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On a rencontré Eva Jospin, l’artiste qui a imaginé le décor du défilé Dior haute couture

C’est au cœur d’un écrin entièrement brodé que Maria Grazia Chiuri présentait son défilé Dior haute couture automne-hiver 2021-2022 ce lundi 5 juillet 2021. Un décor à couper le souffle baptisé Chambre de soie, dont nous parle Eva Jospin, l’artiste française à son origine, en marge du show. Rencontre.
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Nonante-cinq mètres de long par trois mètre cinquante de haut : ce sont les mensurations spectaculaires du décor ayant servi au défilé Dior haute couture automne-hiver 2021-2022. Un décor entièrement brodé à la main, véritable œuvre d’art intitulée Chambre de soie et imaginée par l’artiste française Eva Jospin. Double référence à la Salle aux Broderies du palais Colonna, à Rome, et au manifeste féministe de Virginia Woolf A Room of One’s Own, cette œuvre a été créée à l’aide du savoir-faire exceptionnel de la Chanakya School Of Craft à Mumbai, un institut à but non lucratif qui préserve les meilleurs métiers du monde, en mettant notamment l’accent sur l’innovation, la préservation, et l’autonomisation des femmes. Pour la confection de cette galerie comptant 350 m2 de broderie, les artisans des ateliers Chanakya et de la Chanakya School of Craft ont créé, en dialogue permanent avec l’artiste, une composition virtuose de 400 nuances différentes. "Le dessin d’Eva Jospin revisite son propre vocabulaire, où se déploient des nymphées et des cénotaphes, des paysages et monuments utopiques, inspirés des Capriccios du 18e siècle. Forêts, lianes, rochers, cascades constituent un lieu propice à la rêverie et à la déambulation, à la manière des folies des jardins baroques. Une architecture textile aux proportions grandioses, inspirée par la beauté des œuvres des nabis, de Vuillard ou encore de Bonnard, et exaltant la puissance du travail collectif cher à Maria Grazia Chiuri", souligne la maison Dior.

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© Prarthna Singh / Chanakya / Chanakya School of craft
© Prarthna Singh / Chanakya / Chanakya School of craft
© Prarthna Singh / Chanakya / Chanakya School of craft
© Prarthna Singh / Chanakya / Chanakya School of craft
© Prarthna Singh / Chanakya / Chanakya School of craft
© Prarthna Singh / Chanakya / Chanakya School of craft
© Prarthna Singh / Chanakya / Chanakya School of craft
© Prarthna Singh / Chanakya / Chanakya School of craft

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la marque collabore avec Chanakya. L’an dernier déjà, à l’occasion du défilé haute couture printemps-été 2020, l’artiste Judy Chicago, qui a imaginé des étendards aux messages féministes pour le show, faisait appel à 150 étudiants de l'école d'artisanat Chanakya School of Craft de Mumbai. Un partenariat reconduit cette année sous l’impulsion de Maria Grazia Chiuri, permettant à Eva Jospin d’explorer la broderie, alors même que sa matière fétiche est le carton. En marge du show, l’artiste-plasticienne s’est d’ailleurs livrée sur ce défi de taille.

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© Sophie Carre / Chanakya / Chanakya School of craft

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis artiste, je fais surtout de la sculpture, mais aussi du dessin. Pour le défilé Dior, j’ai dessiné et colorisé un immense carton qui a servi pour cette broderie que vous voyez sur les murs. C’est une promenade qui sera visible aujourd’hui pour les invités du défilé, et au Musée Rodin ensuite pour le public jusqu’au 11 juillet.

 

Étant donné que le carton est votre matériau de prédilection, comment avez-vous apprivoisé la broderie ?

C’était très intéressant de travailler avec la broderie, d’abord parce que j’en avais envie depuis très longtemps, et c’est un projet qui me trotte dans la tête depuis 2016 avec ma découverte du Palais Colonna à Rome, et de la salle des broderies indienne, qui est une merveille absolue. C’est une pièce entièrement brodée à la main, avec une broderie XVIIIe, et j’ai eu envie de transcrire mes dessins en fils, et donc en fils aussi colorés. C’était aussi une façon de travailler avec des artisans. J’ai tendance à mettre la main partout et à fignoler le moindre détail, mais j’avais envie aussi de m’appuyer sur des savoir-faire. Je suis une grande fan de l’artisanat en général et de la main, et de tout ce qui sont les prouesses de la main. La broderie m’intéressait particulièrement parce qu’il y a un repentir possible. Vous pouvez toujours transformer, défaire, et c’est très proche de la peinture. On pose un fil comme on pose une touche de couleur.

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© Sophie Carre / Chanakya / Chanakya School of craft
© Sophie Carre / Chanakya / Chanakya School of craft
© Sophie Carre / Chanakya / Chanakya School of craft
© Sophie Carre / Chanakya / Chanakya School of craft
© Sophie Carre / Chanakya / Chanakya School of craft

Qui vous a accompagné dans ce projet ?

Ca a été un dialogue merveilleux, tout d’abord avec Stéphanie Ovide, restauratrice de textile, qui m’a accompagnée sur ce projet, qui était en même temps que moi à la Villa Medici quand j’ai découvert le Palais Colonna et que je l’ai emmenée ensuite dans les premiers prototypes de ce projet, et ensuite avec les ateliers Chanakya, qui ont entièrement réalisé la broderie, et qui ont fait un travail absolument spectaculaire, et dans lequel on se perd. Je pense que le point commun entre mon travail, ce que je peux faire moi-même et ce projet collaboratif, c’est qu’on se perd dans les détails. On est pris dans l’immensité du décor, et puis quand on s’approche, chaque point, chaque fil est brodé, c’est une folie de perte de repères et de changement d’échelle. Et j’espère qu’il y aura plein de gens pour le voir après et qui eux aussi auront envie de se perdre dans tous ces détails.

 

Comment s’est passé la collaboration avec Maria Grazia Chiuri ?

Ca a été vraiment merveilleux, d’abord parce que il y a eu, au départ, un hasard incroyable. Elle était une immense fan de la salle des broderies indiennes du Palais Colonna, que beaucoup de monde connaît, donc quand nous nous sommes rencontrées, parce qu’elle aimait mon travail, dans notre échange, elle a parlé du Palais Colonna. Donc, je lui ai raconté le projet que j’avais, parce qu’elle aussi c’est une grande connaisseuse du travail du textile en général, de la broderie en particulier, de tout cet artisanat. Elle m’a dit que ce serait extraordinaire de faire ce projet pour le défilé. Je pense qu’elle avait deux idées en tête : la première, c’est qu’elle adore collaborer avec des artistes et leur donner carte blanche pour un défilé et leur donner les moyens de réaliser un rêve qu’ils ont depuis longtemps, parce que je pense que c’était aussi le cas avec Judy Chicago. Et la deuxième, c’est de montrer l’incroyable technique de ces brodeurs indiens avec lesquels elle travaille depuis 25 ans et les honorer. Cela fait tout son sens dans un défilé haute couture parce qu’il s’agit d’un travail d’exception, aussi bien sur la collection qu’elle présente, que sur ce qu’on va voir sur les murs. Ce sont des choses totalement hors normes, exceptionnelles et qui font rêver. La couture évidemment ne concerne que très peu d’acheteuses, mais fait rêver dans le monde, et moi aussi.

 

La mode, c’est un terrain de jeu dans lequel vous vous amusez ?

J’adore la mode, mais je ne la suis pas forcément bien. J’ai toujours adoré la mode, comme beaucoup de femmes, on a quand même gardé cette chance de pouvoir jouer avec le vêtement, ce qui est moins le cas des hommes, parce que depuis quelques temps, le costume masculin depuis le XIXe siècle est très codé, ce qui n’était pas le cas avant. Donc ils jouent moins que nous. Nous on joue depuis toujours, donc j’adore ça. Mais c’est vrai que là, sur ce projet, j’avais l’impression d’être une petite souris, d’assister aux fittings du défilé, de voir Maria Grazia en train de développer son univers, et la qualité de son travail. Donc c’était merveilleux aussi d’assister, comme une spectatrice d’un monde qui n’est pas mon univers et qui m’a fasciné. Et j’en suis très reconnaissante à Maria Grazia.

 

De passage à Paris ? La Chambre de soie d’Eva Jospin, décor du défilé Dior haute couture automne-hiver 2021-2022 est à découvrir au Musée Rodin jusqu’au 11 juillet 2021.

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Dior Autumn-Winter 2021-2022 Haute Couture show set

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