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Cécilia Commo : "L'épopée amoureuse est une aventure sans date de péremption"

Psychanalyste, sexologue et thérapeute de couple, Cécilia Commo décrypte avec acuité les contradictions et les mille facettes du couple contemporain. A l'occasion de la sortie de son livre Le couple parfait n'existe pas, cette experte de la vie à deux répond aux questions de l'Officiel.

Dans votre livre, vous évoquez le mythe du Prince charmant qui conditionne les comportements amoureux de beaucoup de femmes, ce qui rejoint l'actualité du documentaire Netflix sur l'Escroc de Tinder. Pensez-vous qu'un plus grand épanouissement amoureux passerait par une éducation plus réaliste quant au couple et à l'amour?

La question de l’éducation au couple et à l’amour taraude tout le monde, mais se heurte à un incontournable: nous rêvons beaucoup et depuis longtemps de celui ou celle qui va nous transformer en prince ou en princesse charmant(e). L’illusion et l’espoir sont des ingrédients essentiels à l’amour et au couple, au moins dans ses débuts. Nous nous voulons uniques dans les yeux de l’autre. Nous désirons sentir sa préférence pour nous, et personne d’autre. Pour peu qu’il soit charmant, j’ai presque envie de dire « le tour est joué » ! Aucune éducation ne peut dégripper ce scénario qui tourne dans nos têtes et nous fait tomber amoureux. Ceci dit, comprendre qu’un autre que moi va forcément se révéler faillible (parce qu’humain) et nécessairement différent (parce qu’il n’est pas que le reflet de mes désirs) serait un plus pour beaucoup de couples en devenir ou déjà constitués. 

Vous abordez également la révolution des sites de rencontre. Est-ce que l'élargissement de l'offre n'a pas banalisé la magie des débuts amoureux en entrainant les hommes et les femmes à se lasser et zapper en permanence d'un partenaire à l'autre?

L’élargissement de l’offre des prétendants et prétendantes grâce aux sites de rencontres a inévitablement joué un rôle dans la recherche de l’homme ou de la femme idéale. D’abord parce que c’est le modèle algorithmique des sites et des applis. Il s’agit de définir la personne qui « sur le papier » nous convient le mieux : on élimine d’emblée tout ce qui ne colle pas (alors même que c’est cette improbabilité qui inspire les artistes pour raconter l’amour ). Au vu du nombre de prétendant(e)s potentiels, il est très tentant d’écarter sans scrupule ceux ou celles qui présentent un défaut et de se mettre à zapper; chacun sait qu’il ne sera pas en manque d’autres possibilités.  Ça, c’est pour ceux qui ont plus ou moins de succès avec leur profil en ligne. Pour les autres, ils se retrouvent à attendre d’être choisis comme un produit sur les rayons d’un supermarché, ce qui est loin d’être sans conséquence sur leur estime de soi… 

Vous évoquez le danger pour le désir que peut représenter la familiarité dans le couple. Quels conseils donneriez-vous pour ne pas tomber dans cet écueil malgré les années et la complicité qui font parfois aussi de votre conjoint(e) votre meilleur ami(e)?

Le couple est un assemblage bien particulier incorporant une dimension unique que ne possèdent pas nos autres relations interindividuelles : la sexualité. Et c’est peut-être ce qui le rend aussi fragile. Cette singulière dimension transforme les contours de la relation de couple. Elle est exigeante. Bien plus que ne peut l’être une relation amicale. En outre, elle impose la présence d’un ingrédient majeur : l’imaginaire érotique. L’autre doit continuer à alimenter cet imaginaire, notre regard sur lui doit contenir cette « envie » de lui. Il se trouve que la familiarité ne fait pas très bon ménage avec l’imaginaire érotique. Comme je l’évoque dans mon livre, la familiarité a à voir avec la notion de « famille ». C’est une relation à l’autre qui s’arrange pour effacer toute distance, tout espace d’inconfort dans ce que peut représenter quelqu’un de différent de moi. C’est une relation de proximité, de ressemblance qui apaise. Cette relation ne permet plus à l’imaginaire érotique de s’infiltrer. Il est bien plus difficile d’érotiser quelqu’un de familier que quelqu’un qui préserve une certaine distance. Nous sommes par nature des êtres curieux, des découvreurs insatiables ; c’est ce qui nous a poussés à explorer les contrées les plus reculées de la planète. Si j’épuise cette curiosité dans ma relation amoureuse, car nous voici devenus les « meilleurs amis du monde » et que nous n’avons plus aucun voile sur nos pensées intimes, nous risquons de ne plus être stimulés par l’exploration infinie de cet autre qui nous intrigue, car il est différent de nous.

Comme vous l'évoquez dans votre ouvrage, l'arrivée d'un enfant bouleverse profondément le couple et son fonctionnement, notamment sur le plan du désir et de la sensualité. Comment traverser cette transition en restant des amants avant d'être des parents ?

Cela peut sembler surprenant, mais je pense que cela passe par une introspection sur la valeur que l’on donne à sa relation amoureuse et ensuite, par un rappel régulier de ce que cette introspection a révélé. Je m’explique : il est intéressant de réfléchir à ce que le couple représente pour nous. Est-il l’annonciateur d’une famille ou existe-t-il par lui-même ? Le couple constitue-t-il un moyen ou une fin dans notre projet de vie ? Ces questions détermineront la place que l’on va accorder à son couple quand d’autres facteurs vont venir le challenger (les enfants mais aussi la vie professionnelle). Si le couple est un moyen pour construire une famille, il se peut qu’il finisse en bas de la to-do list organisationnelle de la famille. Les enfants sont naturellement chronophages et la place que nos sociétés modernes leur donnent rend encore plus compliqué le temps disponible du couple. C’est particulièrement vrai chez les femmes qui s’investissent énormément dans la cellule parentale.

Si le couple est une fin en soi, et que les enfants viennent compléter ce tableau, il y a fort à parier qu’un temps nécessaire au couple sera dégagé et rendu disponible. C’est en tout cas ce que j’entends chez les couples qui valorisent très fortement leur relation amoureuse. Évidemment, pour que cela fonctionne, il faut que les deux membres du couple soient à l’unisson sur cette conception.

Vous analysez en détail les différents modes de disputes. Quels sont les "red flags" qui doivent alerter au cours d'une dispute de couple, et faire prendre conscience du fait que certaines limites ont été dépassées ?

Le premier, il me semble, est celui qui consiste à s’autoriser l’absence de respect. C’est souvent une brèche qui apparait après que soit passée la phase « lune de miel » des couples.  J’insiste sur la notion de s’autoriser, car c’est celle qui marque l’effondrement d’une digue. Une digue invisible qui jusque-là, pour éviter de déplaire à l’autre, faisait obstacle aux débordements préjudiciables à la relation amoureuse.

J’en veux pour preuve que sur de nombreux signes irrespectueux évoqués dans les consultations, je demande souvent si la personne qui s’est autorisée à mépriser (en soufflant, en haussant les sourcils, etc…), à insulter, à ignorer son ou sa conjoint(e) s’est déjà autorisée la même attitude avec son Big Boss, par exemple, lorsqu’elle était en désaccord, vexée, blasée, énervée ou désabusée par ce dernier ? La réponse est systématiquement : NON ! Quiconque craignant de perdre son travail se retient de manifester d’une façon irrespectueuse son ressenti. Les seuls pouvant se l’autoriser sont les individus impulsifs qui n’ont que faire (sur l’instant) des conséquences ou ceux qui ne tiennent pas à rester dans cette entreprise.

Il est donc plus que surprenant d’entendre sans cesse au sein du couple, qu’on tient à la personne avec qui on est mais que paradoxalement on s’autorise des comportements qui vont la blesser et potentiellement l’amener à se méfier de nous ou même, un jour, à nous quitter. S’autoriser à traiter son conjoint ou sa conjointe plus mal que son boss ou même que ses amis est pour moi THE « red flag », le Rubicon à ne jamais franchir. 

À titre personnel, le fait de voir des couples en crise à longueur de journée et des problématiques récurrentes n'a-t-il pas entaché votre vision de l'amour ?  Comment continue-t-on de croire au couple quand on voit des couples en crise au quotidien ? 

C’est peut-être l’inverse qui s’est produit en fait. Je crois toujours en l’amour parce les couples que je reçois me raconte encore et toujours des histoires amoureuses. J’aurais pu écrire des dizaines de romans juste avec leurs récits. Ce sont des histoires fortes, parfois romanesques, parfois turbulentes. Parfois sublimes, parfois ordinaires. Il m’arrive d’être bouche bée devant l’improbabilité d’une telle histoire, ou d’être très émue par la puissance de leurs sentiments. Parfois rien ne les prédestinait à former un couple ; certains étaient déjà engagés dans un autre couple, d’autres ne s’étaient pas vraiment regardés ; quand d’autres encore se trouvaient respectivement à chaque bout opposé du continuum amoureux. Que certains de ces couples ne se relèvent pas des obstacles rencontrés au cours de leur chemin conjugal ne change rien à la vision que j’ai de l’amour. Je me dis qu’une autre histoire les attend certainement. Une histoire que je ne connaitrai sûrement pas, mais qui me donnera raison : l’aventure amoureuse est une aventure de vie qui n’a pas de date de péremption. Je n’ai d’ailleurs jamais pensé que la longévité d’un couple signifiait de facto la qualité substantielle à son épanouissement. 

L’important pour moi n’est pas « Combien de temps avez-vous vécu ensemble ? », mais « Comment avez-vous vécu ensemble ? ». Tant que les êtres humains seront capables de vivre des histoires sentimentales qui les transportent, les apaisent ou les animent, ma vision de l’amour restera lumineuse. Qu’ils le vivent avec une seule personne, ou plusieurs, dans leur vie.

Le Couple parfait n'existe pas, éloge de l'imperfection amoureuse

par Cécilia Commo aux Editions Flammarion

https://www.instagram.com/ceciliacommo

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