vers de nouvelles formes de création." —Takashi Murakami
Dans son effort continu pour apprendre et appliquer de nouvelles technologies dans ses processus créatifs, Takashi Murakami organise une exposition ambitieuse à Gagosian Le Bourget près de Paris. Understanding the New Cognitive Domain (Comprendre le nouveau domaine cognitif) invite le public à explorer à la fois le domaine de la peinture pop et traditionnelle avec l'esthétique du millénaire. Pour encourager le public à venir en personne au vernissage de son exposition à 10 kilomètres du centre de Paris, Takashi offrira aux visiteurs un cadeau gratuit, une de ses œuvres NFT, un jeton numérique disponible uniquement lorsque vous vous présentez IRL.
La sensibilité unique de Takashi à réconcilier l'espace physique et numérique réside dans sa compréhension de la nature hybride d'une nouvelle génération de créateurs.
Pendant la pandémie, il a développé une fascination pour le Métavers en l'intégrant dans sa pratique mariant son côté ludique et le sérieux de son savoir-faire. Depuis il continue d’explorer les NFT avec des séries digitales sur Opensea. En 2021, il commence une collaboration avec le collectif de design parisien RTFKT. Ensemble, ils ont créé une série de digital collectibles inspirés des phénomènes du jeu vidéo, du streetwear et de la culture Pokémon. Deux personnages issus de leurs avatars futuristes du projet NFT Clone X ont été rendus en 3D et seront présentés à Gagosian au Bourget. C'est pendant la pandémie que le cofondateur de RTFKT, Benoit Pagatto, a contacté Takashi via un simple DM : « Cela a commencé par un véritable message de fan sur Instagram. Nous avons simplement voulu exprimer notre rêve de travailler avec lui et il nous a répondu.” Depuis, Takashi a développé plusieurs projets collaboratifs sur la blockchain.
L'Officiel s'est entretenu avec Takashi lors d'un appel zoom pour décortiquer ses intentions de fusionner ces deux mondes.
Coco Dolle pour L'Officiel : Dans votre exposition, vous réunissez l'iconographie picturale de la culture Kabuki traditionnelle mélangée à l'esthétique pixélisée de la technologie informatique et à une culture NFT plus récente. Quelle est votre intention en présentant toutes ces esthétiques ensemble ?
Takashi Murakami : Pour être tout à fait honnête, l’idée de cette exposition a commencé parce que je créais des peintures à grande échelle pendant la pandémie et que je voulais vraiment exposer l'une d'entre elles d'où l'idée de présenter au public dans un grand espace. Le Bourget Gagosian est un espace immense et j'ai pensé proposer à une échelle encore plus grande. L'automne dernier, mon œuvre est devenue un immense rideau de scène pour un théâtre Kabuki appelé Danjuro XIII. Lors de la cérémonie d'ouverture, mon rideau a été présenté. J'ai été ému en le voyant se dérouler, je voulais vraiment en faire une peinture alors j'ai créé une peinture à l'échelle similaire. Mais je pensais que montrer cette pièce seule serait très stéréotypé des motifs japonais, Kabuki, Mont Fuji et Geishas, alors j'ai voulu combler le vide avec mon travail de fond puisque dans ma carrière je me suis concentré sur la culture japonaise d'après-guerre. Ensuite, j'ai voulu faire une exposition qui englobe ma vision entre le milieu de la pandémie et l'après-pandémie. C'est la raison pour laquelle il y a tant d'éléments différents dans cette exposition.
L’O : Le titre de votre exposition Understanding the New Cognitive Domain soulève une référence théorique plutôt que du pop art cette fois. Dans l'exposition, vous présentez également une série de portraits de penseurs de la théorie économique. Parlez-nous de la façon dont vous reliez les idées de savoir, de génie créatif et de dynamique économique dans nos cultures. Comment attendez-vous que le public réagisse?
TM : Pour commencer, j'ai étudié la peinture et l'art traditionnel à l'université. J'ai ouvert les yeux sur l'art contemporain pour la première fois en découvrant des artistes minimalistes. Cela a élargi les horizons de mon domaine cognitif. J'ai été tellement émue et surprise quand j'ai compris ces œuvres que j'ai commencé à travailler sur l'art contemporain. Pendant la pandémie, j'ai passé beaucoup de temps avec mes enfants dans le monde de Metaverse à travers le jeu vidéo. Je les ai vus effectuer des transactions économiques en ligne et j'ai observé à quel point cela leur venait vraiment naturellement. De mon expérience, pour poursuivre le phénomène des NFT vous devez être capable d'utiliser la crypto-monnaie. Quand j'essayais de comprendre l'art NFT, j’ai vu beaucoup de gens créer avec une esthétique informatisée. J'ai passé six mois à étudier l’essence des NFTs et la conclusion à laquelle j'en suis venu et de comprendre la crypto-monnaie mais aussi de comprendre la communauté NFT. Je pense que lorsque vous essayez de creuser profondément dans votre propre cognition pour comprendre le monde, vous arrivez à une découverte et c'est pour moi la joie de comprendre l'art contemporain. Par exemple dans mon exposition, que ce soit la peinture Kabuki à grande échelle, la peinture dot art, le chat porte-bonheur ou la peinture dans le style des jeux vidéo des années 70, vous voyez des peintures acryliques sur toile, mais quand vous creusez dans la cognition de ce qui se passe, vous comprenez soudainement l'essence de la culture dans laquelle je vis et élargissez votre vision, c'est ce que je propose de partager avec le public.
L'O : Le public qui assistera à votre vernissage recevra en exclusivité un cadeau NFT. Quel est le message de ce geste et est-ce que cela garantit à votre public un accès privilégié à votre univers, une sorte de club Murakami ? Ou est-ce un POA (proof of attendance), une preuve de présence?
TM : C'était il y a pas mal de temps et dans ma carrière, j'ai fait beaucoup de projets, l'un d'eux s'appelait Shokugan, basé sur le concept d'un aliment jouet qui accompagne un happy meal ou une boîte de céréales. À l'époque où le coût du travail était très faible en Chine, au Japon là était une culture plus florissante où lorsque vous achetez une boîte de chewing-gum, une figurine est livrée avec. Suite à cela, j'ai recréé toutes mes sculptures en détail en miniature. Attachés à une boîte de chewing-gum, elles étaient offertes gratuitement lors de l'achat d'une boîte pour 300 yens. La plupart des gens savaient que c'était mon travail lors de l'achat de la boîte, mais certaines personnes ne le savaient pas. D'où la question, était-ce de l'art ? La plupart des gens pensent que l'art est quelque chose que l'on voit dans un musée et qu'il faut beaucoup d'argent pour acquérir une œuvre d’artiste mais qu'est-ce que cela signifie quand elle vous est donnée gratuitement? J'ai trouvé cette idée très similaire dans la façon dont les NFT sont offerts en cadeau. Comme vous le dites, cela pourrait être un POA, un cadeau sous forme de jeton digital pour que les gens entrent dans mon monde et pour qu’il se sente plus proche de mon travail en général. Ou peut-être sont-ils intéressés de collectionner, comme pour les baskets, et revendre le NFT pour faire un peu d'argent. Peu importe ce que c'est, il est vraiment important pour moi que les gens puissent vivre mon monde et voir dans mes œuvres non seulement à travers mes peintures et sculptures, mais surtout par d'autres formes, pour que le public vive une expérience. Le lieu du Bourget est également assez éloigné du centre de Paris. Alors à tous ceux qui font l'effort de venir, j’aimerai leur offrir un cadeau. Et sur le chemin du retour, ils les ouvriront peut-être sur Opensea et examinerons peut-être d'autres aspects NFT de mon travail. En cela, le cadeau NFT participe à l'approfondissement de la connaissance de mon travail. C’est un approfondissement d'une compréhension avancée de mon travail.
L'O: Les marchés de l’art traditionnel et de la blockchain sont encore des environnements très différents avec des acteurs différents. Marier les deux ensemble est un défi. Comment voyez-vous les communautés de l’art contemporain et des NFT progresser ensemble ?
TM : Dans mes collaborations avec Virgil Abloh et Kanye West, par coïncidence, j'ai développé une connexion au streetwear. Récemment, j'ai vu de jeunes collectifs de mode faire d'intéressants t-shirts et expériences. En regardant cette nouvelle culture, vous pourrez les voir comme très diverses et des communautés séparées. Les personnes intéressées par l'art NFT dans le monde de la cryptographie pourraient en effet ne pas être si familières avec l'école et la scène de l’art traditionnel. Mais pour moi, c'est plus simple de combiner la communauté NFT avec la mode streetwear et l'art de la rue. Je crois que l'un des objectifs et les rôles de l'art NFT est de développer les dimensions cognitives, en particulier nos notions de valeur économique. Je pense que c'est destiné à approfondir notre compréhension. Comme un processus créatif, je pense que les NFTs représentent un énorme potentiel.
L'O: Que pensez-vous de l'artificiel intelligence, AI, et de sa capacité d'être formé en tant qu'artiste? L' AI peut-elle remplacer un artiste ? Avez-vous peur que cette technologie prenne le dessus sur l’humain, comme beaucoup de gens le craignent, ou le voyez comme un outil positif pour des nouveaux génies créatifs?
TM : Je n'ai pas peur de l'AI. Adobe a l'AI sur Photoshop donc pour moi c'est simplement un outil de travail. Récemment, j'ai acquis de nombreux programmes différents que j'ai beaucoup expérimenté. J'ai aussi des conseillers avec qui je discute sur le processus de création et de génération d'images AI. J'utilise l'AI comme un outil pour créer de nouvelles choses. Lorsque vous pensez à l'AI dans son ensemble, elle se rapproche bien sûr des comportements humains. Je crois que lorsque l'AI se rapprochera de ce que les humains peuvent créer et prendre le relais, alors les humains commenceront à se tourner vers quelque chose de nouveau par rapport à ce que nous faisions auparavant et se tourneront vers de nouvelles formes de création.” Je crois qu' il y aura un développement et une ère nouvelle pour les humains. Je n'ai pas peur de l'AI. Parce que les artistes ont toujours été marginaux de la société, les artistes sont des personnes qui ne fonctionnent pas très bien dans la société. Les outils de l’intelligence artificielle m'ont déjà aidé et je leur en suis reconnaissant, en particulier pour créer mes animations. Quand il y a des milliers d'images qui doivent être créées pour faire de l'animation, l'AI est un outil aujourd’hui incontournable.
Vernissage de l’exposition Samedi 10 Juin, de 14 h à 18 h
Understanding the New Cognitive Domain à Gagosian Le Bourget