Acne Studios, printemps-été 2019 Menswear
Charles Jeffrey
Le designer originaire de Glasgow Charles Jeffrey Loverboy, dont les défilés totalement fous s’inscrivent dans le calendrier de la mode masculine, poursuit son ascension fulgurante avec Les Innovateurs, qui marque le lancement de la première capsule du designer consacrée aux femmes. Une mode fluide destinée à des femmes réelles, inspirée par Patti Smith, Annie Lennox et Vivienne Westwood. On aime ses sweat-shirts à logo rétréci, ses tricots déchiquetés et ses jupes crayons structurées.
Shop
This is a modal window.
Gilbert est né dans les Dolomites (1943), George dans le Devon (1942), des lieux dont on peut imaginer qu’ils étaient, alors, peu propices à l’éclosion des singularités — rappelons, par exemple, que l’homosexualité n’est dépénalisée qu’en 1967 en Grande-Bretagne et en 1982 en France ! Dès lors, qu’est-ce que vos terreaux familiaux ont apporté à votre vision personnelle et comment diriez-vous que vos identités se sont construites ?
GE : Nous avons toujours pensé qu’une grande main invisible nous guidait et que nous n’étions pas responsables de nos tableaux. Si on regarde de plus près, on se rend compte que la main invisible en question, ce sont vos origines sociales, vos parents, le cinéma, vos amis, etc.
GI : Les mères sont très importantes. La mère de George voulait en faire quelqu’un d’exceptionnel.
George, vous évoquez comme un moment révélateur les lettres de Vincent Van Gogh, qu’adolescent vous avez lues et qui vous ont convaincu que l’absence de formation académique et le milieu social n’étaient pas un frein à l’expression pleine et entière d’une sensibilité artistique ; quels étaient les ferments de cette inclination pour l’art ?
GE : Je crois que j’ai été très chanceux. J’ai quitté l’école à quinze ans pour travailler dans un magasin, car je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie. En guise de formation artistique, j’ai commencé à suivre des cours du soir gratuits, surtout fréquentés par des femmes d’âge mûr. L’enseignant m’a demandé pourquoi je ne faisais pas plutôt des études d’art, et je lui ai répondu que je ne saurais même pas comment m’y prendre. Personne n’était jamais allé à l’université dans ma famille. J’ai demandé à m’inscrire dans une école d’art, une vraie, mais les prix étaient très élevés ; mon professeur a fini par demander au fondateur de l’école s’il accepterait de me dispenser des frais d’inscription. Voilà comment je suis devenu étudiant en art. Là, mon professeur m’a dit qu’il ne faisait aucun doute que je deviendrais un artiste. Chaque fois qu’il passait à proximité de mon pupitre, il me disait que mon travail était vraiment extraordinaire. Un jour, il ne s’est pas exprimé, et je me suis senti très nerveux – mais il est repassé peu après pour me dire qu’il avait omis de me complimenter ! Tout cela m’a donné une grande confiance en moi. Le créateur de l’école était un ami de Henry Moore, qui avait réalisé un “nu” allongé pour le jardin de la fondation dans les années 1930 ; bien plus tard, vers 1959, il est venu dans mon école. Mon professeur lui a fait visiter les locaux, puis il m’a rapporté que Henry Moore s’était arrêté devant mon travail en disant “Très intéressant !” Les autres élèves étaient verts de jalousie. Cet épisode m’a également donné confiance dans ce que je pouvais accomplir. D’un mal finit toujours par sortir un bien...
Dès vos premiers travaux, vous instaurez un canon très singulier au regard de l’époque : les deux individus que vous êtes ne forment plus qu’une seule entité à la fois créatrice et sujet des œuvres : qu’est-ce qui vous a mené à cet invariable tropisme ?
GI : Notre pratique ne rentrait dans aucun moule. Quand il s’agit de se battre contre le monde entier, mieux vaut le faire à deux...
GE : Nous étions sans le sou, et c’est un point essentiel. Rien de tel que l’adversité pour forger le caractère.
GI : Nous étions extrêmement optimistes. Toutes les galeries de Londres nous ont un jour refusés ; puis Konrad Fischer a été le premier à nous accepter.
Jiu Zhuang