Dakota Johnson : "L'esprit des femmes est incroyablement puissant"
Connue pour sa frange, sa candeur et ses rôles pour des auteurs comme Luca Guadagnino, Dakota Johnson confirme son statut de star du grand écran avec le Madame Web de Marvel, qui se déroule au sein de l’univers de Spider-Man.
Photographie : Quil Lemons
Stylisme : Rebecca Ramsey
Vous pensez connaître Dakota Johnson. Peut-être vous la rappelez-vous dans son rôle d’étudiante de Stanford qui rivalise de charisme (et gagne aisément) avec Justin Timberlake dans The Social Network de David Fincher, ou en Anastasia Steele, humble rat de bibliothèque à la frange épaisse qui découvre le BDSM dans la trilogie Cinquante Nuances de Grey. C’est aussi une actrice majeure du cinéma indépendant, muse du réalisateur Luca Guadagnino pour A Bigger Splash et Suspiria, et inoubliable en mère bouleversée dans l’acclamé The Lost Daughter, l’adaptation par Maggie Gyllenhaal de Poupée volée d’Elena Ferrante. Plus récemment, elle a joué dans Cha Cha Real Smooth, du petit prodige de la Gen Z Cooper Raiff, qu’elle et Ro Donnelly ont produit au sein de leur structure TeaTime Pictures. Et TeaTime n’est pas la seule entreprise dans laquelle s’est lancée Johnson : elle a investi dans une marque de bien-être sexuel à laquelle elle collabore également en tant que codirectrice de la création, Maude, connue pour ses puissants vibromasseurs au design simple, que la marque appelle vibe.
Ou peut-être Johnson est-elle pour vous la reine du sarcasme, avec ses blagues sur le fait de dormir quatorze heures par jour, ses mensonges sur les citrons verts, ou son interview très fraîche avec la présentatrice de talk-show Ellen DeGeneres au sujet d’une invitation à sa fête d’anniversaire, qui a mis le feu à Internet en 2019. Les étoiles du cinéma se font rare dans le Hollywood de l’ère moderne, mais l’enfant de la balle Dakota Johnson (ses parents sont Melanie Griffith et Don Johnson) a l’énergie, le bon goût, la polyvalence, l’honnêteté brutale et l’humour pince-sans-rire d’une icône de l’âge d’or comme Katharine Hepburn.
Marisa Meltzer s’est entretenue par Zoom avec Dakota Johnson, chez elle à Los Angeles, pour discuter de la sortie prochaine de Madame Web, qui, pour ceux qui ne parleraient pas le Marvel couramment, est une histoire originale qui se déroule dans l’univers de Spider-Man. Elle y joue une employée des services d’urgence de New York, Cassandra Webb, qui pourrait bien être extra-lucide, et qui tente de se libérer de son passé. Au générique de ce thriller psychologique : Sydney Sweeney, Mike Epps, Emma Roberts et Adam Scott.
Johnson nous parle de son moment Marvel, de ses superpouvoirs à elle, de l’état de l’éducation sexuelle en Amérique, fulmine contre un secteur du divertissement trop frileux, et nous livre ses réflexions au sujet de la fameuse interview d’Ellen.
Marisa Meltzer : On me dit que vous adorez manger des glaces à l’eau en prenant des bains.
Dakota Johnson : Vous l’avez déjà fait ? C’est fabuleux. Une glace à l’eau et un bain chaud, c’est une expérience sensationnelle.
M.M. : Non, mais maintenant j’ai très envie d’essayer. Parlons de Madame Web. Comment vous êtes-vous retrouvée dans cette aventure ? Vous vous êtes dit : je veux faire partie d’une franchise de super-héros, l’heure est venue ?
D.J. : Je suis ouverte à tout. Je ne rejette pas un genre ou l’autre quand il s’agit de choisir ce que je fais. J’ai entendu dire que c’était en projet, et ce qui m’a intéressée, c’est que le superpouvoir du personnage principal soit son esprit, et qu’il s’agisse d’une femme. Je suis à fond pour ça. Ça a du sens pour moi, et c’est vraiment fort et sexy.
M.M. : Que voulez-vous dire ?
D.J. : Eh bien, je pense que l’esprit des femmes est incroyablement puissant, alors pour moi c’est une super-héroïne à laquelle on peut davantage s’identifier. Il s’agit plus d’un thriller psychologique. C’est vraiment super que Marvel prenne cette direction, parce que parfois c’est génial d’avoir tous ces univers et ces galaxies, de faire des choses non réalistes dans ces endroits non réalistes. On s’évade, c’est très divertissant. Mais avant que Madame Web ne devienne Madame Web, elle est en première ligne en tant que personnel paramédical ; c’est une héroïne du quotidien. Alors j’ai trouvé ça différent. Et je n’avais jamais eu ce type de rôle.
M.M. : Comment décidez-vous de vos rôles ? Y a-t-il des cinéastes avec lesquels vous avez envie de collaborer ? Retravaillerez-vous avec Luca Guadagnino ?
D.J. : Absolument. On a parlé de plusieurs choses. Mais oui, c’est certain, il faut juste que le bon projet se présente.
M.M. : Avec votre compagnie de production TeaTime, vous semblez vous attaquer à des projets très divers. Comment décidez-vous de vos collaborations ou de vos sujets, y a-t-il un fil conducteur ?
D.J. : Nous commençons à en percevoir un. Ce n’est pas comme si on avait un mot d’ordre, mais la constante, pour moi, c’est que tous nos films ou séries mettent à l’honneur des femmes vraiment fortes. Ils sont très complexes. Ils sont très détaillés. Ils sont très nuancés.
M.M. : Êtes-vous obligée de développer vos propres projets si vous voulez voir ce type de personnages à l’écran ? Est-ce parce qu’on n’en voit pas assez ou est-ce parce que vous aimez cet aspect de la production ?
D.J. : Je suis en train de découvrir un côté ultra-sombre de ce métier. C’est extrêmement décourageant. Les créateurs, les artistes savent ce qui va marcher, mais les gens à la tête des plateformes de streaming ne leur font pas confiance, et ça va nous faire imploser. C’est un crève-cœur, vraiment. C’est tellement difficile. C’est si dur d’aboutir à quoi que ce soit. Tout ce que j’ai envie de réaliser est très différent, unique, et assez gonflé dans son genre. On a tourné un film, Daddio, qu’on a vendu à Sony Classics au festival de Telluride, mais on a dû se battre pour y arriver. Les gens sont si trouillards, et je me dis, pourquoi ? Qu’est-ce que vous risquez à avoir un peu de courage ? C’est comme si personne ne savait quoi faire et que tout le monde avait peur. Voilà à quoi ça ressemble. Les gens qui ont un pouvoir de décision ont la trouille. Ils ne veulent pas prendre de risques, et le résultat est vraiment chiant.
M.M. : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
D.J. : Je vais faire un petit film à la fin de l’année [2024] avec TeaTime. C’est sur le deuil. Le scénario est un peu compliqué à raconter, alors je n’essaierai même pas, mais ça parle d’une femme qui gère son deuil d’une façon particulière.
M.M. : Comment s’est déroulée votre grève [SAG-Aftra de juillet à novembre 2023] ? Qu’avez-vous fait ?
D.J. : J’ai eu une crise existentielle.
M.M. : Okay.
D.J. : Je veux dire, je n’ai rien tourné, mais je travaillais sur des histoires de production et pour TeaTime. J’étais un peu partout. Au Japon, à L.A., en Europe.
M.M. : Vous avez dit dormir quatorze heures. J’ai des insomnies terribles, ce serait mon rêve de dormir ne serait-ce que sept heures sans interruption. Vous voulez mettre les choses au clair ? Combien de temps dormez-vous ?
D.J. : J’ai dit que je pourrais facilement dormir quatorze heures. Je n’ai pas dit que je dormais quatorze heures par nuit. J’ai un travail. Je ne vois pas comment je pourrais faire les deux. Alors déjà il y a quelque chose qui cloche. J’adore dormir, mais ce n’est pas ce que j’ai dit. Je crois que je commence à comprendre que le sarcasme, ou les fioritures, passent mal auprès des journalistes, ces temps-ci. J’imagine qu’il faut que je sois plus littérale.
M.M. : Je crois aussi que la plupart des acteurs ne sont pas… eh bien, peut-être qu’ils sont marrants en privé, mais ce ne sont pas vraiment des rigolos ou des gens sarcastiques en général, en tout cas pas durant les interviews. Alors peut-être que vous êtes…
D.J. : Terrifiée de ce qui ne cesse de m’arriver ? Mais eux, ils apprennent, et pas moi. [Rires.]
M.M. : Vous ne pouvez pas vous en empêcher. Votre personnalité transparaît.
D.J. : Je suis théâtrale. Je suis une actrice. J’en sais rien.
M.M. : Vous avez gagné votre place au paradis avec cette interview d’Ellen, quand vous avez parlé de votre anniversaire. Un véritable instant de gloire.
D.J. : Ça me poursuivra toute ma vie.
M.M. : Vous avez œuvré pour la défense des droits concernant la procréation. La situation dans notre pays est devenue bien sombre. Avez-vous de l’espoir ?
D.J. : Je veux dire, nous régressons en matière de droits reproductifs, d’égalité des sexes et de droits des femmes. C’est hallucinant. Je crois que c’est difficile à exprimer parce que quand Roe v. Wade [arrêt de la Cour suprême qui protégeait le droit à l’avortement depuis 1973] a été annulé, tout le monde s’est dit bon, d’accord, c’est complètement dingue et ça va vite être rectifié. Bien sûr qu’on ne va pas se retrouver dans cette situation. Bien sûr que ça ne va pas devenir notre réalité. Mais passent les semaines puis les mois, et de plus en plus de femmes se voient refuser les soins qu’elles nécessitent et qu’elles méritent. Les femmes méritent de pouvoir faire les choix basiques qui sont si ancrés dans le fait d’être un humain sur cette planète. Ça m’est difficile de formuler ce que je ressens et ce que je pense en ce moment parce que ça me flingue, tout ça me brise le cœur et me terrifie.
M.M. : Vous êtes aussi partie prenante de Maude, une compagnie de bien-être sexuel.
D.J. : Mon agence de l’époque, pensant qu’on s’entendrait bien et qu’on avait des intêrets et des passions communes, m’avait mise en relation avec Éva [Goicochea], la fondatrice de Maude, et c’est vraiment génial. Je me suis retrouvée codirectrice de la création, et elle m’a tellement appris. Je trouve très cool et très important de faire partie d’une compagnie dont j’adore les produits, qui sont magnifiques, mais qui en plus sont abordables et de bonne qualité, et dont le but est vraiment le bien-être. J’adore l’idée que de plus en plus de gens soient à l’aise avec leur bien-être sexuel.
M.M. : Comment avez-vous fait votre éducation sexuelle ? À l’école ?
D.J. : Oui, on avait un cours sur le sujet en sixième. Je suis allée à l’école un peu partout.
M.M. : Ce n’était pas bizarre de déménager constamment et d’être toujours la petite nouvelle ?
D.J. : Je ne trouvais pas ça bizarre parce que pour moi c’était normal, je n’avais pas d’élément de comparaison. Si je n’avais pas passé mon temps à déménager, j’aurais peut-être acquis des traits de caractère différents, ou plus forts concernant la gestion du temps ou le fait de nouer des amitiés de toute une vie. Mon frère et moi, on voyageait, et c’était comme ça, c’est tout. On était sur les lieux de tournage. Si ma mère travaillait quelque part, on y était aussi, et un précepteur voyageait avec nous et on étudiait ensemble.
M.M. : Vous avez un superpouvoir ?
D.J. : Si j’en avais un, je n’en ferais pas mystère. Je saurais exactement ce que c’est.
M.M. : C’est vrai. Madame Web ne s’en soucie pas.
D.J. : C’est ça. Je dirais “Eh bien, merci de me poser la question. Je peux voler.”
HAIR Mark Townsend
MAKEUP Lisa Storey
MANICURE Ashlie Johnson
CREATIVE CONSULTANT Mariana Suplicy
PRODUCTION McKenna Matus
PHOTO ASSISTANTS Evadne Gonzalez and Alex Kennedy
STYLIST ASSISTANT Kat Cook
LOCATION The Paramour Estate